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Marc Roche : « Hors De l’Europe, Le Royaume-Uni Finira Par Faire Jouer À Plein Ses Atouts »

BrexitGetty Images

Le Brexit va réussir : c’est le titre de l’essai de Marc Roche et le parti pris, rare et audacieux, qu’il défend avec brio. Pour lui, s’il est clair que le Royaume-Uni va souffrir pendant quelques années, les Britanniques retrouveront une place de choix dans la mondialisation. Pour Forbes France, il détaille sa vision et les atouts d’une nation qui a toujours su se différencier. Au nom de sa souveraineté.

 

Après le rejet du plan de Theresa May par la Chambre des communes, toutes les hypothèses sont évoquées : un Brexit sans accord, une nouvelle négociation, certains évoquent même l’idée d’un nouveau référendum. Bref, nous assistons à un feuilleton haletant. Selon vous, quel scénario est le plus probable ?
Marc Roche : Le seul plan sur la table, c’est celui de Theresa May, et c’est tout le problème. Il a été négocié avec Bruxelles et rejeté massivement par la Chambre des communes. Ce plan comporte deux aspects qui, s’ils sont changés par l’Union européenne, garantissent l’adoption par la Chambre des communes, le parti conservateur et les unionistes protestants. Tout dépend d’abord de la pression que va exercer l’Union européenne sur Dublin pour faire accepter l’ouverture de la frontière de manière temporaire. L’accord prévoit le maintien de tout le Royaume-Uni dans l’Union douanière jusqu’à la conclusion d’un accord commercial. Je trouve qu’en insistant sur la nécessité juridique d’avoir un backstop, les Irlandais ont tort. Un peu de pragmatisme et l’affaire passera. La seconde chose est que l’Union européenne doit maintenant faire des compromis. Je crois que cela va se faire sous la pression des pays membres qui ont le plus à perdre d’un départ abrupt du Royaume-Uni, à savoir la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, la France avec les ports du nord, ainsi que l’Espagne et le Danemark à cause de la pêche. Je suis assez optimiste. Ce qui risque de se passer, c’est un départ sans accord géré. Mais il n’y aura pas de deuxième référendum. Ce serait provoquer une guerre civile, un retour du populisme. L’establishment trahirait le peuple.

Jusqu’où Theresa May peut-elle aller aujourd’hui ? Ses marges de manœuvre sont-elles rétrécies ?
M. R. : Le Royaume-Uni n’a pas le choix. Il n’y a pas d’alternative à Theresa May. Le public admire sa détermination, son dévouement presque « christique », son sens du compromis et son pragmatisme. Même si au départ elle a fait preuve d’un certain dogmatisme en mettant des lignes rouges qui ne pouvaient pas être tenues, il n’y a pas d’autre leader. Chez les conservateurs, toutes les grosses locomotives qui auraient pu la défier, les Boris Johnson, Michael Gove et certains membres du Cabinet comme Philip Hammond, sont déconsidérés. Malgré toutes les couleuvres que doit avaler Theresa May, elle est plus populaire que le leader de l’opposition Jeremy Corbyn. Elle est largement en tête des sondages et c’est le Premier ministre préféré des Britanniques. Si elle parvient à trouver une forme d’accord qui passe par les Communes, elle deviendra un très grand Premier ministre. Si elle n’y parvient pas, elle restera celle qui a essayé de trouver une solution au Brexit.

Alors que le monde entier promet un destin funeste au Royaume-Uni, vous défendez avec force que le Brexit peut réussir.
M. R. : Cela fait plus de trente ans que je vis au Royaume-Uni. J’y suis très heureux, j’y ai ma vie personnelle. Ici, j’ai à la fois un pied en Europe et un pied aux États-Unis et dans les pays du Commonwealth. C’est un pays planétaire, la société « royaumunienne » multiculturelle fonctionne. Sa capitale, Londres, est une ville-monde…
Avec le Brexit, j’ai décidé deux choses. J’ai d’abord choisi de prendre la nationalité britannique tout en gardant ma nationalité belge. Ensuite, j’ai été profondément choqué par l’arrogance de mes amis français et européens sur le fait qu’en dehors de l’Union européenne, il n’y avait point de salut ! C’est-à-dire qu’un pays qui quitte l’Union européenne comme le fait le Royaume-Uni est condamné à la catastrophe, à la pauvreté, à devenir une petite puissance. Le pays serait voué à être la « petite Angleterre » par rapport à cette merveilleuse réussite qu’est l’Union européenne. J’ai donc essayé de réfléchir aux atouts qu’a ce pays pour survivre au post- Brexit. En les analysant, je me suis rendu compte que, finalement, l’avenir était très positif. Je fais totalement abstraction de l’accord dans mon analyse. Ce pays va souffrir, beaucoup en cas de new deal, peu en cas d’accord. Mais une fois en dehors de l’Union européenne, il finira par faire jouer à plein ses atouts à long terme.

Pouvez-vous expliciter votre vision ?
M. R. : Ce pays retrouvera sa souveraineté, le contrôle de ses lois et pourra jouer à fond sur ses grands atouts : l’économie de services et la finance, avec la City comme point d’appui. Le Royaume- Uni pourra embrasser un dessein mondial, notamment avec les pays émergents, sans avoir à négocier avec l’Union européenne. Il va se libérer, non pas dans l’optique de cette « petite Angleterre » rabougrie comme c’est vu en France, mais dans l’optique planétaire d’un nouveau pays, devenant le pays des services, de l’économie, de la connaissance, de la société multiculturelle et, plus que tout autre, le pays de la démocratie.
La volonté du peuple va être respectée.

Ce pays est quasiment indépendant depuis le XIe siècle. N’est-ce pas dans ses gènes d’avoir un pied dedans, un pied dehors ?
M. R. : Effectivement, depuis 1066, le pays n’a pas été envahi. Il a connu des guerres de religion, des insurrections ouvrières, mais il a résisté à la peste nazie. C’est un pays qui n’a jamais été occupé et n’a pas connu de vraie révolution. Les Britanniques ont décapité le roi avant les Français, en 1649. La République a duré peu de temps et n’a pas laissé un très bon souvenir. Le système constitutionnel, même s’il n’a pas été écrit, n’a pas été changé. Les institutions n’ont pas été modifiées comme c’est le cas de la France, où il y a eu plusieurs républiques. Ce pays a toujours été à part de l’Europe, surtout par sa vocation planétaire liée à l’Empire. Il est également bon de rappeler, pour des raisons émotionnelles, que tous les Britanniques ont des parents, grands-parents ou ancêtres dans le Commonwealth, en Inde, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada ou en Afrique. Ce pays était déjà mondialisé, il l’a moins été avec son adhésion à l’Union européenne en 1973. Il va le redevenir.
Il est très clair qu’au Royaume-Uni, les inégalités sont beaucoup plus fortes qu’en Europe. Il a toujours été la porte d’entrée du libéralisme, les inventeurs du capitalisme, Adam Smith et Thomas Hobbes, étaient britanniques. Mais l’Angleterre n’est pas les États-Unis : il y a le service national de santé, des aides sociales importantes et notamment une assistance au logement. Aujourd’hui, dans la redistribution des cartes avec la mondialisation, c’est un avantage. Ce pays a toujours été à l’avant-garde du libéralisme et pourra l’être encore plus.

Depuis le vote populaire en faveur du Brexit, les Britanniques, malgré les incertitudes sur l’avenir institutionnel, ont montré que leur choix était irréversible.
M. R. :
Le monde s’attendait à l’écroulement de l’économie britannique. Le Brexit n’est pas encore arrivé, mais pour l’instant, c’est le plein emploi. La croissance du PIB est inférieure, mais elle reste très tonique. Les deux mamelles de la croissance, consommation et immobilier, n’ont pas vraiment diminué. Elles se sont poursuivies comme si de rien n’était. Le commerce extérieur a été renforcé par la baisse de la livre. Les investissements étrangers sont donc restés, contrairement à ce qu’annonçaient les Cassandres du continent. C’est là le vrai pied de nez !

Un autre constat est très intéressant dans votre essai : beaucoup de commentateurs ont souligné que de nombreuses communautés s’étaient prononcées en faveur du Brexit parce que l’Union européenne serait trop dérégulée.
M. R. :
C’est une chose qui m’a surpris et dont je n’avais pas du tout conscience avant d’écrire ce livre. Une grande partie des minorités ethniques venues d’Afrique, des Antilles ou d’origine indo-pakistanaise ont considéré que la libre circulation des travailleurs de l’Est, blancs, souvent racistes puisqu’ils viennent de sociétés qui ne connaissent pas la diversité, était discriminatoire. En même temps, bon nombre d’ouvriers et la très petite classe moyenne ont estimé que cette arrivée massive sans limites était problématique. Ce fut l’erreur de Tony Blair à l’époque d’ouvrir totalement les frontières, contrairement aux autres pays de l’Union européenne. Résultat : un million de personnes se sont installées, exerçant des pressions sur les salaires et sur les services publics en période d’austérité. Les hôpitaux, l’éducation, le logement sont devenus des problèmes aux yeux de la population la moins riche. Ils ont donc opté pour le Brexit.
Mais cette société multiculturelle va être renforcée par la sortie du Royaume-Uni. Le système d’immigration sera choisi en fonction du besoin de l’économie de médecins, d’infirmières, et ce sera le même système qu’au Canada qui est une grande réussite en termes économiques et sociaux, ainsi qu’au niveau de la culture et de l’intégration.

Pour finir, et ce n’est pas rien pour les Britanniques, vous arrivez à la conclusion que la reine Élisabeth II penche pour le Brexit.
M. R.: On ne sait pas ce que pense la reine puisqu’elle n’en a jamais parlé. Même lors de sa dernière intervention, où elle a demandé à la classe politique de s’entendre, d’être pragmatique, on ne peut pas dire que cela ait indiqué quoi que ce soit. De toute façon, elle ne vote pas. Mais si elle avait pu voter, je suis certain qu’elle aurait voté pour le Brexit. Elle a 92 ans, un goût pour la campagne, une certaine méfiance envers les intellectuels, envers Londres et son cosmopolitisme. Les trois piliers de son règne – l’aristocratie, l’Église d’Angleterre et l’armée – sont favorables au Brexit. La reine a vécu la décolonisation, elle est très attachée au Commonwealth. Elle a le profil type du vote pro-Brexit, souverainiste et upper-class. 

 

Par Stéphane Grand 

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