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Future of Tech | La France et l’IA : pour éviter le rendez-vous manqué

« Tant que le Vieux Continent laissera carte blanche aux États-Unis et à la Chine pour conquérir nos marchés publics, nos entreprises n’auront pas les moyens d’atteindre une taille critique. Je plaide donc pour une fermeture partielle de notre marché intérieur à l’échelle européenne. »

Future of | A partir du 13 mai, tous les jours sur forbes.fr, vous retrouverez un contributeur qui, chaque semaine, analysera les perpectives et les dynamiques à venir dans chacune des grandes thématiques traitées par Forbes : future of world (le lundi), of finance (le mardi), of work (le mercredi), of tech (le jeudi) et sustainibility (le vendredi).

 

Nous sommes nombreux à ne pas mesurer à quel point l’IA a déjà pénétré nos vies et à quel point elle va les révolutionner. Pourtant, voilà bien un train qu’il ne faudra pas rater. Il faut sensibiliser le grand public aux enjeux de l’intelligence artificielle, à ses bienfaits ainsi qu’à ses dangers, ce qui n’est pas assez fait aujourd’hui. 

Un exemple. À l’automne 2023, Stanislas Guérini, le ministre de la Fonction publique, annonce le déploiement d’un ChatGPT du service public pour aider les fonctionnaires à répondre aux questions des usagers. Problème : la technologie utilisée pour cette IA du service public est celle d’Anthropic, une société américaine dans laquelle Amazon a investi… 

En 2018, le président Macron, tout juste élu, voulait faire de la France l’un des leaders en matière d’intelligence artificielle. Il avait raison. « Nous avons les talents, nous avons tout pour relever le défi de l’IA » assurait-il, en prenant soin de rappeler que le sud-coréen Samsung allait installer à Paris son troisième plus grand centre de recherche dédié à l’intelligence artificielle au monde et que le groupe informatique américain IBM s’apprêtait à recruter 400 experts d’intelligence artificielle dans l’Hexagone. Le chef de l’État avait demandé à l’un des députés de son mouvement, Cédric Villani, mathématicien lauréat de la prestigieuse médaille Fields, de lui remettre un rapport sur le sujet, signe d’une possible ambition tricolore en la matière. J’étais tout ouïe, impatient de découvrir l’ampleur de l’investissement que mon pays allait consacrer à cette technologie révolutionnaire. 

 

« ChatGPetit »

Patatras ! Lorsque j’ai découvert dans la presse que ce fameux « Plan intelligence artificielle » allait être doté d’une enveloppe d’1,5 milliard d’euros sur quatre ans (2018-2022), j’ai compris que les moyens dévolus à l’IA en France resteraient, à ce stade, riquiquis… Un milliard et demi, pour un pays comme le nôtre, c’est bien trop peu. Microsoft, à elle toute seule, a investi dix milliards ! Depuis, l’État a présenté la deuxième phase de sa stratégie nationale pour l’IA (2021-2025) avec un budget d’1,5 milliard d’euros de financements publics et 506 millions d’euros de cofinancements privés. C’est mieux, mais toujours pas suffisant. À ce rythme, comment rattraper les États-Unis et la Chine ? L’Empire du milieu représente 52% des dépôts de brevets dans l’IA, les US sont deuxièmes avec 17% et l’Europe (incluant le Royaume-Uni) pointe à un dramatique 4%. C’est bien simple : selon le Financial Times, les start-up européennes (plus celles du Royaume-Uni et d’Israël) spécialisées dans l’IA n’ont levé que 4Mds$ au premier semestre 2023 versus 25Mds$ pour les start-up américaines. De quoi faire seulement un « ChatGPetit »…

À l’heure actuelle aucune entreprise française ou même européenne n’est en position de leader sur un sujet d’avenir lié à l’IA, qu’il s’agisse des robots conversationnels comme ChatGPT ou des véhicules autonomes. Sur les treize licornes répertoriées dans l’IA générative type ChatGPT (ces entreprises valorisées plus d’un milliard de dollars), aucune n’est européenne. Pourtant, en France, dans les années 1980, nous étions à la pointe dans les secteurs clés du nucléaire, du militaire, du transport ferroviaire et de l’aéronautique. Désormais, nous excellons dans le luxe et les cosmétiques. C’est très bien mais ce n’est pas suffisant pour nous imposer sur l’échiquier géostratégique et technologique mondial. Nous devons impérativement investir dans les nouvelles technologies en général, et dans l’intelligence artificielle en particulier ! 

 

Marchés publics et taille critique

Nos responsables politiques doivent prendre conscience, et vite, de l’infini des possibilités offertes par l’intelligence artificielle et doper les investissements en la matière. Cette technologie va nécessairement créer des richesses. Elle pourrait provoquer une hausse du PIB mondial annuel de 7% selon une étude de Goldman Sachs, rendez-vous compte ! Nous ne pouvons pas passer à côté de cette formidable opportunité. Nous ne pouvons pas la sous-estimer, ni nous l’interdire. L’Union Européenne doit rattraper son retard en la matière et développer ses propres outils d’intelligence artificielle. 

Mais tant que les entreprises américaines inonderont notre marché de leurs produits et services, nous ne pourrons pas développer les nôtres. Tant que le Vieux Continent laissera carte blanche aux États-Unis et à la Chine pour conquérir nos marchés publics, nos entreprises n’auront pas les moyens d’atteindre une taille critique. Je plaide donc pour une fermeture partielle de notre marché intérieur à l’échelle européenne. Oui, nous devons instaurer davantage de protectionnisme, comme nos concurrents le font. Le grand public ne le sait sans doute pas, mais en Chine, vous ne pouvez pas accéder à Google, Amazon, LinkedIn ou ChatGPT. Le pays a fermé son marché aux GAFAM et encouragé ses entreprises à développer leurs propres applications. Résultat, Alibaba, l’équivalent d’Amazon, a créé son propre outil d’intelligence artificielle générative baptisé Tongyi Qianwen (« la machine qui sait tout ») tout comme Baidu, l’équivalent de Google, qui a présenté récemment son Ernie Bot. 

Voilà une des clefs de la souveraineté numérique. L’Europe doit s’en inspirer, afin d’encourager l’innovation et protéger ses intérêts. 


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