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Éthique et entreprise : cherchez l’intrus

entreprisesComposite image; all led displays on facades of buildings are made by EschCollection.

Tour à tour vertu pour les philosophes grecs antiques, morale individuelle pour Descartes, ou encore déontologie pour Kant sans compter les questionnements sur sa possibilité de son existence au XXème siècle, l’éthique a revêtu de nombreuses parures, épousé de nombreuses définitions et de nombreux sens. Apparue dans les années 60, l’éthique appliquée connaît une nouvelle conceptualisation en pénétrant le monde de l’entreprise. Mais à connaître une diversification si large, en s’éloignant à ce point de ses sens initiaux, en a-t-elle trouvé un autre ? Ou s’en est-elle vidée ? L’éthique en entreprise est-elle une nouvelle frontière terminologique ou l’ultime étape d’un galvaudage inéluctable ?

Une contribution de Laurence Dubois, directrice des ressources humaines chez Prodware.

 

 

L’éthique n’a pas de définition consensuelle, officielle, qui annihilerait d’emblée tout débat sur ce que son périmètre recoupe (ou pas), ce qui la compose (ou pas). C’est une notion qui joue sur les lignes de crête, danse sur les mots et les concepts. Cette insaisissable nature fait d’elle un outil précieux pour des directions marketing qui peuvent s’en donner à cœur joie pour utiliser à tout crin une notion floue à bien des égards, et avoir l’air de dire beaucoup et de s’engager au moins autant, sans véritablement s’obliger à grand-chose. À la fois plus en vogue et moins précise, où en est l’éthique dans le monde contemporain de l’entreprise ? En est-elle une véritable composante, ou un simple artifice ? A-t-elle du sens, et si oui, lequel ? 

 

Un produit de son époque

Loi PACTE, perte de sens, burn out et bore-out… le contexte de l’entreprise d’aujourd’hui est on ne peut plus favorable à l’émergence de notions qui visent à rapprocher entité collective et sensibilité individuelle. Pour créer un sens collectif, il faudrait fédérer les collaborateurs et collaboratrices autour de valeurs communes, alimenter une dynamique à laquelle les équipes adhèrent qui dépasserait l’objectif initial de l’entreprise : créer du profit. Or les impératifs économiques, eux, n’ont pas changé, et cet objectif reste le facteur primordial de réussite de toute entreprise. 

On a donc vu fleurir des déclarations d’engagement, des projets d’entreprise, des raisons d’être, des valeurs affichées en majuscules aux côtés des rapports financiers et des campagnes de recrutement. Pour être attractive, l’entreprise doit désormais s’adapter aux aspirations de nouvelles générations souvent plus demandeuses d’une transparence quant à ses engagements sociétaux. L’éthique est ainsi devenue un étendard, quitte à l’utiliser sans forcément la distinguer de la culture d’entreprise, de la morale, de la responsabilité ou de l’impact social. Plus qu’une notion fédératrice, elle est de ce fait bien souvent passée dans le lexique des novlangues de l’entreprise contemporaine.

 

Affirmer n’est pas prouver

Identiquement à toute notion affichée comme une vertu, l’éthique devrait être tangible pour être crue. Or bien souvent, on observe le schéma inverse, voire plus de schéma du tout. L’entreprise s’autoproclame vertueuse, éthique, sans apporter de justification concrète, ou tout au plus parcellaire. Prises dans une contradiction inhérente au rapprochement entre les notions morales et le monde de l’entreprise, les organisations ont ainsi tendance à communiquer ce qu’il faut dire plutôt que de s’interroger sur les leviers véritablement activables pour répondre aux attentes internes et externes de leurs publics (collaborateurs, parties prenantes, clients…).

De façon paradoxale, en voulant créer de la confiance grâce à l’éthique, elles créent de la confusion. Or la confiance est une valeur essentielle de l’entreprise. Elle se décline en deux notions précises : la confiance spontanée et la confiance conditionnée. Cette dernière repose sur des éléments concrets, factuels : un contrat de travail, une rémunération. La confiance est alors l’objet d’un accord mutuel. La confiance spontanée, elle, s’établit à partir d’éléments plus mouvants, dont le rapport à l’éthique fait partie. Elle se construit avec le temps, en fonction de l’adéquation entre la promesse faite par l’entreprise à son collaborateur et le résultat, la preuve de cette promesse. Plus évasive est la promesse, plus difficile sera sa preuve. 

Dans le cadre de l’entreprise, quand la création d’un lien de confiance repose uniquement sur l’éthique, elle risque de n’être qu’un vœu pieu. L’ambiguïté terminologique de l’éthique rendant impossible sa preuve, construire une relation sur elle reviendrait à construire une maison sur des sables mouvants. 

 

Une culture commune qui n’a pas nécessairement besoin du concept d’éthique

Et c’est bien ici que le bât blesse lorsque l’on aborde la thématique de l’éthique en entreprise. Car cette notion, si populaire soit-elle aujourd’hui, fait se rencontrer deux dimensions sinon opposées, au moins éloignées l’une de l’autre. L’éthique est une notion subjective, presque intime, quand l’entreprise est au contraire l’espace du consensus nécessaire à la marche commune. Le monde de l’entreprise s’est donc peut-être un peu vite accaparé une notion qui ne lui appartient pas ; qui, au fond, ne lui convient pas. Le sens collectif d’un projet d’entreprise passe par des valeurs, par une culture commune, des concepts qui vivent très bien à l’écart de celui d’éthique, à la fois plus engageant et, dans son acception contemporaine, plus floue.

Plutôt que d’assumer les inévitables zones grises, ou les points sur lesquels l’entreprise ne peut être éthiquement irréprochable, certaines structures font le choix de mettre sous le tapis ces questions embarrassantes tout en augmentant le volume sonore sur les engagements qu’elles prennent. Le résultat : une dissonance qui, dans un monde dans lequel la transparence est une exigence de plus en plus prégnante, fait tache. La perte de sens souvent pointée du doigt notamment par les plus jeunes générations de collaborateurs vient peut-être de là : une terminologie galvaudée qui éloigne leurs convictions et leurs aspirations de la perception qu’ils ont de l’engagement réel de leur employeur.

Pourtant, la réalité est bien plus audible et bien moins dangereuse qu’elle n’y paraît pour la réputation d’une entreprise. Ce n’est pas parce que l’éthique n’est pas partout qu’elle n’est nulle part. Le monde de l’entreprise ne peut être totalement éthique pour la simple raison que l’entreprise est une structure collective, et que l’éthique dépend de sensibilités, voire de convictions individuelles. Elle prend donc différentes formes, différents sens pour chacun d’entre nous. Avons-nous vraiment besoin de lui en ajouter de nouveaux ? 

 


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