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L’Auto-Organisation Au Pays Des Psychologues

psychologueGroup of business women walking in circle as a routine of a training workshop in office. Team building training programme for businesswomen.

L’implémentation d’une gouvernance distribuée et agile n’est jamais immédiate dans une entreprise. Dans le cas particulier de Mentaal Beter, le changement d’organisation n’a pas été l’affaire de dirigeants, de cadres et d’employés, mais celle de professionnels de la santé mentale. Un défi qu’a relevé aux Pays-Bas Martin de Heer, CEO de NL Mental Care Group.

 

Entre la santé et le business

Diplômé en soins psychiatriques hospitaliers et titulaire d’un MBA en gestion et administration des affaires, Martin de Heer a commencé par créer de petites structures avec des psychologues, de façon assez informelle, dans l’idée de mettre en oeuvre des méthodes de travail différentes des grandes structures de santé. Il a essaimé quelque peu et procédé à une fusion pour créer Mentaal Beter en 2009. Le réseau compte aujourd’hui environ 1000 professionnels au service des troubles mentaux des enfants, adolescents et adultes dans 110 cabinets et cliniques. 35 000 patients suivis chaque année, un taux de satisfaction revendiqué de 8,5/10 (au-dessus de la moyenne nationale), et un chiffre d’affaire global de 80 millions d’euros. Un véritable métier, où la rentabilité intègre les spécificités du secteur de la santé ; Martin de Heer parle de clients plutôt que de patients. La différence avec une entreprise classique réside surtout dans le fait que les « employés » sont ici des psychologues, des psychiatres, des psychothérapeutes… qui ont leurs propres normes professionnelles et modes de communication. 

 

L’expansion crée le besoin d’organisation

Aux débuts de l’aventure, il n’était pas difficile d’innover en terme de management, de par la taille réduite du réseau. En grandissant, les choses se sont organisées de manière assez horizontale : 200 praticiens environ, chaque discipline ayant son praticien référent en contact avec le conseil d’administration. Mais l’ensemble avait besoin d’être fédéré, il fallait générer de l’implication… Un leadership, mais qui soit adapté à leurs métiers, et aux praticiens. 

Découvrant les écrits de Frédéric Laloux, les administrateurs ont décidé de construire quelque chose qui correspondait à sa vision de l’organisation, selon trois principes essentiels : être soi-même, s’appuyer sur une structure auto-organisatrice et disposer d’une raison d’être.

 

Déterminer son « pourquoi »

Surtout pas de précipitation sur ce point : il faudra un an de réflexion et d’échanges pour définir le pourquoi et les modalités de l’autonomisation. Martin de Heer a vu bien d’autres sociétés se lancer dans l’holacratie ou le self-management au sens large. Mais sans régler cette question du « pourquoi », les parties prenantes peuvent passer à côté du sens de l’implémentation holacratique. Le risque, dans ce cas, est que les employés ne se sentent pas à l’aise dans le système, qui devient juste une structure, une méthode, avec du vide à l’intérieur.

Le pourquoi de Mentaal Beter fut de donner aux praticiens des moyens, de « l’empowerment » afin qu’ils suivent leur intuition pour mettre en oeuvre les meilleures pratiques dans leur domaine, dans leur région, et devenir d’autant plus responsables dans la pratique de leur discipline.

 

Les « psys », une population à part entière

L’implémentation de l’holacratie s’est révélée initialement compliquée, parce que la méthode ne correspondait pas à la mentalité du groupe de professionnels. Psychologues et psychiatres sont dotés d’un profond esprit critique, analytique, de questionnement et en même temps n’ont pas vraiment l’esprit de changement. Les premières réunions étaient houleuses, on se coupait la parole pour essayer de respecter le rythme d’une réunion holacratique… « Tu me parles comme si j’étais un enfant de quatre ans ! Tu te prends pour qui ? » a entendu Martin de Heer d’un psychiatre à qui on expliquait les règles. Ces règles posaient justement intrinsèquement problème, parce qu’il n’était pas question pour ces gens de voir la constitution holacratique comme un livre sacré ! La nouvelle génération, pour sa part, était assez enthousiaste et a adopté la nouvelle gouvernance.

Le réseau Mentaal Beter est articulé autour d’un centre de services partagés. Cet ancien siège social a ainsi habilement évolué vers une organisation hybride combinant deux façons de travailler : les équipes sont définies avec des rôles et des responsabilités, et le travail est effectué en Scrum, avec un centre de services mutualisés pour répondre aux besoins des équipes…

Et les principes des réunions holacratiques sont utilisés pour définir les rôles, via la plateforme Holaspirit. 

 

Toujours plus de formation, la croissance a un coût

La formation progressive des équipes a également été un remède aux difficultés de jeunesse. Formation aux principes de l’auto-organisation d’abord, mais aussi à la gestion, coaching pour repenser sa propre organisation… Essentiel, mais chronophage, avec un impact financier non négligeable : au coût des formations s’ajoute le temps d’immobilisation et les baisses de revenus qui en résultent. Or plus la structure est grande, plus elle semble requérir de formation, une sorte d’économie d’échelle inversée. Pour bien comprendre le défi, il faut aussi regarder le contexte dans lequel l’entreprise travaille : la santé est basée sur un système financier où chaque minute est comptée. La déclarabilité est donc essentielle et le défi consiste à contenir les rôles qui prennent beaucoup de temps au sein des équipes sans nuire à l’autonomie des membres de l’équipe.

L’effectif de Mentaal Beter grandit de 30 % par an ces derniers temps, pour suivre la croissance de la clientèle. Des nouveaux arrivants qu’il faut former, et qui obligent aussi à restructurer les équipes qui ne peuvent s’agrandir indéfiniment. Cette évolution permanente oblige à des mises à jour régulières de chacun, des coachings… En auto-organisation, la croissance a un coût élevé, mais les résultats sont là : les professionnels choisissent de travailler pour Mentaal Beter en raison de l’autonomie dans les équipes.

 

Un vrai changement de pratiques

Pour Martin de Heer, la pertinence du modèle économique est constamment remise en question. Tous ces efforts portent-ils leurs fruits ?

Il y a toujours l’impératif économique, garder un œil sur la rentabilité. Pas question pour lui d’entendre : « Regardez, c’est juste une expérience. Ils ont essayé quelque chose de nouveau. Ça ne fonctionne pas ». Jusqu’ici, les finances vont plutôt bien, ce qui rend d’autant plus réjouissante l’évolution des pratiques.

Auto-organisation, responsabilisation dans la gestion… les praticiens pensent désormais différemment.

Alors qu’ils se contentaient précédemment de prendre soin des installations et de leur cadre de travail quand ils les utilisaient, ils s’avèrent aujourd’hui concernés par le fonctionnement des infrastructures, par leur optimisation. Ils se sentent véritablement propriétaires et en charge du dispositif.

Martin de Heer les trouve également plus impliqués avec leurs patients, plus créatifs, plus entreprenants, « pensant davantage en dehors des livres ». Ce qui répond précisément à la question initiale « pourquoi l’auto-organisation ? »

Les services support (planification, intendance…) aussi font preuve de plus d’initiative, pour le confort des patients : meilleur accueil, meilleur service… au client, l’alignement avec la raison d’être globale et le renforcement de la résilience des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale.  

 

Être prêts à accueillir la jeune génération

Mentaal Beter a dû se transformer, chacun a dû changer sa façon d’envisager son travail, un minimum requis selon Martin de Heer si l’on considère la génération qui entre sur le marché du travail.

Nés avec des iPhone à la main, ils ont l’habitude de s’auto-organiser en quelques clics avec les outils du web (Airbnb, Uber…), ce nouveau monde du travail est fait pour eux.

Loin de la culture de loyauté envers l’entreprise ils lui préfèrent celle de la raison d’être, du mouvement, de la vie. Le salaire n’est pas plus leur priorité. La qualité de l’environnement de travail, la mission de l’entreprise, son respect de l’environnement dans ses processus.. sont clefs.

Employeurs qui souhaitez attirer les talents de demain, affûtez vos gouvernances, changez les structures d’organigramme hiérarchique en cercles dynamiques et trouvez un nouvel équilibre entre alignement et autonomie !

 

Cette interview, réalisée par Luc Bretones, organisateur de l’événement “The NextGen Enterprise Summit” avec HolaspiritMaif, Manpower et OCTO Technology, et président de l’Institut G9+, est extraite d’un livre en préparation sur les dirigeants de 30 pays ayant mis en œuvre de nouvelles formes de gouvernance, ré-engagé leurs forces vives autour d’une raison d’être fédératrice ou encore expérimenté  une innovation managériale majeure.

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