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Entretien Avec Aïssa Maïga Pour Le Film Pygmalionnes

Crédit photo : Christine Ledroit Perrin

Révélée dans les Les Poupées russes en 2005, Aïssa Maïga a, depuis, réalisé des projets tous azimuts. Cette actrice d’origine sénégalaise a su dès son plus jeune âge qu’elle voulait être actrice et a commencé par le théâtre, avant de s’épanouir pleinement dans le monde du cinéma. Elle était présente sur la Croisette en mai dernier pour le film documentaire Pygmalionnes, réalisé par Quentin Delcourt (en salles le 22 janvier 2020), dans lequel elle joue et qui traite de la réalité d’être une femme dans le cinéma français aujourd’hui.

 

Forbes : Bonjour Aïssa Maïga. Vous êtes une actrice, auteure et réalisatrice française.

Aïssa Maïga : Bonjour ! C’est exact, j’ai également coécrit un livre l’an dernier, intitulé Noire n’est pas mon métier, dans lequel 15 autres comédiennes noires françaises témoignent de leurs expériences dans le cinéma et la télévision en France. Le livre a fait beaucoup de bruit à sa sortie l’an dernier, juste avant le Festival de Cannes. Notre montée des marches inédite, le poing levé, nous a permis d’assumer totalement cette démarche, qui incite à la fois au combat, à la discussion et au dépassement. En 2019, discriminer dans un pays métissé comme la France, ou ne pas inclure, invisibiliser, ça ne peut pas passer, tant du point de vue éthique que du point de vue économique. En effet, dans le secteur du cinéma, on assiste aujourd’hui à une grande révolution grâce à la création de différentes plateformes, qui ont compris l’atout majeur que représente la diversité. Pour rester compétitif en France de nos jours, il faut s’aligner sur cette vision morale et éthique, qui est d’inclure toutes les composantes de la société. Voilà un aspect de mon travail, mais je suis par ailleurs actrice et je joue à la fois dans des comédies, des drames, des films d’auteur… Je travaille en France et de plus en plus à l’étranger, aussi bien en français qu’en anglais ou autre.

 

Forbes : Parlons un peu de la couverture de votre livre, Noire n’est pas mon métier.

AM : Cette photo a été beaucoup reprise, notamment chez les Afro-Américains, qui ont été étonnés de découvrir qu’il y avait d’autres endroits que les États-Unis où des personnes noires vivent la même chose, en Occident. Ces 16 comédiennes, qui sont apparues sur les marches du Festival de Cannes, les ont vraiment interpellés. Dans la foulée de la sortie du livre, j’ai décidé de réaliser un documentaire, qui n’est pas simplement un constat comme a pu l’être le livre, mais qui est plutôt une recherche de solutions. Le tournage s’est déroulé en France, aux États-Unis et au Brésil, trois pays où la question de la diversité se manifeste de différentes façons, à la fois pour l’industrie du cinéma, mais aussi à l’échelle de la société. Les histoires sont différentes, mais en même temps ce sont des pays où la question noire est réellement présente. Ce documentaire est passionnant à réaliser.

 

Forbes : Et vous êtes aussi désormais une « Pygmalionne » dans le film de Quentin Delcourt, qui vient de nous rejoindre.

AM : Quentin et moi nous sommes rencontrés l’an dernier, avant le Festival de Cannes et il m’a exposé son projet Pygmalionnes. Tout est dit dans le titre : il donne la parole à des femmes, actrices, réalisatrices, productrices, chefs opératrices, exploitantes de cinéma, agentes d’artistes, etc., et leur permet d’exprimer devant la caméra leur force et leurs défis. J’ai eu un coup de cœur pour sa démarche, car il est indispensable aujourd’hui d’écouter les hommes féministes. Cela l’a toujours été bien entendu, mais aujourd’hui leur travail est plus visible, et j’avais envie de soutenir ce projet.

Quentin Delcourt : L’important avec le travail que l’on entreprend, c’est aussi de montrer la force économique que représentent les femmes aujourd’hui. Que ce soit dans le monde du cinéma ou en général, à la fois en tant que cheffes d’entreprises, qu’initiatrices de projets complets, elles dirigent des équipes et savent travailler sous pression, comme dans les conditions des tournages par exemple. Les femmes créent de l’argent et il est important de le noter, car le monopole du cinquantenaire blanc n’est plus d’actualité dans le milieu de cinéma, la roue est en train de tourner. Ce sont les projets comme celui-ci qui permettent aux institutions de prendre conscience de ces enjeux, notamment en instaurant des quotas, qui permettent à ce genre de productions de voir le jour. En France, encore peu de femmes ont accès à de gros budgets dans le cinéma, de plus de 5 millions d’euros. Pygmalionnes aborde plusieurs sujets, tels que les inégalités salariales, le harcèlement, la maternité, les rapports de force sur un tournage, la discrimination, en se concentrant surtout sur la situation de la France, comparée à d’autres pays.

AM : On parle aussi dans le film des nouveaux quotas mis en place en France dans le monde du cinéma pour la parité dans l’idée du 50/50. Le film le raconte très bien. C’est dommage de devoir en arriver là, mais c’est également nécessaire. Les sujets traités dans ce film ont une portée internationale. Pygmalionnes permet d’effectuer une comparaison avec les industries cinématographiques d’autres pays, au sujet de l’harmonie hommes/femmes et du partage intime et authentique de la vie quotidienne d’une femme qui travaille dans le cinéma. C’est ce qui fait tout l’intérêt de ce film et qui m’a poussée à apporter mon soutien au projet.

 

Pygmalionnes
L’affiche de Pygmalionnes, en salles le 22 janvier 2020

 

Forbes : Quels sont vos prochains projets ?

AM : J’ai sorti un film sur Netflix, intitulé The Boy Who Harnessed the Wind, qui a été réalisé par Chiwetel Ejiofor, l’acteur principal de Twelve Years a Slave. Par ailleurs, je tourne une série française intitulée Il a déjà tes yeux pour France Télévisions. Après Pygmalionnes, j’ai également tourné une série en Irlande, qui s’appelle Taken Down et qui sera diffusée sur Arte, en anglais et avec l’accent nigérian (rires). Sans oublier le film documentaire Marcher sur l’eau, que je réalise et qui traite de la problématique de l’eau en Afrique de l’Ouest en lien avec le dérèglement climatique. Il se tourne en un peu plus d’un an dans un village au Niger. Le film est produit par Bonne Pioche Productions, qui avait produit La Marche de l’empereur, et sera distribué par Disney en France, pour une sortie dans les salles en septembre 2020.

QD : Avec Marie Chrétien-Franceschini, ma coproductrice sur Pygmalionnes, nous préparons la suite : Pygmalionnes Africa. Le film interrogera à nouveau les femmes qui font du cinéma, mais cette fois-ci dans huit pays d’Afrique. Cette suite a été annoncée sur les marches du festival le soir du Ken Loach, où j’étais accompagné de la grande réalisatrice nigérienne Rahmatou Keita, qui faisait partie l’année dernière des 82 femmes réclamant l’égalité et la parité dans le cinéma, aux côtés de Cate Blanchett et Agnès Varda. Il y a aussi un premier long métrage de fiction en préparation intitulé Les Mouettes avec Béatrice Dalle, Victor Belmondo et Laurent Lucas que j’espère tourner au printemps 2020.

 

Forbes : Pour finir Aïssa, qu’avez-vous pensé de ce 72e Festival de Cannes ?

AM : Je suis arrivée il y a moins de 48 heures et je repars déjà (rires). C’est très intense et malheureusement j’ai simplement regardé le festival de loin cette année. Je dois en revanche mentionner la présence de deux films. Le premier est en compétition officielle et s’intitule Atlantique. Il a été réalisé par Mati Diop, une femme franco-sénégalaise, et produit par un producteur sénégalais que je connais bien. Le deuxième est Les Misérables, réalisé et produit par Ladj Ly. On assiste cette année à un retour des films du continent africain, ce qu’il faut saluer, car nous avons été très absents pendant un moment. Je m’interroge en revanche sur la réelle diversité dans les instances de décision du Festival de Cannes, bien qu’elles aient ratifié la charte 50/50.

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