logo_blanc
Rechercher

À L’ère de la Covid-19, les personnalités publiques qui propagent une vérité déformée ont un impact bien réel

vérité

Quand s’est présentée l’occasion d’analyser la déformation de la vérité dans le contexte bien particulier de la covid-19 au travers des techniques de marché, je n’ai pas hésité. L’an dernier, en France, j’ai assisté tout au long du confinement à une multiplication de prises de paroles de « spécialistes », qui partageaient publiquement leurs avis et faisaient des déclarations vraisemblablement infondées, étant donné l’incertitude de la situation. Sur tous les types de médias, la prudence s’effaçait au profit de convictions franches, voire dangereuses. Et cela, alors même que la communauté scientifique admettait qu’il demeurait d’importantes incertitudes quant aux origines, aux propriétés et au comportement du nouveau virus.

 

Cette dernière décennie, j’ai publié diverses recherches sur la façon dont nous traitons et déformons l’information au moment de choisir un produit. Dans le cadre de notre dernière étude, ma collègue chercheuse, Sandra Laporte, et moi-même avons simplement décidé de remplacer les produits par des déclarations contestées. Ces dernières étaient émises par une personnalité publique populaire, mais fictionnelle, et nous ont permis d’évaluer la réponse de l’audience à l’aide d’une stratégie de marché complexe inspirée de la psychologie du consommateur, appelée « Stepwise Evolution of Preferences », ou S.E.P.. Pour calculer les scores de déformation de la vérité, nous avons comparé les réactions des personnes ayant une préférence pour un juge fictionnel à un groupe de contrôle exempt de cet affect. Cette recherche, qui s’appuie sur des travaux existants, évalue les biais pouvant impacter nos jugements de vérité.

 

L’hydroxychloroquine ? Virus conçu par l’Homme ?

Nous avons réalisé deux expériences impliquant 1 400 travailleurs américains en leur demandant de répondre à des allégations selon lesquelles le coronavirus était conçu par l’homme et l’hydroxychloroquine pouvait en éliminer les symptômes. Les évaluations ont eu lieu entre février et juin 2020. À l’époque, les débats étaient houleux dans les médias : en France, le microbiologiste très médiatisé Didier Raoult ne jurait que par les propriétés curatives de l’hydroxychloroquine, une conviction reprise par l’ancien président des États-Unis, Donald Trump, qui avait déclaré que cette découverte constituait « l’une des plus grandes révolutions de l’histoire de la médecine ». Par ailleurs, le président américain avait également insinué que le coronavirus était né dans un laboratoire.
Dans ce contexte, Sandra et moi avons conçu un scénario mettant en scène un juge populaire (mais fictionnel) ajoutant son grain de sel au débat public avec des déclarations infondées, sans aucun appui scientifique. De cette manière, il propageait des vérités déformées devenues virales dans les médias sociaux à l’époque. Nous avons exposé des travailleurs à cette désinformation sur Amazon Mechanical Turk, un marché de crowdsourcing (production participative) sur lequel il est aisé de relever et d’analyser des données.

 

La persistance des vérités déformées

Nos résultats, publiés tout récemment dans le Journal of the Association for Consumer Research, un périodique nouvellement créé, ont révélé que neuf personnes sur dix continuaient de soutenir ces déclarations, dès lors qu’elles étaient partagées par une source appréciée ou de confiance. De plus, à notre grande surprise, le soutien des participants envers ces déclarations infondées augmentait de façon linéaire à mesure que ces dernières devenaient de plus en plus controversées. En parallèle, ceux qui réfutaient les déclarations du juge avaient tendance à déformer la vérité de façon plus marquée encore que les partisans du magistrat. En effet, cette minorité rejetant les allégations du juge maniait une vérité déformée bien plus tranchée que les personnes de notre groupe de contrôle.

 

Les dangers de la déformation de la vérité en ces temps incertains

Nos résultats soulignent que la déformation de la vérité conduit à une forte polarisation de la société et qu’il s’agit d’un phénomène particulièrement tenace. Bien entendu, ce n’est pas un événement nouveau : 33 siècles plus tôt, le peuple de Ramsès II avait accepté les déclarations de son pharaon au sujet de la bataille de Qadesh, dans lesquelles il transformait une impasse dans le conflit contre les Hittites en victoire. La déformation de la vérité ne disparaîtra pas non plus avec la fin du mandat de l’administration Trump à la Maison-Blanche. Nous sommes tous coupables de ce biais, d’une façon ou d’une autre, mais en sommes simplement moins conscients ces jours-ci, car les médias numériques nous offrent un accès sans précédent à l’information.
La véritable nouveauté, lorsque nous comparons notre ère à celle de nos ancêtres, est que les déclarations infondées se répandent beaucoup plus vite grâce aux médias sociaux. Leur accès universel entraîne un véritable bombardement d’informations, si bien qu’il en devient très difficile de démêler le vrai du faux. Notre étude tente de comprendre ce qui arrive aux consommateurs d’actualités lorsqu’ils absorbent ces informations. Nos conclusions préliminaires soulignent la nécessité absolue de réaliser des recherches plus approfondies sur la compréhension des mécanismes de cette forme de biais, des recherches que nous avons d’ores et déjà entreprises. Jusqu’à présent, nous avons découvert que la déformation de la vérité tend à alimenter nos biais, en particulier lorsque les actualités sont colportées par des personnalités publiques que nous apprécions… ou que nous détestons.

 

Anne-Sophie CHAXEL, est professeure associée de marketing à HEC Paris. En 2021, elle a été reconnue par Poets & Quants comme l’une des 40 meilleurs professeurs d’école de commerce de moins de 40 ans au monde.

 

<<< À lire également : Go Viral ! Ou Le Nouveau Jeu Qui Décortique La Fake News >>>

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC