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Élections présidentielles en Argentine : rupture ou continuité ?

Ce dimanche 22 octobre, les argentins se rendent aux urnes pour élire leur nouveau Président. D’après les résultats des élections primaires, les trois principaux candidats à la présidence sont l’économiste d’extrême droite Javier Milei, tête du parti « La Libertad Avanza » (La Liberté Avance), l’ancienne ministre de sécurité Patricia Bullrich, appartenant à la coalition de droite « Juntos por el Cambio » (Ensemble pour le Changement) et l’actuel ministre de l’économie, Sergio Massa, membre de la coalition de centre-gauche « Frente de Todos » (Front de Tous).

Les élections ont lieu dans un cadre macroéconomique extrêmement dégradé. Selon l’institut de statistiques local (INDEC), l’inflation cumulée en Argentine entre janvier et septembre de 2023 est de 103,2% et pourrait atteindre plus de 200% en cumul d’ici la fin de l’année. Parallèlement, selon l’INDEC, au premier semestre 2023, 40,1% de la population est passée sous le seuil de pauvreté, soit environ 18,4 millions de personnes. Parmi elles, 9,3% (4,2 millions) sont considérées indigentes, c’est à dire que leurs revenus se trouvent au-dessous du coût d’un panier d’aliments de subsistance.

Face aux difficultés du pays pour attirer des capitaux externes, le financement du déficit public repose essentiellement sur la Banque Centrale (BCRA). Ce type de financement génère davantage d’inflation en Argentine et pèse fortement sur les marges de manœuvre de la BCRA. En effet, pour contrer les effets inflationnistes d’une telle politique, la BCRA « stérilise » ses interventions, en cédant notamment des actifs rémunérés et en puisant dans ses réserves de change. Ces dernières, calculées en nettes (hors réserves difficilement mobilisables à court terme), sont même négatives (estimées aux alentours de -6 milliards USD selon plusieurs cabinets de conseil). Ces éléments contribuent à une forte volatilité du peso, qui a perdu la moitié de sa valeur face au dollar depuis le début de l’année. Dès lors, les argentins se tournent massivement vers l’achat de dollars, accentuant la pression sur le taux de change. 

En campagne électorale, l’actuel ministre de l’économie, Massa, déclare vouloir se centrer sur la consolidation des finances publiques et le développement inclusif, mais n’a toujours pas présenté de programme officiel pour un éventuel nouveau mandat. Après avoir obtenu la troisième place aux élections primaires d’août dernier, Massa a annoncé une dévaluation de 22% du peso vis-à-vis du dollar, suivie de réductions d’impôts et de bonus extraordinaires pour certaines catégories de travailleurs et de retraités dans le but d’améliorer un pouvoir d’achat affaibli par l’inflation. Une annonce qui peut sembler paradoxale au vu de son objectif de consolidation des finances publiques.  Le financement de telles mesures pose également question d’autant plus que leur coût est conséquent et estimé à environ 1,3% du PIB. Ces dépenses supplémentaires éloignent toujours davantage tout espoir de respecter l’engagement pris par le gouvernement auprès du Fonds Monétaire International (FMI), qui vise à limiter le déficit budgétaire primaire à 1,9% du PIB à la fin de l’année. D’ailleurs, les mesures mises en place lors des dernières semaines vont à l’encontre des demandes faites par le FMI lors de la dernière révision des conditions du prêt accordé à l’Argentine orientées à “renforcer les contrôles des dépenses publiques […] et contenir les salaires (des fonctionnaires) publics et les pensions”.

De son côté, Bullrich propose, sans rentrer dans les détails, de mettre en place une économie bimonétaire où le peso argentin et le dollar américain pourraient légalement cohabiter. Milei, pour sa part, défend une solution aussi radicale que polémique : un passage progressif de l’économie argentine à une dollarisation intégrale et la dissolution de la banque centrale. Cependant, les réserves nettes négatives semblent menacer la faisabilité du projet. L’incertitude est totale et les marchés financiers se méfient de la solvabilité des émetteurs de dette.  Dès lors, le risque de défaut de paiement augmente fortement, avec une prime CDS à 5 ans sur le souverain qui culmine à près 6 000 points de base, soit le niveau le plus élevé au monde actuellement.

Dans un contexte macroéconomique où l’inertie inflationniste frôle l’hyperinflation et les récentes exonérations fiscales désespérément populistes réduisent les recettes de l’État alors que les chèques démagogiques augmentent ses dépenses, la pression sur le déficit budgétaire et sa monétisation via le déficit quasi-budgétaire s’alourdit. Le soi-disant « remède » est pire que le mal et laissera au prochain gouvernement une banque centrale à bout de souffle et un bilan encore plus difficile à redresser.

Par Nadia Allemand, économiste chez BSI Economics

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