Lorsqu’on entend parler de recouvrement de créances, on pense tout de suite huissier, tribunal et saisie de biens. Pourtant, dans 95 % des cas, les professionnels du secteur parviennent à trouver un arrangement amiable. Focus sur un métier méconnu, avec Nathalie Lameyre, présidente d’EOS France, acteur majeur sur le marché du recouvrement de créances.

 

Le marché de l’acquisition de créances se développe rapidement en France. Pourquoi un tel engouement ?

Nathalie Lameyre : Pendant longtemps, nos clients – qui sont en majorité des banques, des établissements financiers et des grands donneurs d’ordres – ont fait appel à nos services pour gérer le recouvrement de leurs créances impayées ou contentieuses. Mais depuis 2003, l’acquisition de créances NPL (Non Performing Loans) est en plein essor. De nombreux établissements bancaires ont en effet choisi de se recentrer sur leur cœur de métier. Ils ont commencé par céder de petits portefeuilles de créances –d’une valeur moyenne autour d’un million d’euros. Puis le mouvement s’est accéléré avec la ratification des accords Bâle II et Bâle III, qui imposent aux banques de nouvelles contraintes bilancielles et opérationnelles. L’histoire ne s’arrête pas là, puisque le cadre législatif évolue en permanence. Une nouvelle directive européenne exigera bientôt que l’encours des banques comporte moins de 5% de créances NPL. Résultat, les banques cèdent aujourd’hui des pans entiers de leurs encours contentieux. On parle de montants conséquents, avec des portefeuilles d’une valeur de 100 à 200 millions d’euros.

En dépit de cette accélération, les banques françaises affichent toujours un retard sur leurs voisines européennes. A date, leur bilan contient encore un stock de créances NPL de plus de 120 milliards d’euros, le plus important d’Europe après l’Italie. Tout l’enjeu, c’est donc d’accompagner les acteurs bancaires dans l’aménagement de leur bilan. Mais pour cela, encore faut-il avoir la force de frappe nécessaire pour répondre aux appels d’offres, qui deviennent plus fréquents, plus complexes, et concernent de plus gros portefeuilles.

 

Est-ce la raison pour laquelle on assiste depuis quelques années à une concentration des acteurs sur le marché du recouvrement de créances ?

Nathalie Lameyre : Absolument. On comptait auparavant plus de 800 acteurs de taille moyenne. Aujourd’hui, il en reste moins de 300, et la plupart ont fait le choix de se spécialiser sur un type de créance, ou sur une région spécifique. Par contraste, les sociétés capables d’opérer à l’échelle nationale en gestion pour compte de tiers ou en acquisition se comptent sur les doigts de la main. EOS France en fait partie, grâce à l’appui financier de son actionnaire, le groupe OTTO, qui emploie plus de 50 000 personnes à travers le monde et a généré un chiffre d’affaires de 15 milliards d’euros en 2020. Ce soutien nous permet d’acquérir des portefeuilles de créances sans nous associer systématiquement à des fonds d’investissement. C’est un réel avantage, car notre métier est souvent peu en phase avec les impératifs des fonds. Ces derniers exigent un retour sur investissement rapide, alors qu’il faut souvent plus de 15 ans pour recouvrer les créances d’un portefeuille.


Quels sont les incontournables pour réussir dans ce métier ?

Nathalie Lameyre : L’acquisition de créances est devenu un métier d’asset manager et d’expert, son exercice implique de maîtriser une large palette de compétences. Il faut par exemple savoir analyser, et pricer les portefeuilles de créances. Cela requiert des équipes d’analystes, de statisticiens et d’experts juridiques et immobiliers. Ensuite, vient le recouvrement des créances à proprement parler. On s’appuie pour cela sur des équipes de conseillers, mais aussi des négociateurs et des juristes. Le développement de nouvelles technologies, via l’intelligence artificielle, la modélisation et l’automatisation des tâches, apporte un soutien bienvenu à nos équipes. Mais le processus n’en demeure pas moins long et coûteux, puisqu’il faut négocier avec les débiteurs, les accompagner, et leur proposer des solutions adaptées à leur situation – en réétalonnant leur échéancier, par exemple. Le jeu en vaut toutefois la chandelle, puisque dans 95 % des cas nous parvenons à trouver une solution amiable.


Quelle est la place de l’éthique dans votre métier ?

Nathalie Lameyre : Notre devise est « EOS. Changing finances for the better ».  Depuis la création d’EOS France en 1993, nous avons fait preuve d’un engagement sans faille auprès de nos partenaires, mais aussi de nos débiteurs, que nous aidons à se débarrasser de leurs « mauvaises dettes ». Toutes nos actions s’inscrivent dans une démarche de conciliation et de respect du débiteur. Chez nous les procédures judiciaires sont un recours extrême, que nous employons seulement lorsque plus rien ne fonctionne. C’est un vrai plus aux yeux de nos clients-partenaires, pour qui le risque d’image est fort en cas de contentieux. Pour aller plus loin, EOS a créé une Fondation – baptisée Finlit – qui a pour objectif de sensibiliser les plus jeunes à la gestion d’un budget, et de leur apporter une éducation financière qui fait aujourd’hui cruellement défaut en France.