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Instagram : Pourquoi Veulent-Ils Tous Faire Les Mêmes Photos ?

Rue Crémieux @ericdemarcq

Dans le tourisme, transformer le paradis en enfer, c’est simple… comme une photo sur Instagram. Reproduite à l’infini.

Dernier exemple en date, la petite rue Crémieux dans le quartier de la Gare de Lyon à Paris, dont les petites maisons colorées attirent les curieux et les badauds depuis 25 ans. Un petit coin de paradis qui est en train de virer au cauchemar pour les résidents, car la rue est littéralement prise d’assaut par des hordes de photographes, tous venus faire exactement les mêmes photos.
Du coup, sur le réseau de partage de photos Instagram, le hashtag #ruecremieux regroupe plus de 30 000 photos. « J’ai connu cette rue grâce aux réseaux sociaux, Instagram, raconte Alexandra, une étudiante interviewée par Franceinfo. Les influenceuses viennent ici, mettent le nom de la rue, du coup on vient ici. »

Si Instagram est une aubaine pour de nombreux professionnels du tourisme, il peut s’avérer une vraie calamité pour les riverains ou pour l’environnement.
Certains coins préservés et non aménagés ont ainsi été livrés en pâture aux touristes. Ce fût le cas en Arizona aux Etats-Unis, où un méandre du fleuve Colorado, appelé le « Horseshoe Bend », est devenu en quelques années une des plaques tournantes du tourisme aux Etats-Unis. En 1992, le site, caché du grand public, n’était accessible que par un chemin non balisé. Presque personne ne connaissait cet endroit. Aujourd’hui, environ 1,5 million de personnes le visitent chaque année. Ce qui a permis cette soudaine popularité ? Les photos géolocalisées postées sur Instagram.
En Norvège, la falaise Trolltunga a connu le même phénomène. Le nombre de visiteurs a doublé depuis l’apparition des premières photos sur les réseaux sociaux.

Pour les instragrameurs, l’objectif semble être désormais de reproduire une photo vu des milliers de fois, plutôt que de chercher un point de vue original.

Étrange, au premier abord, car cette population jeune est plutôt plus curieuse que ses aînés. Les 18-35 ans qui représentent environ 25 % de la population européenne et près de 40 % des actifs en France aiment les voyages. Partisans du Yolo (you only live once), la version millennials du carpe diem, ils font en moyenne 5 voyages par an contre 3 pour le reste de la population. Et leurs dépenses touristiques ont augmenté de presque 10 % par an depuis ces cinq dernières années, contre 4 % pour la population en général.
Leur smartphone greffé à leurs mains plutôt qu’à leurs oreilles, et leur vie connectée non-stop aux réseaux sociaux, ils veulent accéder à internet à toute heure du jour ou de la nuit. Le wifi gratuit est pour eux un critère essentiel de sélection d’un hébergement lors d’un voyage. Ils aiment la découverte et les rencontres. Ils sont également dans le « tout-tout-de-suite » et donc n’aiment pas attendre.

Les « millennials » montreraient également peu d’intérêt pour la publicité. Habitués à elle et pas dupes, ils savent qu’elle est tronquée et pas forcément fidèle à la réalité. Ils s’intéressent bien plus aux commentaires en ligne des autres voyageurs, véritable bouche-à-oreille électronique, dont les réseaux sociaux forment une caisse de résonance. Si aujourd’hui 46 % des clients d’hôtels français et étrangers consultent systématiquement (33 % de temps en temps) les avis en ligne pour se faire une idée sur une destination de vacances sur un établissement hôtelier avant d’y réserver une chambre… ou pas, c’est 78 % des « Millennials » qui s’adonnent à cette pratique.

Née à l’ère des comparatifs, la génération Y consulte en moyenne 10,2 sources avant de procéder à la réservation d’un hébergement. Mais pas question d’accepter n’importe quoi sous prétexte que c’est à un prix abordable. Ce qui compte, c’est l’optimisation de la valeur. Plutôt que foncer dans des hôtels ou résidences aux décors standardisés et froids, les voyageurs « millennials » sont plus attirés par les établissements atypiques, au design décalé ou artistique, amusants, voire branchés jeunes et surtout authentiques. Il faut leur donner l’occasion de publier sur Instagram des photos de cadres, de design, de paysages, de cocktails, de plats, d’insolite qui donnent envie. Les opérateurs de tourisme leur proposent donc désormais des lieux instagramables, des « instragrameet ».

Pour eux, voyager doit aussi leur permettre d’exhiber une vie attirante et enviable. Quitte à truquer leurs photos. Selon une étude d’Expédia, « l’objectif des jeunes vacanciers qui postent sur Instagram ne serait pas de garder un souvenir de leur passage dans un lieu paradisiaque, mais bien de susciter envie et jalousie chez les collègues et les proches qui n’ont pas la chance de partir. 40 % des hommes et 20 % des femmes affirment même envisager de poster un jour une fausse photo de vacances… ou l’avoir déjà fait ». Pourquoi truquer ses propres vacances ? Parce que, toujours selon la même étude, 20 % des millenials disent avoir déjà éprouvé une grande déception en découvrant leur lieu de vacances. Il faut dire que s’inspirer de photos promotionnelles hypertravaillées et faussement naturelles postées par des personnes dont c’est le job à plein temps peut fort logiquement créer quelques désillusions. D’où l’envie d’arranger à son tour la réalité.

Dans cette quête de la photo parfaite, les listes « prêtes à consommer » de points de vue à capturer et de destinations à visiter sont donc plébiscitées.

D’après une autre étude du site de voyages Expedia, un tiers des personnes interrogées reconnaissent désormais s’inspirer des publications Instagram pour choisir leurs futures destinations. Un tiers y choisit même son hôtel !
Ce qui n’a pas manqué de donner des idées à certaines start-up. La plate-forme américaine Six Travel est la première à proposer des réservations d’hôtels directement sur Instagram. Grâce à une combinaison d’intelligence artificielle et de curation humaine, Six Travel saisit l’attention de l’utilisateur depuis les stories qu’il visionne ou sur d’autres éditeurs en ligne, des blogs ou sites tenus par des influenceurs par exemple. Près de 2000 hôtels dans le monde seraient déjà réservables avec cet outil.

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