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Entrepreneuriat : Les Femmes Rencontrent Les Mêmes Barrières Qu’En Début De Carrière

A.C

Anne Boring est à la tête de la chaire pour l’entrepreneuriat des femmes qui vient d’être lancée à Sciences Po. Cette économiste, maître de conférence à l’université de Rotterdam et chercheuse affiliée au programme Presage et au laboratoire Liepp, revient pour Forbes France sur les stéréotypes de genre qui freinent les femmes dans leur carrière, que ce soit dans l’entrepreneuriat ou en entreprise. 

 

Sciences Po vient d’ouvrir une Chaire pour l’entrepreneuriat des femmes que vous chapeautez. Pouvez-vous expliquer comment est née cette idée et ce dont il s’agit ?  

Nous avons ouvert une chaire pour l’entrepreneuriat des femmes le 11 avril dernier sur la base de plusieurs constats. A Sciences Po, le cours d’initiation à l’entrepreneuriat ouvert à tous séduit 200 à 300 étudiants et compte 50% de jeunes femmes – elles sont 60% à Sciences Po donc leur représentation est un peu moindre, mais nous restons à parité. Lorsque nous nous intéressons à notre incubateur créé en 2008, nous notons par contre que seulement 30% des start-up ont une cofondatrice. Les jeunes femmes sont intéressées par l’entrepreneuriat, mais se lancent moins. Au niveau national, 26% de femmes bénéficient du statut d’étudiant-entrepreneur, selon le programme Pépite, et seulement 10% des start-up sont dirigées par des femmes, selon le Baromètre EY – France Digitale de 2017.

Nous avons donc regardé ce qui se fait ailleurs. Par exemple, nous avons remarqué que les barrières rencontrées par les femmes pour lancer leur start-up sont similaires à celles qu’elles rencontrent en début de carrière. Nous voulons permettre la prise de conscience des stéréotypes de genre et créer des enseignements basés sur la recherche et structurés autour des connaissances scientifiques. C’est ainsi qu’est née la chaire pour l’entrepreneuriat des femmes. L’idée est de s’appuyer sur la recherche pour créer des enseignements qui développent des compétences spécifiques et de mesurer les apprentissages des étudiantes. Nous souhaitons enfin informer la société plus largement sur les interventions efficaces pour favoriser l’entrepreneuriat et le leadership des femmes.

Si la chaire n’est pas réservée aux femmes, nous leur proposons par exemple des ateliers sur la prise de parole en public. En effet, plus ils grandissent, plus les hommes ont d’aisance à s’exprimer en public. A l’inverse, il est attendu des femmes qu’elles soient plus modestes. Quand les femmes se rendent compte de l’impact de ces différences d’attentes et d’attitudes, leur carrière a déjà pris du retard. Il est donc indispensable de développer ce genre de compétence. Sur ce sujet, nous avons par exemple commencé à travailler avec Columbia University.

Parmi nos prochains thèmes de recherche, nous nous intéressons aussi à la gestion des environnements compétitifs, la gestion des attentes des investisseurs et la prise de risques.

La chaire s’appuie sur un comité scientifique de dix membres et des travaux de recherche extérieurs. L’idée est d’associer en effet les meilleurs chercheurs sur des thèmes spécifiques. Nous allons aussi travailler avec Goldman Sachs et la Fondation Chanel pour créer un programme avec des entreprises. Nous aimerions particulièrement cibler les entreprises qui commencent leur réflexion sur ce type d’inégalités.

Plus généralement, quelles sont les problématiques rencontrées par les femmes dans le monde de l’entreprise ?

Le manque de confiance. Les jeunes femmes qui entrent sur le marché du travail ont eu l’habitude d’avoir des notes qui parlent pour elles à l’école et à l’université. En début de carrière, elles vont donc attendre que leurs supérieurs récompensent leurs compétences, mais sans communiquer sur ce qu’elles font. Sans retour, elles peuvent avoir tendance à croire qu’elles sont moins bonnes que leurs homologues masculins qui eux, n’hésitent pas à se mettre en avant et progressent plus vite. Mais attention, une femme qui se mettrait trop en avant est également mal vue.

Notre idée est donc de donner les connaissances et les compétences aux étudiants pour qu’ils comprennent dans quel monde ils mettent les pieds. Et de noter que les obstacles rencontrés par les femmes sont nombreux : les normes sociales, les micro-agressions d’un environnement compétitif où elles sont confrontées à des remarques, des cas de harcèlement sexuel, etc.

Tout cela a pour conséquence d’aboutir à un décrochage de la femme dans leur trajectoire de carrière.

Si cela est vrai pour le monde de l’entreprise « classique », est-ce le même cas de figure pour les femmes qui souhaitent entreprendre ?

Les problèmes sont similaires. Il faut qu’elles soient vues comme compétentes, ce qui n’est pas toujours évident aux yeux des autres, surtout si le secteur est particulièrement masculin et que les normes d’excellence sont définies par des stéréotypes de genre masculins. Une problématique peut-être plus spécifique à l’entrepreneuriat est l’isolement, là encore, particulièrement si le milieu est masculin.

Les premières années (voire les premiers mois) sont cruciales pour le bon développement d’une jeune entreprise. Or, la manière de se projeter joue beaucoup dans la réussite et dans le fait de passer ces premiers paliers. Nous le voyons quand ils sont encore étudiants, les jeunes hommes citent le fait de gagner de l’argent comme une de leur motivation principale tandis que les jeunes femmes le déclarent beaucoup moins, soit parce que ce n’est pas un objectif pour elles, soit parce qu’elles n’osent pas le dire.

Et cela a des répercussions par la suite. Les entreprises montées par des femmes sont de plus petite taille, sont concentrées sur des secteurs tels que la santé, l’éducation, les services à la personne, bref, des entreprises qui peuvent être amenées à gagner moins d’argent.

Nous nous rendons compte que nous manquons de connaissances sur l’entrepreneuriat des femmes. C’est pour cette raison que nous commençons à étudier des incubateurs ou des réseaux féminins tels que Willa (anciennement Paris Pionnières) pour comprendre quels sont les obstacles rencontrés par des femmes dans la création de leur entreprise.

Quelles sont alors les solutions à mettre en place pour que les femmes puissent se lancer dans leur carrière, en entreprise ou dans l’entrepreneuriat, avec les mêmes chances que les hommes ?

Il est indispensable de développer les compétences. Comment faire pour gérer le stress d’un milieu qui peut être vécu comme hostile ? Comment compenser le fait que pendant des années les femmes ne développent pas leur prise de parole en public ? Comment palier le fait que les femmes se projettent moins aussi parce qu’on attend moins d’elles ?

Il est aussi nécessaire que les femmes aient davantage d’informations sur les conséquences de leurs choix, notamment en termes d’orientation scolaire. Parce qu’elles sentent qu’on attend moins d’elles, elles ont d’une certaine façon plus de choix dans leur orientation scolaire : elles subissent moins de pression sociale que les garçons pour aller vers des filières scientifiques notamment. Cette moindre pression peut avoir des effets positifs, mais elle mène aussi les filles à choisir des études menant vers des carrières moins rémunératrices et ayant moins de possibilités de développement de carrières professionnelles. Les parents et enseignants ont un rôle à jouer ici aussi, sur l’impact des stéréotypes de genre sur les choix de carrière des filles et des garçons.

En entreprise, les solutions sont multiples. L’essentiel tient dans le rôle de la direction. Quand les choses viennent d’en haut, comme le fait d’embaucher au même salaire ou une volonté réelle de diversifier les équipes, tout découle plus simplement. Il y a aussi un rôle des RH sur les messages transmis sur les ouvertures de postes : indiquer le fait que le salaire est négociable par exemple. Les femmes se sentent ainsi autorisées à négocier là où les hommes ne vont pas attendre d’avoir la permission. Les femmes ont un peu ce syndrome de l’imposteur et notre rôle est de leur apprendre à avoir conscience des biais, et développer des stratégies pour éviter les pièges professionnels qui découlent de ces biais. Mais il est aussi fondamental que l’environnement professionnel remette en question ses normes, notamment lorsqu’il s’agit d’évaluer les compétences professionnelles, afin de mieux reconnaître celles des femmes.  

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