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L’Economie Française N’Est Pas Encore Sauvée

Getty Images

En ce début d’année, le président de la République Emmanuel Macron aurait tort de ne pas regarder avec fierté ses premières réussites acquises l’an dernier. Tout comme il commettrait une erreur en imaginant que le succès lui colle forcément à la peau. Au moment d’aborder les réformes structurelles qui compléteront l’acte I engagé l’an dernier avec les Ordonnances Travail, le courage et l’audace resteront ses meilleures armes pour ancrer durablement l’économie française dans une spirale de performance.

Tout semble sourire à Emmanuel Macron. Mais pour combien de temps ? Les défaillances d’entreprises poursuivent leur recul amorcé en 2016. La France devrait aussi terminer l’année écoulée avec une croissance enviable de +1,9%. Et le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, n’hésite plus à faire des 2% de croissance annuelle une cible crédible pour 2018.  Sur les onze premiers mois de l’année 2017, la production manufacturière a enregistré une progression de +2,5% par rapport à l’année précédente. Les industriels ont recommencé à investir et leur moral est au plus haut. La destruction des emplois industriels, si marquante depuis quinze ans, semble également marquer une pause.

Partout dans le monde, on se remet à attribuer à la France un crédit sur le plan économique, celui-là même qui avait totalement disparu sous le quinquennat de François Hollande. Les investisseurs américains se disent de plus en plus confiants en l’avenir de l’économie française. La Chine de Xi Jinping a même reçu en grande pompe le Président français début janvier, avec à la clé plusieurs contrats, dont une commande juteuse de 184 Airbus A 320.

La situation n’est pas très brillante de l’autre côté de la Manche. Theresa May est empêtrée dans un Brexit qu’une majorité de Britanniques semble désormais regretter. Et, malgré des excédents budgétaires et commerciaux toujours insolents, l’Allemagne est en plein doute sur le plan politique, affaiblissant le leadership européen que détenait jusqu’alors la chancelière allemande, Angela Merkel.

Notre pays peut donc célébrer sa splendeur retrouvée aux quatre coins du monde, à commencer par Las Vegas où une très copieuse délégation de start-up est venue défendre, du 9 au 12 janvier dernier, l’excellence à la française sous la bannière de la French Tech.

Toute tentative pour revenir à la réalité dans ce contexte euphorique sera certainement regardé comme du masochisme. Sans nier l’embellie conjoncturelle, pour bien regarder 2018 en face, il faut chausser les bonnes lunettes, car certains indicateurs de court terme rendent parfois myope.

L’industrie se relève mais reste encore terriblement exposée

Une bonne partie de son redressement tient non seulement aux effets du Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) adopté sous le précédent quinquennat, mais aussi à la baisse du prix du pétrole et à la dépréciation de l’euro. Or, non seulement l’effet CICE sera plus faible cette année (avec une baisse d’un point de taux), mais le prix du baril de pétrole est reparti à la hausse, tandis que le rebond de la monnaie unique face au dollar commence à inquiéter sérieusement les exportateurs. Plus grave, depuis 2008, la compétitivité hors-prix de nos entreprises s’est considérablement dégradée, du fait de la compression des marges (qui se redressent mais insuffisamment encore) et d’un sous-investissement chronique.

Résultat, l’économie française continue à perdre aujourd’hui encore des parts de marché.

Structurellement, notre économie patine en termes de gains de productivité. Ceux-ci progressent de moins de +1% par an. Un phénomène qui s’explique de différentes manières. Une explication n’est pas suffisamment connue : le crédit a coulé à flot depuis trois ans sous l’effet d’une politique monétaire ultra-accommodante décidée par la Banque Centrale Européenne (BCE), ce qui pourrait avoir conduit à servir des entreprises peu productives, qui auraient ainsi survécu grâce à cet apport d’argent.

Une thèse soutenue par plusieurs chercheurs de l’OCDE d’autant plus alarmante qu’elle illustre l’incapacité plus générale de notre économie à conduire la transition entre l’ancienne économie et la nouvelle, plus riche en nouvelles technologies et en services.

Si le ralentissement de la productivité est un problème, c’est aussi parce que les rémunérations ont continué à croître plus vite qu’elle : ainsi, depuis 2000, le salaire horaire réel a progressé de 21% contre 16,5% pour la productivité du travail. Une situation inversée par rapport à l’Allemagne (respectivement 19% et 22%), qui montre à quel point il y a urgence à aller plus loin dans la décentralisation des négociations sur les salaires, pour l’heure gérées par les branches, à l’exception des « primes », désormais à la main des entreprises depuis les Ordonnances Travail votées l’an dernier.

Le bilan du premier semestre 

Le gouvernement l’a bien compris : il ne pourra en aucun cas relâcher l’effort s’agissant du rythme et de la profondeur des réformes structurelles.

Pour autant, il ne faudrait pas qu’il soit victime du succès des Ordonnances Travail. Car la tentation compréhensible des équipes d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe de mettre sur la table plus de vingt chantiers de réformes (Logement, Assurance-Chômage, Transition énergétique, Formation professionnelle, Réforme de l’Etat, Loi Confiance, Plan Entreprise, Retraites, Répression de la fraude fiscale, Réforme constitutionnelle…) comme il le fait aujourd’hui pose question.

Est-il possible pour les Français et le Parlement, qui devra à lui seul examiner plus de dix projets de loi au 1er semestre, de comprendre et d’absorber tous ces changements en vue ?

La pédagogie doit rester le maître-mot du quinquennat Macron. Prendre le temps d’expliquer et de donner du sens est un impératif catégorique, surtout lorsqu’on regarde dans le rétroviseur pour contempler l’échec de son prédécesseur sur ce terrain. Or, il faut aller vite pour ne pas céder un pouce de terrain au clan des « Insoumis », mais sans commettre d’erreur de précipitation ou d’approximation. L’an dernier, le gouvernement s’est pris les pieds dans le tapis avec les « APL », chacun ne retenant de la réforme du Logement en préparation, si indispensable par ailleurs, que le coup de rabot de 5 euros aux dépens des 6,5 millions d’allocataires des aides personnalisées au logement (APL). Un couac isolé pour l’instant, mais dont les leçons politiques doivent être tirées.

Les réformes économiques et sociales visées exposent Emmanuel Macron et Edouard Philippe à de nombreuses questions pièges. L’équipe gouvernementale va devoir se sortir d’une situation compliquée ouverte par le débat sur le rôle de l’entreprise et la réécriture demandée par certains des articles 1832 et 1833 du Code civil, qui aurait pour objectif d’obtenir un meilleur marquage sociétal de ses interventions. En coulisse, il se murmure que le ministre de l’Economie aurait donné des gages aux entrepreneurs sur le statu quo. On verra dans quelques semaines comment Jean-Dominique Senard et Nicole Notat, auxquels la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a confié une mission le 5 janvier dernier, vont sortir « par le haut » de ce débat miné.

Deuxième exemple : l’assurance-chômage, pour laquelle les partenaires sociaux sont sollicités en vue de rendre une copie sur des sujets explosifs d’ici mi-février. Au menu, une problématique jusqu’à présent insoluble : comment trouver une réponse équilibrée pour enrayer le recours aux Contrats à Durée Déterminée (CDD) sans nécessairement passer par une logique de sanction, qui s’est toujours avérée inefficace jusqu’à présent lorsque cette option a été retenue ?

Rien ne sera simple pour « déminer » des sujets de nature à cristalliser les tensions entre organisations patronales et syndicales d’une part et entre l’Etat et les partenaire sociaux (avec l’enjeu de la gouvernance de l’Unédic) d’autre part.

Les priorités de l’entrepreneur en 2018 : se conformer ou innover ?

Chacun aura noté que la « cagnotte » fiscale, qui libérerait encore davantage les marges et la capacité à investir des sociétés se fera surtout sentir en 2019, car les discussions budgétaires de l’automne ont abouti à reporter d’un an la bascule du CICE vers une baisse de charges sociales pérennes. Impératif financier oblige.

La baisse de charge fiscale sera donc faible cette année, mais non nulle avec la réduction graduelle de l’impôt sur les sociétés qui démarre dès 2018. C’est sur le plan des contraintes réglementaires et administratives que nous pouvons être le plus inquiets. La « transformation de l’économie et de la société », voulue à juste titre par le Président de la République, a pour contrepartie à ce stade une augmentation du légicentrisme. Les lois et règlements -déjà 400 000 textes en vigueur à ce jour- vont prospérer encore cette année, après une année 2017 marquée par une vingtaine de décrets d’application des Ordonnances Travail.

Tout devra être mis en œuvre à l’avenir pour éviter que cet appétit normatif public ne rajoute de la complexité et des charges financières aux dirigeants d’entreprise, dont la mission première doit être de se développer et d’innover. Or, l’année 2018 va être marquée par une surenchère de mises en conformité pour les entreprises de toute taille.

Fardeau juridique

Pour faire court, on peut d’ores et déjà recenser sept obligations juridiques principales et supplémentaires correspondant à des « coups partis » du quinquennat Hollande et aux implications des nouvelles réformes à l’ère Macron : devoir de vigilance issu de la loi du 27 mars 2017 ; lutte anti-corruption issue de la très controversée loi Sapin II entrée en vigueur le 30 juin dernier ; mise en place des Ordonnances Travail ; réforme de la formation professionnelle avec la gestion du compte personnel de formation (CPF) ; plan de mobilité en entreprise, issu de la loi de transition énergétique entrée en vigueur au 1er janvier dernier ; prélèvement à la source à compter du 1er janvier 2019 et à préparer dès cette année ; enfin, le Règlement européen sur  la protection des données personnelles, applicable au 25 mai prochain sur notre sol, qui fait trembler toutes les entreprises…

Un parcours du combattant attend donc nos entreprises, à commencer par les TPE-PME, le plus souvent dépourvues de département juridique interne. Elles vont donc devoir compter sur les Cabinets de Conseil et leurs propres ressources pour se mettre en conformité si elles veulent éviter des sanctions. Dans certains cas, celles-ci pourront même relever du pénal, comme le législateur le prévoit par exemple en cas de non-respect de la confidentialité (un an d’emprisonnement et 15 000€ d’amende) s’agissant de l’instauration du prélèvement à la source de l’impôt.

De nouvelles obligations législatives et réglementaires qui vont encore réduire le temps que nos entreprises pourront consacrer à innover et se développer…

L’économie française n’est pas encore sauvée. Les signaux de relégation qui se sont amoncelés depuis la décennie 2000 n’ont pas disparu. Depuis mai 2017, la direction donnée est la bonne pour inverser la pente et redresser la performance de l’industrie et des services. La méthode posée pour réformer est également la bonne. Toutes deux prennent appui sur une volonté politique qui ne montre pas de faiblesse. Mais il y a des « snipers » en embuscade des réformes à l’agenda gouvernemental de 2018. Pour déjouer leur vigilance et convaincre les entrepreneurs de la pertinence de la voie tracée, le gouvernement devra éviter de rajouter des obstacles à ceux qui se posent déjà. Pour leur part, les dirigeants d’entreprises dont la charge fiscale ne sera pas significativement baissée avant l’an prochain, croulent sous les contraintes administratives liées à l’empilement des lois et règlements applicables depuis le 1er janvier.

 

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