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Fortissimo | Rencontre avec le producteur Philippe Maillard

Musique

 💡 Chaque mois, Forbes France vous fait découvrir une personnalité du monde de la musique. De ceux et celles qui font surgir les talents.


Depuis 30 ans, il est une figure incontournable de la musique classique à Paris. Il a fondé la série de concerts Philippe Maillard Productions, offrant aux Parisiens, dans des lieux souvent méconnus du patrimoine, la musique baroque avec des musiciens de grand renom et en devenir. Il a aussi fondé une agence d’artistes Les Concerts Parisiens, repris la revue Cadences, et créé un label de disques « La Musica ».

 

Philippe Maillard, avant tout, pouvez-vous vous présenter ?

Philippe Maillard : J’ai un parcours assez atypique. Après avoir fait Sciences Politiques à Paris, je me destinais à une carrière financière. J’ai occupé pendant 20 ans des fonctions rédactionnelles dans la presse patrimoniale (notamment à Valeurs actuelles, au Figaro  et au magazine Mieux vivre votre argent) avant de faire le grand saut : ma passion pour la musique a  fini par prendre le dessus, j’avais alors une trentaine d’années et j’ai créé ma première structure « Philippe Maillard Productions » en 1990. J’ai assez vite découvert que les métiers de la musique étaient très différents, très structurés, et que au-delà de l’aspect bohème et fantasque que l’on prête souvent à l’activité artistique, il y avait une vraie économie. Pour donner toutes les chances à un artiste de se développer, il faut pouvoir répondre à toutes ses demandes. Pouvoir faire des concerts devant un vrai public (métier du producteur),  pouvoir enregistrer des disques (métier du label), être identifié et reconnu (métier de l’attaché de presse) et   enfin « tourner » comme on dit dans le jargon, c’est-à-dire faire des séries de concerts partout dans le monde (métier de l’agent artistique). Quand un artiste sort un disque important, qu’il a une série de 20 concert sur un mois et demi, un bon attaché de presse et quelques journées de promotion – radio, presse écrite, audiovisuelle – alors le schéma est parfait. C’est un peu ce que j’ai appris depuis toutes ces années, et je ne peux jamais oublier mon ancien métier, car  dans les métiers artistiques, il y a la même  part de gestion et de marketing que dans toutes les autres activités.

 

Cette passion pour la musique et la musique baroque, comment cela est-il né ?

 P. M. : Mes premières rencontres ont été déterminantes : René Jacobs en 1987 avec qui j’ai fait quelques concerts au Théâtre Grévin. Anthony Rooley et Emma Kirkby à la même époque. Noël Lee, merveilleux pianiste d’origine américaine qui avait si bien intégré la musique française, sans perdre ses racines… Les ensembles vocaux Sequentia et  Anonymus 4 m’avaient quelques années plus tard fortement impressionné par leur incroyable travail sur le son (imaginez plusieurs chanteuses a cappella qui chantent ensemble avec la seul obsession de donner le sentiment qu’il n’y a qu’une voix) . Une rencontre décisive avec Jordi Savall et Montserrat Figueras, qui a beaucoup chanté au Théâtre Grévin et à l’église saint Roch (un mémorable concert du chant de la sybille). Enfin les Passions de Bach écoutées pendant la semaine sainte à l’église Saint Roch avec le regretté Frans Brüggen m’ont également bouleversé. Mes passions sont toutes nées de rencontres, elles se sont développées de manière très opportuniste !


Philippe Maillard : Quand un artiste est capable de retourner émotionnellement  le public en moins de 2 heures – le temps d’un concert, alors je sais que leur carrière sera immense. Quand en plus ils ont beaucoup de curiosité, de la gentillesse, de l’humour, de la modestie et le goût du risque alors je me dis que le public aura les  mêmes réactions que moi.

 

Revenons à votre actualité, qui en cette période de pandémie a réduit les concerts, mais pas votre activité discographique. Quels sont vos coups de cœur ?

 P. M. : Pendant l’arrêt des concerts, de nombreux artistes enregistrent… C’est une façon de continuer d’exister, de rester malgré tout indispensable, il paraît que la musique n’est pas « essentielle »… Avec la complicité de quelques artistes que je suis régulièrement, nous avons profité de cette année de jachère pour enregistrer : que ce soit avec l’Ensemble d’origine argentine La Chimera qui vient de sortir un magnifique album sur l’art du contrepoint mettant en parallèle Bach et Piazzolla. Que se soit avec le formidable pianiste moldave Alexander Paley, qui enregistre actuellement l’œuvre pour piano de Rachmaninov (un album est sorti en décembre, le second paraitra en octobre prochain). Que ce soit également avec le pianiste Denis Pascal. Il vient de sortir un magnifique album très émouvant avec ses deux jeunes fils  des deux trios de Schubert. Il y a la force de Schubert qui se confronte à la fusion d’une famille très unie. Une famille de musiciens avec le père pianiste qui veille attentivement sur ses deux fils Alexandre le violoniste et Aurélien le violoncelliste, le résultat est très beau.

 

Depuis 30 années, vous veillez sur les artistes, racontez-nous une ou des anecdotes et racontez-nous vos grandes découvertes de talents ?

 P. M. : Les anecdotes sont nombreuses, souvent assez drôles mais pas toujours glorieuses…  Je n’en citerai qu’une seule. Nous avions un concert au Théâtre Grévin avec le pianiste Brian Ganz, qui jouait la sonate de Dutilleux en première partie et des pièces de Chopin en seconde partie. Nous avions la chance d’avoir dans la salle le compositeur. A la fin du concert, le pianiste heureux et ému d’avoir joué l’œuvre de Dutilleux devant lui, s’est adressé au compositeur en lui disant : Je suis très honoré d’avoir pu interpréter votre sonate, Maître, et pour vous rendre honneur, je vais vous interpréter la valse de Chopin n° (je ne me souviens plus de laquelle) une de vos pièces préférées…
Et là dans l’intimité du Théâtre Grévin, Dutilleux s’est levé comme un ressort en disant au pianiste : Oui… enfin non !  C’est une pièce que j’aime bien, mais ce n’est pas une de mes pièces préférées, il y en a d’autres, enfin c’est difficile mais on ne peut pas dire cela !

– Brian Ganz : Maître, quelle pièce de Chopin aimeriez-vous que je vous joue ?

– Dutilleux : Je ne sais pas… il y en a tant … peut être une Polonaise, ou un Nocturne par exemple le  N° (je ne me souvient plus du numéro)

– Brian Ganz : Très bien Maître.

Et il l’a fait ! Par cœur. Sans hésitation, sans répétition, sans une fausse note. Devant un public médusé. C’est cela que j’aime chez les artistes, la prise de risque  !
En 31 années, (nous devions fêter au cours de la saison 20-21 notre trentième anniversaire, mais cette saison sera reportée presque en totalité d’un an) j’ai pu vivre de magnifiques fins de carrière (Camille Maurane, Rachel Yakar, Paul Esswood…), développer des artistes magnifiques (Gérard Lesne, Emma Kirby, Philippe Herreweghe, Jordi Savall…) et enfin mettre le pied à l’étrier de quelques jeunes inconnus qui sont depuis devenus des grands. Citons particulièrement Andreas Scholl et Philippe Jaroussky qui tous les deux ont fait le premier concert de leur vie au Théâtre Grévin, citons également le claveciniste Jean Rondeau. Ou plus récemment, les premiers concerts parisiens de Franco Fagioli et Jakub Josef Orlinski. Le plus souvent, j’ai été tout de suite, dès la première note, fasciné par leur talent, et les choses se sont faites naturellement. Quand un artiste est capable de retourner émotionnellement  le public en moins de 2 heures – le temps d’un concert, alors je sais que leur carrière sera immense. Quand en plus ils ont beaucoup de curiosité, de la gentillesse, de l’humour, de la modestie et le goût du risque alors je me dis que le public aura les  mêmes réactions que moi.


Philippe Maillard : J’aime sortir d’un concert avec le cœur qui bat, avec une émotion tellement forte que j’ai le sentiment d’avoir vécu un moment essentiel de ma vie. Découvrir de nouvelles musiques et de nouveaux talents, développer les carrières, les accompagner jusqu’à leurs adieux.

 

Comment réalise-t-on ce tour de force, en cette période si particulière, pour réunir des artistes et du public ?

 P. M. : En ce moment, on ne réalise pas de tour de force, tout està l’arrêt… Les artistes vont mal,  financièrement mais surtout moralement. Leur raison de vivre c’est d’être sur scène, actuellement ils sont à la maison…. Leur passion, c’est d’être face au public, de leur transmettre toute l’émotion de la musique, de guetter leurs visages, leur respiration, et leurs larmes parfois. Je suis bien certain, que lorsque les concerts vont reprendre, et que les artistes vont pouvoir enfin retrouver leur cher public,  l’émotion sera encore plus forte…

 

Quels sont vos rêves de mélomane pour les mois à venir ?

 P. M. : Mes rêves de mélomane sont toujours les mêmes : ils n’ont jamais changé depuis 30 ans, il me faut toujours être surpris, étonné, séduit… Faire de nouvelles rencontres : pas uniquement d’ailleurs chez les jeunes artiste de qui l’on peut mettre le pied à l’étrier. Il y a aussi les redécouvertes d’artistes « oubliés »  qui permettent de réparer des injustices. 
Trouver de nouvelles opportunités qui vont remettre en question toutes mes certitudes.  J’aime douter, car c’est toujours cela qui fait progresser. J’ai toujours peur de passer à côté de la rencontre, du concert ou autre, qui aurait pu changer ma vie ou ma trajectoire. Rien ne me prédestinait à la musique baroque au départ, dans les années 80-90, j’évoluais  dans l’univers de la musique française du début du 20è siècle, et je militais  pour la redécouverte de tout ce répertoire. Je m’occupais de l’association des amis de Charles Koechlin, je côtoyais Henri Sauguet, Madeleine Milhaud, Jeanne Le Flem et Monique Cras… Rien à voir avec la musique baroque donc !
J’aime sortir d’un concert avec le cœur qui bat, avec une émotion tellement forte que j’ai le sentiment d’avoir vécu un moment essentiel de ma vie. Découvrir de nouvelles musiques et de nouveaux talents, développer les carrières, les accompagner jusqu’à leurs adieux. Je me souviens d’un concert à la salle Pleyel, où j’étais allé écouter un concerto de Chopin avec Lugansky, en première partie. Il y avait au programme en seconde partie une œuvre qui m’était inconnue, tout comme le compositeur d’ailleurs. La Danzon n° 2 d’Arturo Marquez. Passionné par la musique baroque, mais un rien réticent à la musique contemporaine, je décidais de ne pas rester, quand à l’entracte un journaliste m’a dit : Tu devrais rester, c’est vraiment une pièce intéressante, pleine d’enthousiasme, galvanisante. Je suis resté et  j’en suis sorti avec justement cet état de grâce et de bonheur dont je parlais plus haut. 
J’aime programmer un concert et attendre, compter les jours, juste dans l’attente de la performance et de l’émotion que ce concert particulier me procurera. Bien sur parfois, j’en sors un peu déçu tellement l’attente est grande.
Après 30 ans de production, j’aimerais pouvoir aller jusqu’au bout, organiser le concert d’adieux d’un artiste que j’aurais fait débuter. La boucle serait alors bouclée. Mais fort peu d’artistes sont prêts à renoncer. C’est extrêmement difficile de souffler àa un artiste : à propos, tu as quel âge ? Il serait peut-être temps d’arrêter ? Ne veux-tu pas que j’organise tes adieux ? Personne n’est prêt à entendre ce genre de discours. Personne n’est prêt à renoncer d’ailleurs. Jamais !  Et surtout pas moi !

 

Propos recueillis par Florence Petros


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