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Innover ou conserver ? Le grand dilemme en Champagne

innoverInnover ou conserver dans le champagne.

Le champagne est une des boissons les plus nobles et représente un véritable baromètre socio-économique d’un pays.

 

Depuis des années, je collabore et accompagne plusieurs maisons de champagne dans leurs réflexions sur la construction de leur marque afin de trouver un positionnement unique, innovant, mais vrai. Celui-ci est devenu indispensable pour pouvoir se différencier sur un marché très concurrentiel, à la fois par les maisons de champagne en France mais aussi par de nouveaux challengers à l’étranger qui veulent aussi profiter de l’engouement pour cette boisson plaisir aux fines bulles.  Je pense aux nombreux vins mousseux appelés Sekt d’Allemagne, au Prosecco d’Italie ou encore au champagne de Californie. Eh oui, les États-Unis sont actuellement parmi les rares pays au monde à ne pas reconnaître l’accord international sur l’appellation « champagne » tel que convenu par le CIVC (Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne). Cette appellation explique que seuls les raisins cultivés dans la région de Champagne sont utilisés pour produire cette boisson prestigieuse, consommé souvent de préférence à l’apéritif.

Ce qui rend le champagne si unique, c’est le respect strict des normes imposées pour produire une boisson de qualité. C’est sans doute l’une des boissons les plus contrôlées, élaborée selon des règles précises, à la croisée de l’artisanat et du talent du chef des caves.

Je me rends compte que les maisons sont souvent obligées de faire un grand écart entre le souhait de préserver leurs traditions et le besoin d’innover afin de clarifier leur positionnement et de séduire le consommateur international.

J’ai discuté de ce grand écart avec un patron visionnaire et ambitieux dans le monde du champagne : Franck Coste, le PDG des champagnes Chanoine Frères, fondée en 1730, tout au début de la naissance de cette belle boisson. Cette maison appartient au plus grand groupe familial dans la région de champagne, Lanson BCC. Depuis son arrivée à la tête de la maison, il cherche à être disruptif tout en gardant les atouts du passé. Mais comment ? Où sont les limites ? Voici un extrait de notre échange.

 

 

Pourquoi est-il essentiel d’innover dans le secteur du champagne ?

Le champagne est un produit de plus de 3 siècles et pas seulement de 3 ans. Il a constamment évolué au fil du temps, à la fois dans ses matières premières, sa production, son emballage mais aussi son rituel de consommation.

Le champagne doit évoluer pour 3 raisons :

 

  1. Pour des raisons climatiques : 

Le réchauffement climatique fait que nos vendanges sont plus onéreuses, et la qualité du raisin aléatoire, potentiellement plus riche en taux de sucres et en niveau d’alcool. Donc, l’évolution de la matière première nous oblige à nous adapter et innover afin de produire la meilleure qualité possible. 

 

  1. Pour le respect à l’environnement :

La pression environnementale et sociétale nous fait nous poser la question sur la bouteille, son poids, son coût de transport afin de réduire les émissions de CO2. C’est notre responsabilité de transporter moins d’emballage et plus de vin. Donc il faut innover pour réduire le poids de la bouteille et, pourquoi pas, trouver des contenants alternatifs.  

 

  1. Pour des raisons économiques :

Depuis des années, la consommation de champagne baisse en France et augmente à l’international. Alors, il faut se poser la question, comment stimuler la consommation en France ? Faut-il imaginer des nouveaux moments de consommation, de nouveaux emballages, de nouveaux goûts ? Jusqu’où aller pour ne pas dénaturer un produit si emblématique pour la culture française ? Jusqu’où aller pour innover, prendre des risques ou conserver la tradition ?

 

Quelles sont les difficultés et les limites qui freinent la disruption en champagne ?

Paradoxalement ce sont les aspects qui ont aussi contribué à son succès.

Le champagne est traditionnellement une boisson qui se boit pendant des moments de célébration. Or, il est difficile de les démultiplier. Si on proposait le champagne à chaque occasion à laquelle on consomme de l’alcool, cette boisson d’exception deviendrait une boisson généraliste. On perdrait alors notre côté exclusif.

Or, nos concurrents dans la catégorie des vins mousseux innovent plus que nous car ils ont moins de règles et de restrictions.

L’art et l’enjeu, c’est d’apporter du nouveau à ce secteur traditionnel sans se heurter aux règles dans le champagne, sans faire mal aux terroirs, sans ouvrir la porte aux produits concurrents, sans ajouter des ingrédients interdits aux assemblages du champagne. A l’heure actuelle, par exemple, on ne touche pas aux fondamentaux, comme la bouteille en verre qui doit supporter la pression élevée de la boisson.

Certes, les normes formulées par le CIVC peuvent apparaître comme des obstacles à l’innovation mais elles contribuent aussi à la qualité et l’unicité du champagne et donc de son succès. Cette sacralisation de la méthode champenoise fait que le champagne ne peut pas se reproduire ailleurs. Donc, ses codes ont permis de maintenir les traditions, faire grandir la rareté et font que le champagne aujourd’hui est un véritable produit de luxe désirable.

 

Dans quels domaines peut-on innover en champagne ?

Depuis un demi-siècle, les principales innovations sont liées au packaging, surtout aux bouteilles spéciales comme le champagne Tsarine avec sa forme torsadée. 36% des bouteilles sont dites « spéciales » aujourd’hui, sortent du lot et se démarquent des autres à travers leur forme.

Le produit même, le champagne, en revanche est très normé. En même temps, les raisins évoluent avec le changement climatique. Faut-il alors garder le goût historique ou le faire évoluer ? Une vraie question.

Un autre domaine d’innovation sont les occasions pour consommer du champagne. Au lieu de boire du champagne lors des fêtes traditionnelles et récurrentes comme les anniversaires, Noël, la fête des Mères ou St Valentin, le champagne peut accompagner d’autres moments heureux dans une vie : l’obtention du diplôme, le permis de conduire, l’achat d’une maison, le mariage ou la naissance d’un enfant. Le marché de la célébration rime avec champagne.

 

La Covid a-t-il renforcé l’importance de l’innovation en champagne ?

La Covid nous a secoués. Surtout dans notre capacité à servir des clients… confinés. Des restaurants étant fermés pendant si longtemps et l’augmentation de la consommation à domicile nous ont obligés d’apprendre un nouveau métier : la livraison à domicile.

Nous avons appris à faire du marketing direct, à s’adresser à nos consommateurs directement via les sociaux. C’est ainsi que nous avons souhaité, par exemple, pendant le confinement, un bon anniversaire à plus de 25 000 personnes qui ont commandé notre champagne par la suite et sont devenues aujourd’hui d’exceptionnels ambassadeurs de marque. Grace au marketing direct, nous avons pu augmenter considérablement notre base de données, ce qui a aujourd’hui un impact très positif sur nos ventes.

 

Existe-t-il des cultures qui semblent plus traditionnels et plus conservatrices vis-à-vis de la consommation de champagne ?

La culture française est plus conservatrice dans la consommation du champagne. Beaucoup de Français associent le champagne avant tout aux mariages et apprécient le champagne traditionnel. Il y a relativement peu d’ouverture à d’autres formes de goûts ou d’emballages. Tout ce qui sort des sentiers battus peut être perçu comme une violation à la bonne culture française traditionnelle. C’est pour autant l’inverse pour la nouvelle génération de moins de 30 ans, beaucoup plus ouverte à la nouveauté.

Les Américains, en revanche, sont beaucoup plus ouverts aux innovations, ils sont même demandeurs de nouveaux formats, goûts et bouteilles.

Les Japonais sont très traditionnels mais avant tout demandeurs des produits hauts de gamme et adorent quand on valorise le savoir-faire du chef de cave.

Les jeunes consommateurs de moins de 30 ans sont plus ouverts à l’expérimentation, apprécient un aspect ludique notamment à l’ouverture de la bouteille. Ils adorent aussi découvrir des nouveautés sur le plan visuel de la bouteille et au moment de la dégustation.

Nous avons lancé une bouteille illuminée dans le rosé Tsarine (nommé Tsarine Rosé Lux) en intégrant une lumière Led en dessous de la bouteille. Elle est devenue un référent du marché et Tsarine est devenu la 2ème marque du marché des rosés en France. Un véritable succès. On peut la trouver chez les restaurateurs, les bars, les cavistes, et sur le site Chanoine Frères.

À la suite de l’introduction de cette nouvelle bouteille, nous avons constaté un réel rajeunissement de nos consommateurs. Nous avons aussi observé que les femmes sont plus courageuses que les hommes quant à l’expérimentation de nouveautés et d’innovations. J’ai l’impression que les hommes préfèrent rester sur leurs fondamentaux, les valeurs sûres et le connu.

 

Cet échange avec Franck Coste nous montre qu’il y a des certes d’importantes limites pour innover en champagne, mais le plus grand frein est souvent fixé par la stratégie de la maison elle-même. Évidemment, une innovation, notamment dans la consommation, ne s’introduit pas sans une campagne de communication importante. Ceci, en l’occurrence, nécessite un investissement marketing considérable. Quand on connaît les coûts de revient dans la production et logistique en champagne, il faut bien calculer avant d’investir pour toujours rester profitable.  Et donc, la réflexion se pose de nouveau : faut-il innover ou conserver ?

Mais comme le dis Franck Coste, « Vu les multiples changements à l’échelle planétaire, nous sommes probablement obligés de mener une (R)évolution dans les années à venir. » 

 

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