TRIBUNE | Il fallait au moins ça pour en finir avec les “fake news”. Un de ces scandales dans un verre d’eau dont notre époque a le secret. Le président du Comité d’organisation des Jeux Olympiques de Tokyo, Yoshiro Mori, vient de démissionner sous la pression des sponsors de l’événement. Détournement de fonds ? Viol en réunion ? Vous n’y êtes pas : le vénérable dirigeant de 83 ans avait osé dire que “les femmes parlaient trop”. Mais le scoop n’est évidemment pas celui qu’on croit.

Le 21 janvier dernier, le Times de Londres nous informait que “les Jeux de Tokyo devraient être annulés à cause du coronavirus”. Pour ce prestigieux organe de presse, le gouvernement japonais s’apprêtait à annoncer leur report à… 2032. A l’appui de ces affirmations loufoques, quelques sources soi-disant gouvernementales témoignaient sous couvert d’anonymat : personne n’osait le dire, mais la décision était déjà prise en haut lieu et ne tarderait pas à être rendue publique.

Immédiatement, les instances suprêmes avaient démenti ces allégations. Le président du CIO (Comité international olympique) lui-même, Thomas Bach, a réaffirmé qu’il “n’y avait pas de plan B”. Et les organisateurs japonais ont précisé qu’aucune annulation n’était en discussion. L’événement serait au contraire une occasion immanquable de réunir la communauté mondiale du sport et de tous ses adeptes à travers le monde, après de longs mois de repli sur soi.

La “breaking news”, la vraie, est donc la suivante : les Jeux 2020, reportés pour la première fois en temps de paix, auront bien lieu du 23 juillet au 8 août 2021 à Tokyo. Et le pays du soleil levant ne ménage aucun effort ni aucun sacrifice pour y parvenir. La preuve. N’en déplaise à quelques journalistes londoniens aussi rigoureux qu’un bloggeur Trumpiste, le pays est à la fois parfaitement capable et totalement déterminé à les organiser. 

Et la pandémie de Covid ? Mardi 9 février, le Premier ministre Yoshihide Suga décrétait une prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 7 mars à Tokyo. Les horaires d’ouverture des restaurants sont actuellement réduits et les conditions d’entrée dans le pays sévèrement durcies pour les étrangers. Par ailleurs, des mesures concernant spécifiquement les Jeux sont encore à l’étude, comme la restriction des déplacements des athlètes pendant la compétition ou du nombre de spectateurs.

Le Japon a toujours su se donner les moyens de ses ambitions. Le mythique athlète Carl Lewis, recordman du 100 mètres en 1991, n’en a jamais douté : il avait apporté son soutien à la candidature du Japon dès 2013. Et les passionnés comme les journalistes sérieux – ou plus âgés – se souviennent que Tokyo avait déjà dignement accueilli les JO en 1964. Un succès pour la première ville asiatique à organiser l’événement, qui signait aussi le grand retour du Japon sur la scène internationale après la Seconde Guerre Mondiale.

Derrière cette prouesse, un partenariat avec le géant de la publicité Dentsu avait permis de donner aux Jeux une aura nouvelle, tout en allégeant leur coût pour le contribuable. Et ce, grâce à une innovation : le financement conjoint de près de 2 milliards de dollars par des institutions publiques et privées. En proposant à des entreprises japonaises et étrangères d’associer leur image à celle des Jeux, Dentsu ouvrait la voie à un nouveau modèle économique aujourd’hui incontournable.

Si les Jeux Olympiques de Los Angeles, en 1984 ont été les premiers dans l’histoire à être rentables, c’est grâce à ce fameux modèle. Cet été-là, le contribuable américain n’a déboursé que 75 millions de dollars de sa poche, sur les 473 millions engloutis par l’organisation. Et aujourd’hui, plus un seul événement public d’envergure internationale – sommets, festivals, Coupe du monde – ne fait l’impasse sur les bénéfices du système Dentsu.

Le Japon a amplement mérité “ses” Jeux et le monde entier n’attend qu’une chose : pouvoir enfin communier de nouveau, à l’occasion d’un événement spectaculaire qui fera oublier un instant “les gestes barrières” et autres “mesures sanitaires”. Ce ne sont donc pas quelques lignes douteuses dans un article britannique, ni même les propos vaguement machistes d’un dirigeant du comité d’organisation, qui empêcheront le Japon de faire des JO 2020 le grand événement de l’été 2021. 

Tribune rédigée par Pascal Bories, journaliste et directeur de publication de Confluences

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