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Transformation numérique et développement durable : Les clefs d’une réconciliation

L’industrie numérique est responsable de 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Elle représente 2,5 % de l’empreinte carbone de la France et le nombre de tonnes de Co2 émis par l’industrie numérique pourrait tripler d’ici 2050. L’Arcep rappelle qu’en 2021, Les émissions de gaz à effet de serre des quatre opérateurs de communications électroniques atteignaient 373 000 tonnes équivalent CO2 en 2021, soit une hausse de 3 % en un an.

 

Interpelés par ces constats, le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires appelle à l’adoption de quelques bons réflexes[1]. Ceux-ci visent à prolonger la durée de vie des équipements exploitant les technologies numériques et à réduire la consommation d’énergie associée. Cette communication s’achève par une invitation à modérer notre consommation de contenus vidéo, très gourmands de bande passante, au profit de contenus purement audio. Aucun appel à réduire notre temps journalier d’usage des technologies numériques n’est lancé par le ministère.

En regard des origines des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie numérique, la communication ministérielle est d’une rationalité sans faille. Elle conduit à distinguer la fabrication des biens d’équipement utilisant les technologies numériques de l’usage de ces derniers.

 

La fabrication des biens d’équipement numérique et les émissions de Co2

La fabrication des équipements numériques, des data centers et des réseaux pèsent pour 79% des émissions carbonées de cette industrie. Près d’une tonne de matériaux est utilisée chaque année et pour répondre aux usages numériques de chacun d’entre-nous. Chaque utilisateur génère 300 kg de déchets par an. L’allongement de la durée de vie de nos équipements est donc une priorité absolue. La multiplication des ventes de biens d’équipement d’occasion ou reconditionnés est également une excellente nouvelle. Ainsi, le marché des smartphones est marqué par le recul du volume des ventes de téléphones neufs (-150 000 en un an), compensé par une hausse de celui des téléphones reconditionnés (+175 000 sur la même période). Le développement de produits modulaires[1] permettra bientôt, nous l’espérons, de concilier l’intégration du progrès technique et l’allongement de la durée d’utilisation de nos smartphones ou ordinateurs.

 

L’usage des équipements numériques et les émissions de Co2

L’usage des équipements utilisant les technologies numériques représente 21% des émissions de Co2. Les trois-quarts de cette empreinte carbone trouvent leur origine dans le fonctionnement des datacenters. Le quart restant est directement lié à l’utilisation des réseaux. Le remplacement des réseaux cuivre par la fibre optique s’accompagne d’une réduction drastique de la consommation moyenne par abonnement au réseau fixe. Celle-ci passe de 34 kWh sur le réseau cuivre à moins de 10 kWh sur le réseau en fibre optique. Ainsi, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre liée à l’usage des technologies numériques sera principalement portée dans les années futures par les consommations énergétiques des datacenters.

 

Où allons-nous ?

Le nombre total d’équipements numériques en France a été estimé à près de 800 millions. D’année en année, ce chiffre ne cesse de croitre. La nature envahissante des technologies numériques s’accompagne d’une multiplication de ses usages. D’un côté, nous sommes prêts à consentir à tous les efforts pour allonger la durée de vie des équipements en notre possession. De l’autre, nous valorisons fortement, et certainement avec raison, les nouvelles applications des technologiques numériques. 24% des Français disposent d’un objet connecté lié à la santé, 21% à la sécurité, 19% à l’électro-ménager et 17% à la domotique. En deux ans, la part des ménages disposant d’au moins un objet connecté dans leur foyer est passé de 16% à 40%. Dans ce cadre, il convient de se demander si les prévisions d’émission de gaz à effet de serre pour l’horizon 2050 n’ont pas été sous-évaluées. Les nouvelles applications génèrent la fabrication d’un nombre croissant de produits et l’utilisation de ceux-ci passent par le développement de nouveaux datacenters.

La nature de ces nouvelles applications est également différente de celle que nous utilisons depuis le début des années 2000 : Elles travaillent sans nous et le plus souvent à notre insu. Et cela change tout. Jusqu’à présent, nous pouvions espérer que notre usage des technologies numériques, à titre professionnel ou privé, serait strictement borné par le temps durant lequel nous sommes éveillés. Regarder un film sur une plate-forme de streaming, faire une requête sur Google ou Chat-GPT, assister à une réunion professionnelle sur Teams nécessite notre attention et la durée journalière de celle-ci est limitée. Ainsi, les Français passent en moyenne 5h et 19 mn par jour sur Internet. C’est presque quatre fois plus qu’il y a 10 ans mais c’est surtout le tiers du temps durant lequel nous sommes éveillés. La fin du confinement et un léger repli du télétravail a entrainé une baisse de 5% du temps passé online en 2022. Nous pouvions donc espérer avoir atteint un plateau. En refusant de consacrer plus de temps à leurs activités en ligne, les Français limiteraient leur acquisition de nouveaux biens d’équipements numériques et ne solliciteraient pas davantage les datacenters. Ces deux points contribueraient à freiner la hausse des émissions de gaz à effet de serre liés à l’industrie numérique.

La multiplication des équipements numériques liés à la domotique, l’électro-ménager, la sécurité ou la santé réduisent cet espoir à rien. Ces équipements travaillent en dehors de notre attention, de manière simultanée, 24h sur 24. Ainsi, la demande concernant ces nouveaux équipements numériques n’est plus limitée par le temps que chacun d’entre nous peux consacrer à leur usage. Le marché est donc potentiellement illimité.  Nous indiquions que 800 millions de terminaux numériques étaient actuellement utilisés en France. Il est possible que ce chiffre soit multiplié par 2 ou 3 d’ici la fin de la décennie.

 

Que faut-il faire ?  

Un grand nombre des nouveaux terminaux numériques est fourni comme le support physique gratuit d’un service payant. A titre d’exemple, les offres de télésurveillance ou de téléassistance fonctionnent sur ce principe. Dans le secteur de l’électro-ménager ou de la domotique, le composant connecté est intégré à un produit dont il augmente la valeur. Dans tous les cas la valeur du terminal numérique ou du composant connecté n’est pas mesurée en dehors du système d’offre qui les contient. Ceci conduire à obscurcir l’utilité attachée à ces terminaux et composants. Ainsi, les externalités négatives de ces biens sont parfaitement connues mais l’ intérêt individuel ou social de ceux-ci n’est pas mesuré. Dans un tel cadre, il est facile d’appeler à une taxation massive des terminaux numériques et des composants connectés. On peut également en appeler au législateur pour freiner leur multiplication et rendre leur acquisition plus difficile.

Nous pensons qu’il est urgent d’associer une valeur de marché à ces biens. Cette valeur doit permettre de synthétiser leur coût de production et l’utilité qui leur est attachée. Ainsi, tous les terminaux numériques et composants connectés dont l’impact environnemental est important ne devraient plus être proposés comme la partie gratuite d’un système d’offre. Dès lors, il appartiendrait aux utilisateurs de choisir les terminaux et composants qui maximisent leur utilité compte tenu de leur budget et du coût d’acquisition de ces biens. On retrouve ici le programme de maximisation de l’utilité du consommateur sous contrainte de budget cher à la micro-économie. Cette solution décentralisée présente à notre sens beaucoup d’avantage. Tout d’abord, elle interdit à une autorité centrale de juger de ce qui est utile, ou non, à chacun d’entre-nous. Ensuite, elle révèle à chaque utilisateur le coût réel de ces biens. L’arbitrage entre l’utilité et le coût supporté cesse donc d’être biaisé et ceci devrait conduire à une consommation plus raisonnée des terminaux numériques et composants connectés. Enfin, cette solution amorce une réflexion plus générale concernant les business model développés dans l’industrie numérique et leur adéquation avec les exigences du développement durable. A titre d’exemple, subventionner le remplacement d’un smartphone conduit à nier son coût de production réel et biaise l’arbitrage du consommateur entre l’utilité marginale tirée de l’accroissement des performances et le prix à payer pour accéder à celles-ci. 

 

Conclusion

La transformation numérique ne s’oppose pas, en soi, aux exigences d’un développement durable. La croissance des ventes de biens reconditionnés, la réduction des consommations électriques liée au passage à la fibre optique sont des signaux encourageants révélant que l’industrie numérique ne peut prospérer en dehors des préoccupations légitimes de la société. Toutefois, la nature envahissante des technologies numériques s’accompagne d’une multiplication d’objets connectés dont les fabrications cumulées représentent une menace pour la qualité de notre environnement. Très légèrement opposés à ce qu’une autorité centrale définisse ce qui est utile à chacun d’entre-nous, nous avons voulu défendre ici une solution décentralisée. Nous avons souligné le biais d’arbitrage actuel de consommateurs conscients de l’utilité qu’ils tirent des objets connectés sans en connaitre ou en supporter le coût réel. La solution que nous avançons nécessite que la réalité des coûts de production des objets connectés soit accessible aux utilisateurs et qu’ils supportent la totalité de ceux-ci. Nous invitons les consommateurs à se détourner de systèmes d’offre qui obscurcissent la réalité de ces coûts. Nous pensons que l’action du législateur doit être centrée sur la régulation des business model utilisés par l’industrie numérique. Un bon début serait l’arrêt des subventions au changement de smartphones tel qu’elles sont aujourd’hui proposées par les opérateurs de téléphonie.  

 

Cet article a été écrit par : Pascal MONTAGNON, Directeur de la Chaire de Recherche Digital, Data Science & Intelligence Artificielle

Eric BRAUNE, Professeur associé – OMNES EDUCATION RESEARCH CENTER

 

[1] Le projet de smartphone modulaire porté par Google a été abandonné mais il n’est pas nécessaire de réussir pour persévérer :  https://www.youtube.com/watch?v=ijCpDMdY3GM

[1] https://www.ecologie.gouv.fr/numerique-responsable-comment-adopter-bons-reflexes

 

<<< À lire également : Réinventer l’entreprise : l’alliance du numérique et de l’humain >>>

 

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