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En route vers 2022 | De l’urgence de repenser la croissance pour éviter la démesure technologique 

croissanceLa technologie, nouvelle Némésis ?

La démesure a toujours fait tourner notre machine économique à plein régime en prétextant que la technique n’a pas de limite. C’est la technologie qui est aujourd’hui présentée comme la meilleure candidate pour maintenir la barre face à l’urgence climatique tout en faisant rimer rentabilité et responsabilité. Il est vrai que le numérique a le potentiel de rendre nos modèles de production plus vertueux mais il reste façonné par l’Homme ; avec ses déboires cognitifs et ses contradictions. Pour ne pas faire du numérique notre nouvelle Némésis, c’est sur les biais les plus ancrés qu’il faut dès à présent travailler. 

 

Si il y a bien une leçon que nous pouvons tirer du passé, c’est que le progrès humain flirte souvent avec la démesure. Au XVIIIe siècle, c’est la Compagnie des mers du Sud qui reçoit la palme de la surenchère en propageant des rumeurs sur la valeur potentielle du commerce avec le Nouveau Monde pour susciter l’emballement des actionnaires à Londres. Résultat : une bulle éclate et la société de commerce maritime fait faillite en 1720. Le physicien Isaac Newton fit les frais de l’éclatement de cette bulle spéculative et déclara : « Je sais mesurer les mouvements des corps pesants mais pas la folie des foules. »

Trois siècles plus tard, à l’ère de l’anthropocène, l’Homme se rend compte – tardivement – qu’une croissance infinie dans un monde fini est illusoire. Le stock de matières terrestres fond à vue d’œil, la pollution rend notre planète instable et la pression démographique à venir ne présage rien de bon. Cette urgence climatique – et l’irruption récente de la crise sanitaire – est une sorte de rappel à l’ordre ; à l’image de Némésis, cette déesse grecque chargée de punir les mortels pour leur démesure.

 

“Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste.”
Citation de l’économiste Kenneth E. Boulding dans Jump the Curve (Jack Uldrich, 2008)

 

Alors, la science pourra-t-elle encore une fois nous offrir une issue ? Pourra-t-elle nous débarrasser des maladies infectieuses comme elle l’a fait pour la variole ? Trouvera-t-elle la solution à l’équation climatique tout en préservant l’émancipation conférée aux individus depuis les révolutions industrielles ?

Tout dépend de ce qui est qualifié de croissance… et force est de constater que le libéralisme décomplexé domine et n’inclut d’aucune manière les ressources non renouvelables détériorées dans son calcul. Une chose est sûre : la technologie restera notre Némésis tant que le concept de croissance se résumera au PIB et tant que nous resterons enfermés dans un imaginaire transhumaniste en proie à la démesure. Et pour cause, la prochaine “mégabulle” serait bien technologique : à force d’investir frénétiquement dans des start-up pour tenir les promesses de la révolution digitale.   

 

À la gloire de la French Tech !

C’était une promesse scandée dans tous les discours du gouvernement actuel : le soutien massif à la French Tech permettra d’ériger un nouveau modèle de croissance qui concilie justice sociale et environnement. Une “start-up nation” que le gouvernement en place ne manque pas de valoriser.

Lors du Meet’up Greentech du 19 octobre dernier, Cédric O, Secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, a remis une couche sur la place que doit occuper l’innovation dans la transition écologique ; en particulier la Deeptech, érigée comme une solution à la fois au service du climat et de l’industrie française.

« L’urgence climatique est mathématique : nous serons quelques milliards de plus d’ici quelques années et nos ressources sont limitées, a-t-il ajouté. Cette grande transition environnementale, numérique et anthropologique doit passer par une transformation de notre manière de consommer ». Les intentions sont louables mais un contresens reste en suspens : comment transformer notre manière de consommer si nous nous reposons encore plus sur la technologie – et la valorisation qui en découle – pour façonner la transition écologique de demain ? 

D’autant plus que, même si la French Tech compte désormais plus d’une vingtaine de pépites valorisées à plus d’un milliard d’euros, les licornes à impact peinent encore à sortir de leur caractère légendaire…

 

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Aux côtés de Blablacar et Back Market, Vestiaire Collective est une des dernières à s’ajouter aux rares réussites entrepreneuriales à impact. En mars dernier, la start-up spécialisée dans la vente d’occasion de vêtements a bouclé 178 millions d’euros, tandis que son confrère Sorare, spécialiste des cartes à collectionner de joueurs de football, a levé 580 millions d’euros. Des priorités à géométrie variable, donc.

 

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« Les écosystèmes ont pris de l’avance en Chine et aux Etats-Unis » a également tenu à rappeler le chef de l’Etat au cours d’une vidéo diffusée lors du Meet’up Greentech. Les questions de souveraineté sont aussi prégnantes que l’urgence climatique et Emmanuel Macron manifeste sa volonté d’ériger la France en tant que « première puissance européenne de la Tech ».

 

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En première ligne dans la compétitivité technologique qui se joue à l’échelle internationale, l’écosystème de la French Tech est avant tout présenté comme une solution à tous les défis de notre temps : de la lutte contre le réchauffement climatique en passant par la souveraineté face aux mastodontes de la tech ainsi que la meilleure résilience des territoires. Mais, sans pour autant frôler le ravin de la décroissance, quelle place laissons-nous à la sobriété et la frugalité de nos modèles de consommation ? 

 

S’attaquer aux biais à tout prix

Si il est admis que la technologie porte en elle l’espoir d’une économie plus vertueuse, il faudra sérieusement s’attaquer aux biais cognitifs les plus ancrés. Il faut, dès à présent, prendre conscience que ce qui est virtuel n’est pas sans impact, que la croissance verte n’existe pas et que la technologie n’est plus une excuse pour poursuivre cette course effrénée à la croissance qui surestime les profits que nous pouvons en tirer.

Le premier biais important à déconstruire rejoint cet emballement. “L’effet Ikea” désigne la tendance d’un sujet à surestimer de manière disproportionnée la valeur d’un produit qu’il a partiellement créé. Appliqué au domaine de la Greentech, cela consiste notamment à surévaluer l’impact positif d’une technologie en matière d’environnement (la promesse d’optimisation énergétique ne suffit plus !).

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Pour pallier cet écueil et parvenir à un changement des comportements satisfaisant, il est indispensable de disposer des bons outils pour mesurer l’ampleur de chaque projet mis en œuvre. En finir avec le greenwashing et la compensation carbone – limitée dans le temps – ne pourra se réaliser sans des données de qualité sur l’impact environnemental des technologies ; du sourcing des matières premières au recyclage. 

 

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Le deuxième biais à combattre est celui de l’inertie : c’est la tendance à résister à la nouveauté par peur des coûts qu’elle engendrerait. C’est ce que reproche d’ailleurs Greta Thunberg en dénonçant à répétition l’inaction climatique des politiques du monde entier. Ce biais est souvent suivi par celui du temps présent qui pousse les individus à s’occuper de risques à court terme plutôt que sur le long terme. C’est d’ailleurs en ce sens que la crise du Covid-19 a remis les préoccupations en matière de santé et de pouvoir d’achat sur le devant de la scène au détriment de celle de l’environnement.

 

À cela s’ajoute une myriade de biais cognitifs qui servent la rhétorique en faveur de la minimisation du réchauffement climatique : 

  • le biais de confirmation qui consiste à sélectionner uniquement les informations qui confortent son propre avis
  • l’effet Dunning-Kruger qui correspond au fait de surestimer ses connaissances ou ses compétences dans un domaine
  • le biais de disponibilité qui revient à tirer une conclusion d’après le dernier élément observé  

 

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En résumé, tant que nous accepterons de laisser ces biais guider notre démesure et alimenter notre modèle de croissance, la science et la technologie ne resteront qu’un reflet de la surenchère de l’Homme, au service des multiples effets rebond qu’il génère. L’ampleur de la désinformation en ligne l’a déjà bien prouvée : l’Homme a toujours été attiré par le rêve, l’hubris, la surenchère, le sensationnel, au point d’en oublier que la science, elle, s’en tient froidement au tangible.

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