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Dominique Meyer : « diriger La Scala, c’est une vie de passion, profondément déraisonnable »

La 5ème note d’une mélodie de Parsifal. A 17 ans, Dominique Meyer souhaite retrouver la note d’un thème d’un opéra de Wagner auquel il vient d’assister. Une note oubliée qui l’incita à y retourner. Une passion était née ; Wagner en est le premier guide, la musique le leitmotiv de sa future carrière. Retour pour Forbes France avec Dominique Meyer : un surintendant français à l’esprit autrichien et au cœur italien qui dirige l’un des plus grands opéras du monde.


Le Teatro alla Scala de Milan : un nom devenu marque.

Norma de Bellini, Nabucco de Verdi ou encore Madame Butterfly de Puccini. Autant de chefs-d’œuvre nés sur la scène scaligère. Véritable aimant des mélomanes, la Scala attire aujourd’hui plus de 30% de visiteurs étrangers. Ce temple de l’art lyrique serait d’ailleurs la deuxième marque italienne après Ferrari. Un opéra, inauguré en 1778, qui conserve toujours le parfum de son propre passé, tant dans la gestion que dans ses représentations. « À la Scala, mon objectif n’est pas de pousser les recettes comme ce fut le cas à Vienne où la billetterie est passée de 28 à 38 millions d’euros par an en 9 ans. Nous disposons déjà de 35 millions d’euros de mécénat – je pense notamment à la banque Intesa San Paolo et à Rolex qui effectuent un travail formidable. En dépit du Covid nous avons enregistré un record historique de recettes de mécénat » La Scala contribue au rayonnement de la culture italienne et sa direction constitue donc un poste clef. « Je ne crois pas au directeur d’opéra oracle, mais explorateur du passé et du présent. Diriger la Scala, c’est une vie de passion profondément déraisonnable. »

Le théâtre de la Scala - © Teatro alla Scala

Le théâtre de la Scala – © Teatro alla Scala

Le maestro européen à la tête de la Scala

Il a suivi le cursus honorum parfait pour diriger l’un des plus grands opéras du monde. Second Français après Stéphane Lissner à diriger cette institution milanaise, Dominique Meyer a été nommé pour une période de 5 ans après un parcours exceptionnel. Il est à la fois chef d’entreprise de la Scala, qui compte près de 900 employés, et son directeur artistique. Toujours calme, souriant et réactif, le directeur maîtrise parfaitement ses sujets et son institution qui génère plus de 120 millions d’euros de revenus. Un homme de devoir et d’actions. « Avec le Covid, il y a urgence que la Scala retrouve sa pleine capacité d’accueil. Cet automne, nous avons présenté des opéras avec des effectifs restreints afin de nous adapter à la contrainte de l’épidémie : Rossini, Cavalli ou encore Donizetti ». Les idées, tant théoriques que pratiques, pour conduire et améliorer l’organisation de l’opéra italien sont légion.

La Théoria opératique – la vision de Dominique Meyer

« L’opéra est avant tout une affaire d’émotions. » Une nourriture de l’âme. « Il s’agit de mettre en spectacle la plus grande variété des affects humains : créer l’émotion par l’émotion. On peut néanmoins déplorer une certaine sorte d’arrogance d’une partie du milieu qui l’éloigne parfois du public ». « Je prône une approche plus simple, plus sincère, plus immédiate et plus directe de l’opéra. »  Ce problème d’arrogance apparaît aussi dans les prix des billets. Un problème d’offre et non de demande, souligne le directeur « – Les gens qui vont à l’opéra peuvent payer – ». Une idée fausse qui exclut un public qui ne pourrait payer que des prix plus raisonnables. Il existerait donc une vraie sensibilité prix pour les places d’opéra justifiant les subventions publiques pour la production lyrique.

Dominique Mayer, directeur de la Scala de Milan - © Teatro alla Scala

Dominique Mayer, directeur de la Scala de Milan – © Teatro alla Scala

De l’Oikonomia de la Scala

A son arrivée, le directeur note un fonctionnement quelque peu vétuste. Dominique Meyer mène alors une réforme qui aboutit en juin 2021 : changement de l’organigramme, délégation de pouvoir aux directeurs, création d’un système d’audit interne. A cet aggiornamento s’ajoute un combat écologique : efficience énergétique, gestion des déchets, réduction de l’usage du papier. Si la mise en place de LED peut sembler une réforme écologique triviale, la couleur chaude de la salle milanaise se devait d’être conservée, ce qui ne va pas de soi avec les nouvelles lampes. Rénover sans dénaturer : voilà toute la difficulté de la gestion d’une institution plusieurs fois centenaire. Mais Dominique Meyer souhaite aussi renouveler l’expérience du spectateur. « Nous sommes en train de transformer les modalités de sur-titrage avec la mise en place de tablettes proposant 8 langues. On pourra aussi commander digitalement des boissons pour l’entracte, un système qui a déjà fait ses preuves en Autriche. ». Après l’Opéra d’État de Vienne, Dominique Meyer est en train de réorganiser la Scala en une véritable entreprise moderne. Une sorte de réforme d’art total pour assurer la pérennité du théâtre milanais.

Une série de questions posée au directeur de la Scala

Quelles différences entre un public milanais, viennois ou parisien ?

  • A Milan, le public s’attache davantage au chant qu’à la mise en scène. Il rejoint, de ce fait, le public autrichien.
  • En Autriche, la musique classique est une véritable religion : 10 000 billets vendus chaque soir à Vienne. Certains considèrent même que, de fait, un directeur d’opéra est plus important qu’un membre du gouvernement. Nous arrivions d’ailleurs très régulièrement à 99 % de remplissage au Wiener Staatsoper, même avec des opéras et ballets contemporains.
  • A Paris, l’art lyrique est important mais pas prioritaire. L’attention parfois excessive pour la mise en scène plutôt qu’à la musique vient à mon avis essentiellement des journalistes, et reflète sans doute un certain ennui des critiques qui vont trop souvent au spectacle. 

Pourquoi compose-t-on moins d’opéras aujourd’hui ?

  1. « La musique contemporaine est devenue plus complexe et plus longue à composer. Une page de partition de musique baroque est de fait plus simple, et comporte beaucoup moins de lignes. Il faut en moyenne aujourd’hui pour un compositeur plus de 2 ans pour créer un opéra, alors que la Clémence de Titus de Mozart a été composé en 17 jours… 
  2. Les compositeurs livrent souvent leurs œuvres avec retard. C’est le corollaire de la complexité précédemment évoquée. J’aimerais par exemple beaucoup commander une nouvelle pièce à George Benjamin. Son agenda est plein pour les 3 ou 4 prochaines années. Or, il lui faudrait 2 ans pour composer. Ainsi, cette commande excéderait mon mandat de 5 ans. A cette lenteur s’ajoutent parfois des retards. Or, notre activité se doit d’être planifiée avec rigueur.
  3. Dans le dernier quart du XXe siècle, le monde de la composition était régi par une certaine idéologie intransigeante et asséchante. Au sortir d’une représentation, on entendait dire « intéressant », ce qui était un moyen élégant de dissimuler l’ennui. Néanmoins, depuis une quinzaine d’années, un vent de fraicheur et de liberté souffle sur la production lyrique : je pense par exemple à Thomas Adès ou George Benjamin qui incarnent ce renouveau. »

Quel opéra pour initier des enfants à l’art lyrique ?

« Pas la Flûte Enchantée ! C’est une fausse bonne idée. Il faut tout d’abord un opéra de moins d’une heure avec des petits enfants car au-delà, la concentration s’émousse ! Pour les plus grands, mieux vaut choisir des opéras très dramatiques : un opéra qui fait pleurer ou qui crée des émotions, comme La Bohème ou Tosca.

Un opéra qui gagnerait à être connu selon vous ?

« Voilà une phrase paresseuse que j’abhorre : « il n’y a pas de chefs-œuvre méconnus ». Je pense tout d’abord à la Naples du XVIIIème qui était la capitale mondiale de la musique classique avec plus de 300 compositeurs. Nicolas Porpora (qui utilisait le célèbre castrat Farinelli comme une véritable arme de guerre), Leonardo Leo ou encore Alessandro Scarlatti. Comme Première cette année, nous présenterons à la Scala l’opéra vénitien de Cavalli la Calisto d’après les Métamorphoses d’Ovide.

Existe-t-il aujourd’hui un équivalent de la Callas ?

La Callas est unique. Plus qu’une cantatrice, Maria Callas était une personnalité, elle incarnait aussi une période. Elle s’est d’ailleurs produite pendant 12 années sur la scène milanaise.

Maria Callas. Gli anni della Scala (de Vittoria Crespi Morbio, éditions Allemandi) © Teatro alla Scala

Maria Callas. Gli anni della Scala (de Vittoria Crespi Morbio, éditions Allemandi) © Teatro alla Scala

«Si quelqu’un sort d’un opéra plus heureux et en paix, j’ai atteint mon but.  ». La phrase n’est pas de Dominique Meyer mais de Maria Callas. Mais c’est bien la même ambition qui anime La Callas et le directeur de la Scala et qui transparaît dans sa nouvelle organisation. Etonner, terrifier ou encore enchanter – c’est bien un concert d’émotions qu’offre la Scala tous les soirs à ses spectateurs. Des affections qui nous accompagnent bien avant que le rideau ne se lève et qui se terminent longtemps après sa chute.

 

La conversation a été modifiée et condensée pour plus de clarté.

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