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Jack Lang : « J’ai Toujours Affirmé Que La Mode Pouvait Être Un Art »

jack langPARIS, FRANCE – JANUARY 19: Former french Minister of culture/Institut du Monde Arabe director Jack Lang poses during the Henrik Vibskov Menswear Fall/Winter 2019-2020 show as part of Paris Fashion Week on January 19, 2019 in Paris, France. (Photo by Foc Kan/WireImage)

Certes, le luxe n’est pas un art et l’art n’est pas un luxe, mais il existe des ponts multiples entre ces deux domaines qui ravissent notre imaginaire. Qui  mieux que Jack Lang pouvait nous parler de tout ce qui lie mais aussi de ce qui sépare un artiste d’un créateur ? La parole est à l’ancien ministre de la Culture dont la première dame Brigitte Macron dit en privé qu’il a « tué le job ».

Considérez-vous le luxe comme une forme d’art ?

JACK LANG : Parfois, oui. Dans la mode, par exemple, quand les plus grands créateurs sont associés aux meilleurs artisans, le luxe prend une coloration artistique. Luxe et art font souvent bon ménage. Yves Saint Laurent, entre autres, a inspiré de nombreux artistes de premier plan parmi ses contemporains.

D’où nous vient ce lien si étroit ? Il existe beaucoup de pays où le luxe est clinquant, voire vulgaire, et en aucun cas artistique…

J.L. : En France, la persistance de l’idée de luxe dans l’imaginaire collectif plonge ses racines dans notre histoire. Elle est liée au phénomène de la monarchie absolue qui a dicté les modes et créé un système de représentation de l’aristocratie fondé sur l’habillement, les bijoux, les parfums, etc. C’est un phénomène qui a commencé avec François 1er et a atteint son apogée sous Louis XIV. La création par ce dernier de manufactures d’État telles que la manufacture de Sèvres a contribué à l’association des genres. 

La frontière est parfois ténue entre art et artisanat. L’exposition Charlotte Perriand proposée actuellement par la fondation LVMH le montre, qui associe des tableaux de Fernand Léger et des fauteuils de Le Corbusier, par exemple.

J.L. : Avec Charlotte Perriand, nous sommes loin de Louis XIV. Je l’ai connue, elle ainsi que ses proches. Ils voulaient tout au contraire rendre l’art accessible au plus grand nombre. Mais vous avez raison, alors que la séparation, voire l’opposition, entre l’un et l’autre était très tendance, Charlotte Perriand a fait sauter les barrières. Vous noterez que dans les cultures du Sud, il n’y a pas vraiment de distinction entre art  et artisanat.

Et vous-même ? Où vous situez-vous dans ce débat éternel ?

J.L. : Étant très influencé par l’école de Nancy, la ville d’où je viens, j’ai même vu l’art se fondre avec l’industrie ! Et les industriels commandaient à des artistes des éléments pour leurs maisons personnelles. Moi-même, j’ai passé beaucoup de temps dans la maison de mon grand-père où l’influence des artistes était présente, de la cave au grenier.

Lorsque vous avez été ministre, vous avez œuvré pour que la France redevienne la terre promise des artistes, mais vous avez aussi promu le luxe comme un secteur culturel. Pourquoi ?

J.L. : Je n’ai pas découvert cet univers en 1981, loin de là. Ce que j’ai fait m’a paru très naturel, même si cela a parfois déclenché des polémiques médiatiques. D’emblée, j’ai affirmé que la mode pouvait être un art. Ça a choqué une certaine presse, des politiques. D’autres m’ont soutenu. Le fait que j’appartenais à un gouvernement de gauche ne m’a pas facilité la vie. J’ai permis que l’on organise des défilés de mode dans la Cour carrée du Louvre. Cela semblait inconcevable à une époque où les défilés se déroulaient dans des grands hôtels ou sous des chapiteaux. Avec Pierre Bergé, nous avons soutenu les Oscars de la mode, j’ai participé à la création de l’Institut français de la mode. C’était évidemment une manière de pousser à la reconnaissance de certains créateurs comme des artistes à part entière.

Vous resterez aussi l’homme politique qui a fait entrer une veste Thierry Mugler à l’Assemblée nationale…

J.L. : Oui, mais je ne pensais pas que cela ferait un tel foin ! Vous n’allez pas me croire mais à l’époque, je n’ai pas cherché à faire l’original. Lors d’un voyage en Inde où j’accompagnais le président Mitterrand, j’ai trouvé les officiels indiens très élégants. Il se trouve, par ailleurs, que je n’ai jamais aimé le costume occidental dont la veste coupe les hommes en deux. À mon retour, j’ai donc demandé à Thierry Mugler dont j’admirais le travail qu’il essaye de dessiner une veste « à l’indienne » qu’on a ensuite appelé improprement « à col Mao ». Et tout naturellement, lorsque je l’ai eue, j’ai décidé de la porter dans l’exercice de mes fonctions de ministre de la Culture.

Avec le recul, pourquoi cette histoire a-t-elle suscité un tel tollé ?

J.L. : Il y avait d’abord le problème de la cravate dont le port est obligatoire au palais Bourbon. Mais pour être franc, je pense que c’était un prétexte. Ceux qui ont protesté ne supportaient pas une quelconque contestation de la norme. Au bout du compte, cela a amené un débat passionnant sur la création, la représentation du peuple, et même le sens de la démocratie ! Quelque temps plus tard, le journaliste Yves Mourousi, recevant François Mitterrand dans une émission politique, lui a posé une question sur cette fameuse veste. Vous savez ce qu’il a répondu avec un sourire en coin ? « J’ai trouvé, en effet, cet habillement un peu austère. » Il en a souhaité une presque identique que le grand créateur japonais Issey Miyaké a merveilleusement confectionnée. 

Les deux grandes figures du luxe en France, Bernard Arnault et François Pinault, ont énormément investi dans l’art. C’est dans la nature des choses ?

J.L. : Oui, bien sûr. Dans le cas de Bernard Arnault, sa fondation portant le nom de son entreprise, LVMH, les retombées en termes d’image me semblent plus évidentes.

Vous êtes désormais président de l’Institut du monde arabe (IMA), qui fédère l’ensemble du monde arabe. Depuis quelques années, on constate que plusieurs pays, notamment ceux du Golfe persique, dont les goûts de luxe étaient assez ordinaires, s’ouvrent à l’art. C’est pour changer leur image ?

J.L. : Pas seulement. La French Touch séduit la région. Que le plus grand musée d’Abu Dhabi porte le nom du Louvre, le plus beau musée du monde, n’est pas anodin. C’est le prince héritier lui-même qui a eu cette idée. Il a dû affronter les élites conservatrices de son pays pour imposer ce magnifique établissement. En France aussi, il a fallu faire face aux archaïsmes. Actuellement, ici à l’IMA, il y a une exposition d’une beauté à couper le souffle, Alula, qui retrace 7 000 ans d’histoire de l’Arabie, donc bien avant l’avènement de l’islam(1). Imaginez qu’un resort va être construit à Alula et que la commande a été passée à notre architecte, Jean Nouvel.

 Tout cela va dans le bon sens mais, parallèlement, le régime saoudien reste très archaïque, ne respecte pas les droits de l’Homme.

 J.L. : Ce régime n’est pas une démocratie mais à chaque fois que je me rends là-bas, je constate qu’une révolution culturelle hallucinante se développe sous nos yeux. De moins en moins de femmes portent le voile en ville, les jeunes vont au cinéma, des écoles d’art naissent, un nouveau quartier culturel sera construit dans la capitale. Il faut ouvrir les yeux sur tout cela mais, parallèlement, le régime saoudien reste un régime très archaïque, qui ne respecte pas les droits de l’Homme. 

Pour finir, dîtes-nous ce qu’est un moment de luxe parfait pour vous.

J.L. : Je vais vous surprendre mais j’éprouve une passion dévorante pour les arts culinaires, que j’ai d’ailleurs essayé de promouvoir quand j’étais ministre. Plus encore qu’un excellent restaurant, ce que je préfère par-dessus tout est aller au marché acheter de bons produits pour préparer le repas préféré de mes petites-filles : un soufflé au fromage, un poisson au court-bouillon agrémenté d’une sauce aux morilles et, au dessert, un soufflé au chocolat. Le luxe parfait, ça reste quand même de vivre des moments choisis avec ceux qu’on aime.

(1) Alula, merveille d’Arabie,

jusqu’au 19 janvier 2020 à l’Institut du monde arabe,

1, rue des Fossés Saint-Bernard, Paris 5e.

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