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FORTISSIMO | Rencontre avec Marc Darmon, mélomane engagé

Chaque mois, Florence Petros nous fait découvrir une personnalité du monde de la musique. A la découverte de Marc Darmon.

Une certaine fidélité caractérise Marc Darmon. Fidélité à son père tout d’abord, et triplement : il a suivi les mêmes brillantes études, est entré dans la société où celui-ci avait été dirigeant, et il a perpétué l’attachement à la musique de son géniteur, qui fut Président de l’Opéra de Paris.

Fidélité à l’industrie ensuite, où il a passé toute sa carrière, et même dans le secteur numérique de son école d’application. Fidélité à la musique enfin, qu’il a fréquenté sous toutes ses formes et dans toutes ses profondeurs. Marc a écouté… sa mélomanie jusqu’à être à la fois critique musical (la plume reconnue de « La Jaune et la Rouge »), actionnaire d’un label de disque (l’étincelant « Zig-Zag Territoires »), et président d’un orchestre, l’ensemble « Le Palais royal ». Quand il a du temps de libre, entre deux voyages, trois réunions et cinq occupations, il retrouve Euterpe en enjambant les portées dans son immense collection personnelle d’enregistrements. Ce n’est pas pour rien qu’il a été décoré des Arts et Lettres…

 

Votre passion remonte à votre plus jeune âge… Quel est le premier souvenir musical qui a influencé votre amour pour la musique ?

Marc Darmon : Mon attachement pour la musique est ancien. Contrairement à beaucoup de mes musiciens favoris qui n’avaient pas de musique dans leur foyer pendant leur enfance, mon milieu familial m’a baigné dès le début dans la musique. Mes parents en écoutaient beaucoup, mon père jouait beaucoup de piano, même dans ma chambre de jeune enfant. Mes parents m’ont beaucoup amené au concert, notamment à une période où mon père était au ministère de la culture, puis président de l’opéra de Paris, ils m’y ont même amené énormément. Vous imaginez le plaisir immense pour un jeune de 12 ans régulièrement à l’Opera Garnier, le plafond de Chagall, les mises en scènes iconiques de Strehler, de Jorge Lavelli, et en même temps les débuts de Barenboïm à l’Orchestre de Paris

 


Mon père avait réalisé un savant dispositif pour que je puisse dériver sa chaine hifi vers ma chambre, et j’ai pu avoir accès à la caverne d’Ali Baba qu’était sa collection


 

Vous avez une culture musicale particulièrement étendue. Elle est autant livresque que d’expérience… D’où cela est-il venu et comment la caractériseriez-vous ?

M. D. : Très vite, cela a été l’amour des disques, mon père s’est défait de certaines perles de sa collection (Yves Nat, Casadesus, Furtwängler, …), et mes grands-pères m’ont offert beaucoup de disques quand j’étais jeune. Je me souviens de mon grand-père Polo ramenant des disques Melodya de retour de Russie, tout écrit en Cyrillique, et mon grand-père Michel m’a offert mes premiers Sibelius et Chostakovitch, dont la mal aimée XIIème symphonie le jour de la mort de Chostakovitch, la première que je découvris.

Mon père avait réalisé un savant dispositif pour que je puisse dériver sa chaine hifi vers ma chambre, et j’ai pu avoir accès à la caverne d’Ali Baba qu’était sa collection.

Puis très vite mon argent de poche y fut engouffré, pour des découvertes que je faisais seul (tout Mahler, tout Sibelius).  Mahler et Sibelius que j’ai exploré par moi-même de façon exhaustive.

Puis en charge de la discothèque classique à l’Ecole Polytechnique, j’ai eu l’occasion de m’enregistrer sur cassette l’intégralité du catalogue.  A force d’écouter minutieusement l’ensemble de ce catalogue, je connaissais à vingt ans le cœur du grand répertoire sur une période très large. Et avec la chance de pouvoir rapidement reconnaitre la plupart des œuvres.

Naturellement certaines périodes ou certains compositeurs me sont mieux connus que d’autres, et je suis nettement moins « encyclopédique » pour les compositions sérielles et celles antérieures à la période classique.

 

Comment s’effectue chez vous l’alliage entre la connaissance musicale minutieuse – plutôt intellectuelle et même conceptuelle – et le plaisir, la joie – affective et émotionnelle ?

M. D. : C’est une question primordiale, et quasiment d’ordre philosophique. On pourrait aussi se demander, c’est la même question, comment un esprit rationnel à l’extrême peut être ému par la poésie, la musique, au point de pleurer chaque fois au troisième acte de La Bohème (et pas seulement à la fin du quatrième acte comme tout le monde). Effectivement je ne pense pas qu’il faille opposer ma volonté, sans doute excessive, de connaissance encyclopédique, ou au moins exhaustive, ainsi que ma recherche du son parfait, à l’émotion, la joie et le plaisir. Ils se nourrissent mutuellement, et inversement ils sont même mutuellement nécessaires : je peux par exemple être très frustré d’une interprétation immortelle pour laquelle le son ou l’acoustique ne serait pas parfaite.

 


La musique classique n’est pas du tout destinée à disparaître. Mais nous devons tous participer au devoir de transmission


 

Vous êtes un homme actif, un dirigeant professionnellement très occupé. Comment écoutez-vous la musique, à quel(s) moment(s) ?

M. D. : J’ai la chance de dormir très peu, je suis debout très tôt, et profite du temps pour lire travailler ou écouter de la musique. En fait surtout « regarder » de la musique car depuis plusieurs années, je regarde beaucoup des concerts ou opéras filmés. Sur une bonne installation, c’est une expérience que je préfère au disque désormais : sans atteindre l’intensité d’un concert, cela permet de voir les musiciens, leur complicité, leur engagement, et donc cela se rapproche beaucoup plus d’un concert live qu’un disque. C’est donc sur ce support de musique en image que je rédige mes « recommandations » dans les magazines ou les blogs.

Je profite de l’occasion de disposer chez moi d’une pièce sans voisins et à la disposition idéale pour pouvoir écouter à la puissance réelle d’un concert. En se concentrant, et notamment sur l’image, j’ai une véritable expérience qui se rapproche du concert.

 

 

Quel sont vos rêves de mélomane pour les mois à venir ? Existe-t-il un genre musical ou une période que vous avez envie d’explorer ?

 M. D. : Alors que j’ai depuis longtemps une connaissance, de mélomane amateur, d’un grand répertoire, je découvre toujours des nouvelles œuvres ou de nouveaux univers. Depuis quelques années, j’ai abordé de façon encyclopédique l’univers de Weinberg, élève concurrent de Chostakovitch, d’Arvo Pärt, de Philip Glass, du formidable Allan Petterson, du finlandais Aulis Sallinen, mais aussi plus anciens du suédois Kurt Atterberg. Je les recommande tous, mais bien sûr ne pas les aborder comme moi de façon encyclopédique…

La musique classique n’est pas du tout destinée à disparaître. Mais nous devons tous participer au devoir de transmission. Mahler disait je crois « La tradition ce n’est pas honorer les cendres du passé, la tradition c’est préserver le feu ».

  

Vous présidez un orchestre, l’Orchestre du Palais Royal, au-delà de jouer sur des instruments d’époque, quelle mission artistique spécifique lui assignez-vous ?

M. D. : Naturellement, je regrette de ne pas avoir conservé le niveau très moyen que j’avais atteint en piano à 18 ans à l’entrée en école d’ingénieur, mais la vie est encore longue, j’espère.

D’où l’envie de participer modestement à la vie musicale, en aidant des musiciens, notamment dans le conseil d’administration d’orchestres professionnels, aidant leur équipe d’administration et le chef d’orchestre.

L’ensemble le Palais royal m’a demandé depuis plus de dix ans de présider leur conseil. Evidemment toujours sans conflits ni mélange de genre. Gardant une séparation claire entre mon entreprise et les besoins de financements de ces orchestres

C’est un ensemble autour du chef Jean Philippe Sarcos qui arrive à mener de front des séries de concerts d’un très haut niveau musical dans les plus belles salles et les plus beaux festivals, tout en étant engagé vers la transmission en jouant pédagogiquement pour les jeunes éloignés de la culture et en faisant répéter tout au long de l’année et jouer plusieurs fois par an une académie de plusieurs centaines d’étudiants encadrés par les professionnels.

Le chef, les musiciens et moi pensons que la musique est un vecteur d’unification populaire, qui a traversé ainsi les âges car c’était déjà une ambition au Siècle des Lumières de réunir toutes les composantes de la société autour de la musique. C’est cohérent avec la volonté du Palais royal d’émerveillement pour tous, pour mieux voir, mieux entendre, mieux comprendre. Comme Haendel a qui on disait qu’il nous avait bien divertit et qui répondait « je ne voulais pas vous divertir, je voulais vous élever »

La musique classique n’a jamais été aussi vivante, les jeunes qui se réunissent autour de l’ensemble Le Palais royal en sont la preuve.

 

Quels sont vos coups de cœur discographiques pour cette fin d’année ?

M. D. : Oh, très nombreux, car toutes les sorties sont disponibles pour être testées grâce au modèle controversé mais tellement pratique du streaming.

Par exemple, plusieurs publications récentes de la violoniste Isabelle Faust, artiste incroyable que j’ai découverte un peu tard je le reconnais, dont sorti en fin d’année ce disque de musique de chambre de Schumann jouée avec un pianoforte ce qui donne une sonorité passionnante de l’ensemble.

Aussi je recommande fortement les concertos pour violoncelle de Weinberg et Dutilleux par notre grand Edgar Moreau national.

Et j’ai été émerveillé, et surpris, par le fameux second concerto de Rachmaninov par Kirill Petrenko et Kirill Gerstein à Berlin.

Entretien réalisé par Florence Petros

 

Pour aller plus loin : FORTISSIMO | Entretien avec Benoit d’Hau, fondateur du label IndéSENS-Calliope

 

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