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Moussa Camara, fondateur des Déterminés : « Mon conseil pour les jeunes : n’oubliez pas que l’intelligence économique ne suffit pas, entourez-vous bien et foncez ! »

Moussa Camara, fondateur des Déterminés.Moussa Camara, fondateur des Déterminés.

Fondée en 2015 par Moussa Camara à Cergy, l’association Les Déterminés souhaite donner à tous une chance d’entreprendre, y compris en banlieue et dans les milieux ruraux. Au programme : une formation gratuite de 6 mois qui a permis de sensibiliser plus de 10 000 jeunes dans l’entrepreneuriat depuis sa création. Moussa Camara, fondateur de l’initiative, nous explique comment il a réussi à faire des Déterminés une organisation incontournable de la French Tech.

Comment vous est venue l’idée de créer cette association ?

Moussa Camara : J’ai grandi dans le quartier Croix-Petit à Cergy (Paris) et juste avant la fin de mon Bac pro autour de mes 21 ans, j’ai créé ma première association. Il s’agissait d’une initiative baptisée Agir Pour Réussir, qui visait à enclencher des actions citoyennes et sportives et rapprocher les habitants oubliés des institutions. À la base, je ne souhaitais pas particulièrement lancer ma propre entreprise mais j’ai très vite compris à quel point il est difficile pour un jeune de quartier d’entrer dans le monde professionnel. J’ai rencontré un technicien qui m’a fait comprendre que je pouvais me mettre à mon compte.

C’était assez difficile à concevoir car je ne connaissais aucune personne dans mon entourage qui s’était déjà lancée dans l’entrepreneuriat. Je ne connaissais pas les démarches administratives à suivre mais ma détermination m’a poussé à y aller et à apprendre de mes erreurs. Aujourd’hui, on veut souvent me ramener à mon passé, quand bien même ma vie a grandement changé : je n’ai plus les mêmes difficultés car l’entrepreneuriat m’a permis d’en arriver là et de développer des compétences sans passer par les études.

C’est ce parcours qui vous a ensuite mené vers la création des Déterminés ?

M. C. : Quand j’ai créé Les Déterminés, je me suis rendu compte que les jeunes des zones populaires et rurales avaient en majorité une volonté d’entreprendre très forte mais aucun projet de leur part ne résistait plus de 3 ans. J’ai compris que cela pouvait être un levier d’émancipation mais il fallait canaliser et structurer cette envie pour mener à la réussite. Nous sommes parvenus à faire comprendre à ces jeunes qu’il faut être déterminé pour réussir et surtout pour rebondir face aux échecs.

Il ne faut rien lâcher, faire preuve de force de caractère pour déjouer les statistiques et surtout dépasser l’idée d’un déterminisme social qui conditionnerait ces jeunes à l’échec. Chez Les Déterminés, nous sommes aujourd’hui une équipe d’une cinquantaine de personnes et nous sillonnons la France pour faire émerger une génération d’entrepreneurs qui aspirent à l’excellence. Nous avons accompagné et formé en 8 ans plus de 1200 personnes gratuitement, aboutissant à la création de plus de 700 entreprises – dont 64% dirigées par des femmes.

Les barrières d’accès à l’emploi dans les quartiers populaires sont-elles toujours marquées ? L’accès à l’entrepreneuriat est-il un moyen de les contourner et de pallier les défaillances de l’idéal méritocratique vanté depuis plusieurs années ?

M. C. : Il y a toujours des barrières mentales à lever car beaucoup des jeunes avec un bon projet ne se sentent encore aujourd’hui pas légitimes. Dernièrement, j’ai d’ailleurs emmené avec moi 7 entrepreneurs de quartier à New York pour rencontrer des chefs d’entreprise français qui ont réussi aux États-Unis. Cela a permis de leur montrer que c’est possible de réussir et de booster leur optimisme. Nous avons rencontré également des investisseurs, nous avons même été reçus à la Maison Blanche, à l’Ambassade de France ou encore à la Chambre des Commerces.

Je me souviens en 2013 quand je commençais à parler d’entrepreneuriat dans les quartiers, je ne me sentais pas trop écouté. Puis, nous avons accentué notre sensibilisation à l’égard des entreprises et de divers écosystèmes d’aide à la création de projets et notre message à commencer à être pris au sérieux. Notre rôle est d’enrichir le secteur de la tech en allant chercher des talents, peu importe où ils se trouvent. Cela devient une évidence et je ne serais pas étonné dans les 10 prochaines années de voir des licornes émerger directement de nos territoires et de nos quartiers. C’est d’autant plus réaliste aujourd’hui étant donné que les jeunes sont tous connectés. Ils utilisent la technologie quotidiennement, se forment en ligne et nous sommes là pour les accompagner plus loin.

Il ne faut pas se relâcher une seconde sur ces sujets-là et faire comprendre au monde économique que certains de ces talents peuvent répondre à leur besoin. C’est d’autant plus nécessaire avec le contexte actuel de pénurie de talents et nous devons continuer de créer des passerelles.

Dans une interview avec Noa Khamallah, fondateur du fonds Don’t Quit Ventures, ce dernier explique que seulement 1,4% des fonds en capital risque reviennent aux projets de minorités… Constatez-vous aussi ces freins persistants qui empêchent une répartition plus inclusive des fonds ?

M. C. : Un grand problème persiste encore en France : il y a de très gros efforts sur la partie accompagnement mais l’accès au financement et au développement international reste encore très limité pour de nombreux jeunes entrepreneurs, quand bien même ces derniers génèrent du chiffre d’affaires. De plus en plus d’investisseurs se rapprochent de nous pour trouver des solutions et créer des véhicules d’investissement ensemble. De notre côté, nous accompagnons nos talents pendant 6 mois sur l’étude de leur marché et le développement de leur posture entrepreneuriale vis-à-vis du monde financier. Les chiffres font généralement peur mais il faut passer par cette éducation financière, commerciale et marketing pour tenir la route. Un entrepreneur qui ne connaît pas son marché sur le bout des doigts ne pourra pas convaincre les investisseurs.

Comment expliquer à n’importe quel jeune que l’entrepreneuriat peut être fait pour lui sans pour autant lui donner de faux espoirs ?

M. C. : C’est un sentiment humain d’avoir peur d’échouer lorsqu’on se lance dans l’entrepreneuriat. Et en France, il est vrai que l’échec est trop souvent dramatisé alors que c’est bien la prise de risques qui peut permettre de sortir de sa zone de confort. Il faut sortir de cette condition passive pour être dans l’action et créer ses opportunités. Pour y parvenir, il faut aussi se distancer de ce discours faisant miroiter l’entrepreneuriat comme propre au “petit prodige qui trouve une idée révolutionnaire dans son coin”. Cela donne une vision biaisée de la réussite à nos jeunes et ne permet pas de valoriser l’inclusion dans la French Tech.

Pour ma part, on m’a fait confiance même si je n’avais pas les diplômes requis. Et l’année dernière, Emmanuel Macron a dédié le premier déplacement de son mandat aux Déterminés. En sachant mon parcours, c’est assez extraordinaire d’en être arrivé là. Et désormais je multiplie mes interventions dans les écoles pour partager mon expérience et montrer que c’est possible de réussir en partant de rien. On a reçu cette année plus de 2000 candidatures et seulement 25 projets sont choisis en bout de course. Et une fois que ces jeunes entrent dans notre programme, ils ne sont plus vus comme des personnes issues de banlieues ou de milieux ruraux défavorisés.

Nous avons par exemple accompagné Radoine Ayourjil avec sa startup Mon P’tit Lait (vente de produits laitiers en circuit court), Yasmine Iamarene avec Midi Pile (service de livraison assuré par 50% de femmes) ou encore Amadou Dabitao avec Banlieusard Nouveau (média pour promouvoir la réussite dans les quartiers). Les Déterminés agit comme un tremplin pour ces jeunes : cela ne garantit pas la réussite mais fait gagner des années de développement. Nous organisons aussi de nombreuses masterclasses – récemment avec Alexandre Mars, Frédéric Mazzella, Steve Moradel ou encore Guillaume Lacroix – non pas pour faire uniquement l’apologie du succès mais pour comprendre comment un projet se concrétise et peut cartonner.

En parallèle, nous soutenons aussi l’employabilité dans nos quartiers par le biais de partenariats avec des grands groupes du secteur hôtelier, du transport, de la logistique ou bien de la tech. Ils expriment un besoin fort en recrutement et beaucoup de nos jeunes souhaitent simplement un emploi plutôt que se lancer dans l’entrepreneuriat. Mon conseil pour les jeunes : n’oubliez pas que l’intelligence économique ne suffit pas, entourez-vous bien, ne craignez pas l’échec et foncez !

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