Roberto Ferri (né en 1978) est un artiste peintre italien originaire de Tarente, en Italie, qui s’inspire profondément des peintres baroques (le Caravage en particulier) et d’autres maîtres du Romantisme, de l’Académie et du Symbolisme. Ses œuvres se trouvent dans d’importantes collections privées et publiques à Rome, Milan, Londres, Paris, New York, Madrid, Barcelone, Miami, San Antonio (Texas), Qatar, Dublin, Boston, Malte et au château de Menerbes en Provence.
Basile Marin : Dans un monde où l’on croit que toute beauté provient du « regard » du public sur elle, où le perfectionnisme esthétique avec tous les absolus qu’il comporte semble appartenir au passé, votre peinture semble être un cri vers Dieu et vers le Ciel. Vos personnages sont souvent représentés dans des états de souffrance profonde, luttant pour leur libération ou luttant pour revenir à la perfection de leur forme platonicienne. Vous qualifieriez-vous de peintre néo-idéaliste ? Quelle est la malédiction de l’art contemporain que vous essayez d’éliminer avec vos peintures ?
Roberto Ferri : J’aime définir mon art comme atemporel, rejetant ainsi les concepts de « contemporain » et d' »anachronisme ». Mon art se veut être un cri silencieux, et j’entends récupérer toutes les valeurs que l’art contemporain a essayé de détruire, en particulier celle de la Beauté, qui a été blessée et portera inévitablement cette cicatrice. Ma peinture veut célébrer ce concept même, alors que l’art contemporain, depuis des décennies, ne se préoccupe que de générer et de régénérer le concept dont il se nourrit, généralement dans le seul but d’étonner. Il est nécessaire de retrouver tout ce qui fait de nous des êtres humains, faits de sentiments, d’émotions et de pulsions, et qui nous a permis, au cours des siècles passés, de créer de grands chefs-d’œuvre, témoignage que la Beauté est intrinsèque à notre « être » et que nous y aspirons inévitablement. Il faut savoir que le processus de création est un processus dynamique. Il correspond à la recherche éternelle de la Beauté qui sera interrompue par la finition du tableau mais dont le mouvement se poursuit. Ainsi, le sujet continue à vivre dans l’esprit de la création.
B.M. : Vous avez atteint une renommée mondiale pour avoir peint des corps extrêmement beaux, tant masculins que féminins, souvent presque entièrement nus. Cependant, ces corps ne sont jamais sexualisés. Comment réussissez-vous si parfaitement ce que j’appellerais la « nudité désincarnée » ? Comment est-il possible de montrer son corps tout en restant pudique ?
R.F. : Je renoue avec le discours sur la beauté dont je parlais tout à l’heure. Cependant, je ne parlerais pas de nudité désincarnée, mais de corps qui, dans leur nudité et leur beauté, cherchent quelque chose qui va au-delà de la sexualité, à travers la douleur et la souffrance de leur âme reflétée dans leur chair, pour atteindre une certaine connaissance d’eux-mêmes et de leur création. Pour arriver à quelque chose qui est au-delà de la réalité qui se révèle devant nos yeux. C’est pour cette raison que l’on trouve souvent dans mes tableaux des déformations monstrueuses qui mortifient le corps ou des machines que je définis comme nobles, comme les sextants et les astrolabes, qui déchirent parfois la chair ou sont des machines de torture qui guident parfois l’âme vers la rédemption. C’est un processus de sublimation qui attire l’observateur qui en est d’abord fasciné, mais qui est immédiatement catapulté dans une autre vision souvent plus macabre, sans être négative. En outre, les personnages de mes tableaux représentent extérieurement des anges, des démons, des dieux, mais en réalité, c’est comme s’il s’agissait d’autoportraits intérieurs qui émergeaient plus profondément de la surface pour être peints sur la toile. De cette façon, la sexualité passe au second plan par rapport au désir d’extérioriser une émotion ou un sentiment.
Ovi Doke : Les défigurations dans certains de vos tableaux (comme dans « lo specchio nero », « perduto nella memoria », « lacrima notturna ») créent des visuels troublants mais iconiques qui équilibrent magnificence et pénitence. Comment parvenez-vous à parer ces imperfections ?
R.F. : J’essaie de créer un équilibre universel dans chacun de mes tableaux, comme s’il s’agissait d’un microcosme, dans lequel coexistent le Bien et le Mal de l’âme. Les déformations du corps représentent les déformations de l’âme qui cherche désespérément le salut. C’est tout ce qui nous ronge de l’intérieur. Cela m’a même rongé à certains moments de ma vie. C’est une émotion qui prend forme, il n’y a en effet aucun lien avec l’anatomie. La plupart du temps, ce sont des êtres monstrueux qui sont loin d’être humains. Les corps sont souvent usés, blessés, avec des excroissances monstrueuses mais qui tentent constamment de préserver leur beauté. L’attraction et la répulsion sont donc les deux pôles qui régissent l’univers de chacun de mes tableaux. Le critique et historien d’art Claudio Strinati le décrit dans un de ses écrits : « …Il les pousse, ensuite, à un niveau avancé et tourmenté de perfection exécutive, donnant au spectateur l’idée d’une attitude très précise et lenticulaire pour réactiver un monde de beauté et de séduction qui, pour beaucoup, était comme irrémédiablement perdu. Puis, cependant, lorsque l’image a atteint son niveau maximal d’évidence et d’efficacité, il semble l’attaquer lui-même, la corroder, extraire l’autre de lui-même, une composante malade et « maléfique »… »
B.M. : En peignant la vie, vous capturez l’instant et, à votre tour, vous comblez le fossé entre les couleurs et les émotions : comment décririez-vous ce processus ? Comment un peintre peut-il établir ce lien émotionnel avec son œuvre en donnant au public l’impression d’être les ombres du tableau ?
R.F. : J’ai étudié pendant longtemps et pendant des années en tant qu’autodidacte les traités anciens, les techniques des maîtres anciens et les secrets des couleurs, leurs propriétés chimiques, en relation avec la lumière et ce qu’elles transmettent au niveau émotionnel. La relation entre les couleurs et les émotions est très étroite, mais seule une étude approfondie et une recherche perpétuelle de soi peut conduire à la compréhension de leur relation étroite. Chaque couleur correspond à une émotion et leur combinaison provoque une symphonie de couleurs et par conséquent une symphonie d’émotions. J’aime me plonger dans mes tableaux, car lorsque je le fais, c’est comme si je faisais un voyage profond à l’intérieur de moi-même. Cela me permet d’entrer en relation avec le monde et les autres. Je pense que c’est pour cette raison que lorsqu’une personne regarde une de mes peintures, elle parvient à se retrouver elle-même et à être envahie par une série d’émotions qui mènent souvent à l’émotion. La chose intéressante que j’ai remarquée est que les gens ne reçoivent jamais les mêmes émotions que j’ai ressenties en peignant. Les gens décrivent des émotions complètement différentes. Cela me fait comprendre que la peinture a la capacité d’extrapoler des émotions différentes selon l’individu qui l’observe. C’est pour moi un sujet de recherche permanent, il y a d’innombrables facettes, d’innombrables langages. Pour en revenir au concept de symphonie, je pourrais dire que lorsqu’une personne regarde une de mes peintures, une nouvelle symphonie d’émotions jaillit en elle.
B.M. : Si vous deviez décrire en mots un tableau imaginaire dans lequel un homme ferait pénitence pour avoir trahi l’être aimé, quelle mise en scène choisiriez-vous ? Quelle punition sa femme lui infligerait-elle ? Comment la montreriez-vous visuellement, elle et son attitude ? Finira-t-elle par lui pardonner ?
R.F. : Je me souviens d’une de mes peintures qui pourrait parfaitement décrire la scène, Il teatro della crudelta. Un sphinx, d’une manière très sensuelle et détachée, tient une chaîne à laquelle est suspendu un homme décapité, sans bras et dégoulinant de sang, à la manière de Judith et Holopherne d’Artemisia Gentileschi. Une sorte de théâtre dans lequel se déroule cette scène atroce. Elle représente l’énigme du sphinx et notre éternelle question qui n’obtient jamais de réponse : le sphinx dévore l’homme qui n’a pas la solution à la question posée.
Dans ce cas, le sphinx tient enchaîné l’homme qui l’a mis en pièces. Elle ne montre pas cet aspect cruel mais plutôt sensuel. La terrible et belle femme sphinx qui tourmente l’homme physiquement et émotionnellement est l’image qui m’est venue à l’esprit lorsque j’ai pensé à une scène de trahison. « Il y a toujours une femme à craindre face à la trahison. » Donc pour répondre à votre dernière question, je ne pense pas qu’elle lui ait pardonné.
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