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L’entreprise et le supplément d’âme

sens@GettyImages

« Rien n’arrête une idée dont le temps est venu », aurait dit Victor Hugo. Il semble bien que dans le champ du travail, le temps des rétributions symboliques soit venu. De quoi parle-t-on ? Parmi les différents types de rétribution du travail, il y a bien sûr le salaire, les conditions matérielles, mais les avantages dits symboliques semblent prendre de plus en plus de place parmi les exigences des salariés. Une tendance qui touche bien sûr les nouveaux entrants sur le marché du travail, les fameux millennials, mais aussi les employés plus confirmés comme l’Apec le montre : 94 % des cadres réclameraient ce « supplément d’âme » au travail.

Contribution issue du numéro 24 de Forbes France – été 2023

Au cœur de l’affaire, « la quête de sens ». Derrière ce terme un peu flou, un peu valise, que trouve-t-on concrètement ? Cette « quête de sens » peut se déployer au niveau personnel voire intime et s’étendre jusqu’à des enjeux plus collectifs.

Les aspects psychologiques et émotionnels sont aussi importants que ce centre nerveux appelé « cortex cingulaire » qui ne cesse de nous pousser à chercher du sens à nos existences. La possibilité de pouvoir se projeter dans un dessein devient essentiel et revêt alors une dimension stratégique pour recruter au sein de l’entreprise.

Du point de vue du collectif, un certain nombre de notions, parfois un peu galvaudées, restent clés. Développement durable, responsabilité sociale des entreprises, « work-life balance » et autres « qualité de vie au travail », toutes ces notions rencontrent les aspirations des salariés. De fait, ces termes et acronymes (WLB, QVT, RSE, DD…) ne doivent pas rester les façades cosmétiques d’un travail insensé, au risque bien sûr de créer des dissonances cognitives chez les salariés. Dissonances pouvant favoriser des déceptions, des bullshit jobs, et le fameux brown-out (la perte de sens au travail) avec tous les risques de démission que cela comporte.

Le sens c’est, pêle-mêle, l’ikigaï, cette raison d’être nippone, c’est la signification, la direction, la relation, et du point de vue de la philosophie, la possibilité de rester dans l’humanité. Dans cette quête de sens, quelque chose d’existentiel se joue en effet, quelque chose de fondamental, de vital. Si le sens disparaît, c’est l’absurde qui gagne et in fine l’inhumanité qui triomphe. Souvenons-nous du Procès de Kafka, rien n’a de sens, Joseph K. est arrêté pour rien et subira des souffrances sans raison… L’absurde confinera rapidement à une forme physique et morale de déshumanisation. Primo Levi ne dit pas autre chose dans son univers dénué de sens qui conduit à l’oubli de sa propre humanité. Le sens comme récit fondamental est aussi le ciment anthropologique des communautés comme le rappelle Pierre Clastres. Sans lui, aucune société humaine ne peut durablement fonctionner.

Les plus jeunes mais pas que ont cette crainte diffuse d’un travail pris dans le tourbillon d’une ultra-financiarisation de l’économie que le drame des « sub-primes » ou des plans sociaux incompris illustrent avec force, comme la preuve d’un travail confinant à l’absurde et/ou à la destruction de la planète.

Le sens devient alors une tentative de réponse à ces dérives, et parfois même une sorte de résistance.

Reste un défi pour les recruteurs qui eux-mêmes n’ont pas toujours les armes pour résister à cet éventuel non-sens : celui de la séduction dans une logique inversée d’intraclientélisme où les entreprises doivent donner envie aux candidats de les rejoindre. Comment ? En connaissant et en intéressant les futurs salariés avec des outils de connaissance de soi (types de personnalités, par exemple) et des visions partagées : raison d’être, mission et projection au sein de l’entreprise mais aussi au-delà.

 

Cet article a été écrit par : VIRGINIE MARTIN ET ARNAUD LACAN, PROFESSEURS KEDGE BS ET FONDATEURS DE ZOOTYPO36

À lire également : Comment renforcer l’unité de l’équipe dans le monde du travail virtuel ? 

 

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