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Mouvement hip-hop et Black Lives Matter : entre « street cred » et quête de respectabilité

BLMSource : GettyImages

OPINION | Rendons à César ce qui est à César ! La « respectabilité » actuelle du mouvement hip-hop est avant tout le fruit du travail de notoriété de ses propres acteurs porté par une réelle affection de millions de fans, disséminés sur la planète. Les bad boys et bad girls afro américains, perçus jusqu’à récemment comme des trublions par les grandes entreprises et les marques de prestige caucasiennes internationales, sont devenus aujourd’hui fréquentables. Machines à cash dans leur secteur d’activité, ils possèdent des stratégies pour influencer et cumulent ce qu’il faut de followers sur les réseaux sociaux pour être considérés comme bankables.

Dès 2014, le chanteur et producteur Pharrell Williams (12 millions d’abonnés sur Instagram) signe une collaboration avec Chanel et présente une collection capsule de vêtements qui fera un tabac. Une première pour la maison de la rue Cambon, bousculée alors dans ses habitudes par Karl Lagerfeld qui avait adoubé le jeune chanteur millionnaire dans sa galaxie. Rihanna s’est prêtée au jeu de la collaboration en dessinant une collection de bijoux pour le joaillier Chopart en 2017 à l’occasion du 70e anniversaire du festival de Cannes. Pendant des années, l’association hip-hop et luxe effrayait les milieux frileux, clients naturels de ces marques, oublieux que les Afro descendants sont aussi des consommateurs. Cela ne date pas d’hier. Jugeons plutôt !

Si le mouvement BLM (Black Lives Matter) a été lancé en 2013 par la militante afro descendante Alicia Garza et son amie activiste Patrisse Cullors, en réaction à la relaxe d’un policier blanc accusé du meurtre de Trayvon Martin, 17 ans, en Floride en février 2012, ses racines prennent leurs sources dans tous les combats antérieurs menés par la communauté africaine américaine depuis la fin de l’esclavagisme. Des combats qui se sont infiltrés dans toutes les strates de la société, avec les armes qui leur sont propres pour gagner progressivement en égalité et « respectabilité ».   La musique noire américaine étant une des formes artistiques les plus diffusées a été un des vecteurs de communication de cette dénonciation, de cette révolte et de cette souffrance. Vus comme des ovnis musicaux dans les années 70, les rappeurs sont aujourd’hui des businessmen aguerris. Le plus célèbre d’entre eux, Jay-Z, aka Shawn Corey Carter, vient de céder 50 % d’Armand de Brignac, son vin de champagne tête de cuvée produit par sa marque Cattier au groupe LVMH. 

Observons maintenant le monde de la mode. Depuis un certain temps, de plus en plus de voix s’élèvent contre la différence de traitements entre mannequins blancs et mannequins noirs. Lors d’un récent talk organisé ce 11 mars par la plateforme Business of Fashion, Iman Bowie, top-modèle somalienne et veuve de David Bowie, racontait au journaliste de mode Tim Banks combien dans les années 80/90 elle avait été victime de discrimination de la part des maisons de couture. Ces dernières rétribuaient moins les Noires et se limitaient à un à deux modèles afro sur une team de 50 mannequins pour leur fashion show, s’assurant que les photos de ces dernières ne soient jamais publiées dans la presse. Si Claudia Schiffer ou Linda Evangelista ont été cent fois les égéries des campagnes publicitaires de marques de luxe dans les années 90, Naomi Campbell qui, certes a brillé dans tous les défilés, n’a pas obtenu la même exposition que ses collègues de podium. De nombreux articles sont parus dans la presse américaine (les magazines Ebony, Essence) et afro-descendante francophone (le magazine Brune) pour dénoncer le manque d’ouverture du luxe. 

Idem pour certains magazines féminins de renom qui ont mis plus de 75 ans à accepter un mannequin noir en couverture. La mobilisation a pris son temps et a fait, laborieusement, son chemin. Avec l’appui des réseaux sociaux, la génération Z n’hésite pas à blacklasher et à incendier les groupes et marques soupçonnés de racisme, d’homophobie ou de non-respect de l’environnement. Des enseignes qui savent que ces atteintes à leur réputation peuvent leur coûter quelques points à la bourse de New York. 

Avant même que George Floyd ne soit porté dans sa dernière demeure, des établissements tels que Sephora ont décidé de consacrer 15 % de leur emplacement à des marques de beauté appartenant à entrepreneurs noirs. Cette entité du groupe LVMH a également promis 1 million de dollars pour soutenir les designers noirs.  Depuis un an, les entreprises ont toutes créé des postes de responsable de l’inclusion, se sont mises à faire acte de contrition et à changer la voilure, comme l’Oréal, qui a annoncé, le 27 juin dernier, modifier le nom de certains produits pour y enlever les références à un «blanchiment » de la peau. 

Le leader mondial du luxe  LVMH a attiré les projecteurs sur lui, en désignant Virgil Abloh, créateur américain d’origine ghanéenne, comme directeur artistique pour son département  homme chez Louis Vuitton. Architecte et designer aux talents multiples, propulsé par Kanye West, Abloh a d’emblée imposé le streetwear et le sportswear dans le vestiaire maison plus habitué aux costumes slim et matières nobles. Ce faisant, il a attiré la clientèle gen Z, friande de ces artefacts des rappeurs et des sportifs de haut niveau qui peuplent davantage leur imaginaire que les golden boys de Wall Street ou de la City.  Des jeunes consommateurs capables de se délester de 1 000 euros pour une paire de sneakers en cuir et désormais prêts à entrer dans l’univers du luxe avec leurs propres critères. 

La déflagrante BLM a incontestablement pesé sur la composition de l’équipe présidentielle du pays le plus puissant au monde et continuera à se répandre tant que les inégalités persisteront. Ce 14 mars, Beyoncé, portant une robe signée Schiaparelli, a reçu 28 trophées aux Grammy Awards, un record pour une artiste féminine. Parmi ces prix figurent celui de la meilleure vidéo musicale, pour Brown Skin Girl (Fille à la peau brune), et celui de la meilleure performance R’n’B pour son titre Black Parade (Parade noire). Des centaines de milliers de jeunes sensibles aux messages engagés de l’artiste féminine la plus primée de l’histoire des Grammy Awards – et deuxième artiste la plus primée ex-aequo avec le producteur Quincy Jones. « Je voulais soutenir, encourager, célébrer toutes les reines et les rois noirs qui continuent à m’inspirer et à inspirer le monde entier. »

Tribune rédigée par François Thomas, directeur du bureau de Paris de Radio Caraïbes International (RCI), directeur de publication du magazine Brune et du magazine Ben consacrées aux populations afrodescendantes

 

<<< À lire également : Black Lives Matter : Les Marques De Mode Et De Beauté Soutiennent Le Mouvement >>>

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