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CrowdHealth bouscule le système d’assurance maladie traditionnel aux États-Unis grâce au financement participatif

CrowdHealthConcept du financement participatif. Getty Images

CrowdHealth invite les Américains à abandonner le système d’assurance maladie traditionnel afin de se tourner vers une nouvelle approche de la gestion des dépenses. La startup a séduit les propriétaires de bitcoins, mais conviendra-t-elle à tout le monde ?

Un article de Brandon Kochkodin pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

En tant que père, Andy Schoonover a rencontré le même problème que tous les autres parents : une visite chez le médecin pour son enfant. Sa fille avait mal à l’oreille, et en se rendant chez le docteur, ils se sont rendus compte qu’elle avait le tympan percé. Heureusement, l’intervention était simple et n’a duré que quinze minutes.

Les choses se sont compliquées au moment du paiement. M. Schoonover versait 1 200 dollars (1 100 euros) par mois à son assurance, mais celle-ci lui a tout de même réclamé une facture de 8 000 dollars (7 300 euros) pour ce qu’elle a qualifié d’intervention « inutile ». De nombreux clients se contenteraient probablement de pester contre le système défaillant, tout en acceptant à contrecœur de payer la facture, et passeraient à autre chose. Mais dans le cas de M. Schoonover, les assureurs se sont trompés de cible.

Il s’est donné pour mission de détruire l’assurance maladie traditionnelle en créant un système parallèle. « Il y a tellement d’incitations perverses dans le système actuel qu’il n’y a aucun moyen de le changer sans le détruire », explique-t-il à Forbes. Son idée est une société appelée CrowdHealth. Avec CrowdHealth, les membres paient comptant leurs services médicaux, souvent bien moins que ce que les assureurs devraient payer après que CrowdHealth a négocié au nom du membre. Et les grosses factures ? Elles sont prises en charge par le financement participatif (également appelé « financement par la foule »).

M. Schoonover est titulaire d’un MBA de Stanford. Il a racheté et dirigé VRI, une société qu’il a comparée à Life Alert, et l’a transformée. Sous sa direction, VRI, contrairement à son concurrent le plus connu, ne se contente pas de réagir aux crises sanitaires, elle les anticipe en surveillant les paramètres vitaux tels que la glycémie et la tension artérielle de l’utilisateur. L’accent mis sur les soins préventifs n’a pas seulement profité aux clients de VRI, il a aussi transformé l’entreprise en un véritable jackpot pour M. Schoonover. En 2014, il a vendu VRI à un fonds d’investissement privé pour plus de 100 millions de dollars (91,7 millions d’euros).

CrowdHealth, née à Austin, auTexas, en 2021, est la réponse de M. Schoonover au chaos qui règne dans le secteur de la santé. Elle se veut l’antithèse du cauchemar typique de l’assurance : légère, efficace et avant tout humaine. Au cours de sa brève existence, elle a obtenu 12 millions de dollars (11 millions d’euros) de financement et, lors de sa dernière levée de fonds en 2022, elle affichait une valorisation de 30 millions de dollars (27,5 millions d’euros). L’entreprise a recruté 7 000 membres, qui paient chacun 50 dollars (45 euros) par mois, et se dirige donc vers un chiffre d’affaires annuel de 4 millions de dollars (3,6 millions d’euros). L’entreprise n’est pas encore rentable, mais M. Schoonover est persuadé qu’elle le sera d’ici le printemps. Cette approche peu orthodoxe a -t-elle séduit ? Les adeptes du bitcoin, pour ne citer qu’eux, affichent un taux de fidélisation de 99 % d’un mois sur l’autre.

CrowdHealth n’est pas une assurance. En échange d’un versement mensuel de 50 dollars, les membres bénéficient d’une équipe de chasseurs de bonnes affaires. Une tierce partie s’efforce de réduire leurs factures de médicaments et d’ordonnances, souvent de 30 %, simplement en connaissant le coût réel des soins médicaux après avoir déduit la part des compagnies d’assurance et en proposant de payer rapidement les prestataires en espèces. Selon M. Schoonover, la plupart des médecins sont favorables à la suppression de l’intermédiaire de l’assurance, mais il admet que tout le monde n’est pas d’accord. Il y a eu des réactions négatives, en particulier dans le nord-est de l’Amérique, mais il affirme que ce n’est pas un obstacle pour les clients potentiels de cette région.

« Les initiatives de ce type fonctionnent mais elles peuvent s’arrêter du jour au lendemain », explique à ForbesLarry Levitt, vice-président exécutif chargé de la politique de santé à la KFF (anciennement Kaiser Family Foundation). « Sept mille membres, cela semble beaucoup, mais dans le contexte de l’assurance maladie, c’est très peu. Il suffirait de quelques cas de malchance avec les abonnés pour submerger un modèle comme celui-ci. Et contrairement aux compagnies d’assurance, il n’est pas réglementé, ce qui signifie qu’il n’y a pas de recours si un abonné n’obtient pas le paiement de ses factures. »

 

La tragédie des biens communs

Au-delà des cotisations mensuelles, les membres sont également encouragés, mais non contraints, à verser des contributions. Une famille de quatre personnes, toutes âgées de moins de 55 ans, paiera potentiellement 400 dollars (367 euros) de plus par mois (il s’agit d’un maximum et non d’un minimum) aux autres membres qui doivent payer leurs factures médicales, ce qui porte la facture mensuelle totale, y compris les 50 dollars par mois et par personne, à environ 600 dollars (550 euros). Si l’on compare ce chiffre à la moyenne de 1 437 dollars (1 318 euros) par mois pour une assurance non subventionnée, CrowdHealth peut sembler une bonne affaire, en particulier pour les personnes qui ne bénéficient pas d’une couverture de leur employeur.

CrowdHealth évite le problème de la « tragédie des biens communs » – où tout le monde prend et personne ne donne – en attachant un score de générosité à tous les comptes. Ce chiffre indique à chacun le montant de la contribution des membres. Il s’agit d’un coup de pouce contre l’égoïsme. Lorsque les membres ont besoin de fonds, la foule consulte leur score. Pas de générosité, peut-être pas d’amour. Il n’y a pas de demandes ou de remboursements déroutants. À la place, les membres disposent d’un guide détaillant ce que la foule financera et ne financera pas. L’idée est que les membres bénéficient d’une visite préventive par an entièrement financée par la communauté, puis qu’ils acceptent, comme une franchise, de couvrir les 500 premiers dollars de toute autre demande de remboursement, après quoi la communauté intervient. Lorsque quelqu’un a besoin d’aide, la foule ne voit que l’essentiel, sans le nom du bénéficiaire : le problème de santé, le lieu (afin qu’ils puissent peut-être donner leur avis sur les prestataires dans la région), le score de générosité du demandeur, et si le coût du service est juste ou non. Il s’agit d’un système fondé sur le principe du donnant-donnant, qui compte sur la nature humaine pour faire en sorte que ceux qui aident les autres reçoivent de l’aide en retour.

Brooks Lockett, rédacteur indépendant et membre de CrowdHealth depuis 2022, explique qu’il a fallu s’habituer au système. Il avait des doutes. Par exemple, CrowdHealth pouvait-il prendre en charge les dépenses de santé importantes ? Mais lorsqu’il a dû se faire opérer du genou après une blessure en escalade en 2023, CrowdHealth a pu réduire le prix à quelques centaines de dollars.

« CrowdHealth n’est certainement pas fait pour tout le monde, mais il fonctionne pour les personnes qui veulent une approche minimaliste et qui sont prêtes à assumer la responsabilité de leur santé et des soins dont elles ont besoin », explique M. Lockett à Forbes. « La plus grande révélation pour moi a été la façon dont le modèle de paiement modifie la relation médecin-patient. On s’aperçoit que les médecins préfèrent en fait les clients qui paient comptant. C’est fou comme l’expérience est meilleure maintenant que mes médecins savent que je fais une transaction directe avec eux, ils sont davantage bienveillants. »

 

Les limites de CrowdHealth

CrowdHealth n’est pas sans limites. Le système n’accepte pas les membres qui fument ou les hommes qui pèsent plus de 115 kilos ou les femmes qui pèsent plus de 100 kilos, selon M. Schoonover. Vous vivez dans l’un des cinq États ou à Washington, D.C., où il existe une obligation de couverture minimale essentielle ? CrowdHealth n’y répondra pas. Bien qu’il couvre de nombreuses procédures médicales, il établit certaines limites. L’acupuncture et les soins chiropratiques sont exclus. Les exclusions s’étendent à certains troubles comme le TDA et le TDAH, ainsi qu’à la désintoxication et aux traitements des troubles de l’alimentation. De nombreuses questions liées à la reproduction – telles que les avortements, les contraceptifs, l’infertilité et l’impuissance – ne sont pas éligibles au financement partifipatif, bien que certains assureurs ne couvrent pas non plus ces services.

« Beaucoup des exclusions appliquées par CrowdHealth sont similaires à celles que les compagnies d’assurance avaient avant la Obamacare (Loi sur la Protection des Patients et les Soins Abordables) », déclare M. Levitt de la KFF. « D’une certaine manière, cette loi permet ce genre d’entreprises, car si vous tombez malade, vous pouvez toujours bénéficier d’un plan de l’Obamacare, même si vous souffrez d’une maladie préexistante. Il suffit de prendre le risque de ne pas être couvert jusqu’à la prochaine période d’inscription ouverte. »

Il existe également une zone grise qui pourrait faire froncer les sourcils : les exclusions pour ce que CrowdHealth appelle les « activités dangereuses ». Il s’agit de risques évidents, comme les courses tout terrain, mais aussi de toute activité qu’une tierce partie indépendante pourrait juger trop risquée. CrowdHealth précise qu’il ne s’agit pas d’une échappatoire permettant d’éviter de financer des blessures coûteuses, mais d’empêcher les gens d’agir de façon insouciante.

« Conceptuellement, le modèle fonctionne de la manière dont les économistes ont traditionnellement considéré l’assurance : il y a une réserve de fonds qui sont utilisés pour couvrir les dépenses catastrophiques qui peuvent survenir rarement pour le groupe mis en commun », explique Karoline Mortensen, directrice associée du Center for Health Management Policy de l’Université de Miami. « L’assurance maladie s’est beaucoup éloignée de cette approche, les plans couvrant les services préventifs, les soins de routine, les bilans de santé et d’autres dépenses médicales relativement peu coûteuses et prévisibles. Les coûts des soins de santé continuent d’augmenter. Le modèle CrowdHealth obtient une traction financière en tirant parti de la négociation des frais pour les ramener à des niveaux abordables. Je considère CrowdHealth et le concept de partage de la santé comme des perturbations nécessaires à notre modèle traditionnel. »

Andy Schoonover indique que la société a financé chacune de ses demandes de financement participatif pour un montant supérieur à 500 dollars (460 euros), qu’il s’agisse de grossesses, dont le coût peut généralement être négocié à la baisse (de 30 à 40 %), ou de traitements contre le cancer, dont les coûts peuvent être similaires à l’achat d’une maison.

« Lorsque vous payez en espèces, les traitements contre le cancer deviennent beaucoup moins chers que vous ne le pensez », explique M. Schoonover. « Ils ne sont vraiment chers que dans le cadre de l’assurance maladie. Oui, ils coûteront plusieurs centaines de milliers de dollars, mais la communauté a montré qu’elle était capable de les financer. »

Katherine Hempstead, conseillère principale en matière de politique des soins de santé à la Robert Wood Johnson Foundation, met en doute les affirmations de CrowdHealth concernant les remises en espèces.

« Il est possible d’obtenir des remises en espèces sur les services de santé, mais je ne suis pas sûre que l’on puisse atteindre les niveaux revendiqués par CrowdHealth », explique-t-elle à Forbes.

 

Le modèle Amish

L’approche de CrowdHealth suit un modèle qui fonctionne depuis des générations dans la communauté Amish. Dans leur système, lorsqu’une personne tombe malade, on attend d’elle qu’elle paie 20 % des coûts, les amis et les voisins contribuant à couvrir le reste. Pas de compagnies d’assurance, pas d’intermédiaires, mais un soutien direct de la communauté.

Il existe des différences entre l’expérience des Amish et CrowdHealth qui rendent la comparaison imparfaite. Les Amish sont très unis, liés par des valeurs communes et des liens culturels profonds. C’est une chose qu’une communauté proche se mobilise, mais il n’est pas certain que cet esprit se traduise dans un groupe plus large et plus diversifié d’étrangers. C’est là le véritable test pour CrowdHealth : convaincre un large éventail de la société. Les gens sont naturellement enclins à aider ceux auxquels ils s’identifient. Pour que CrowdHealth prenne réellement son essor, il doit combler les fossés.

« Je pense que l’application du modèle de soins de santé des Amish pose certains problèmes, car leur approche fonctionne dans une certaine mesure parce qu’il existe un groupe établi de personnes partageant les mêmes valeurs », explique M. Levitt. « Avec les systèmes religieux de partage de la santé, les gens se rassemblent pour protéger la communauté. Mais lorsque l’on transforme cette idée en entreprise commerciale, on dépend alors de la générosité d’étrangers. »

Il existe d’autres différences, selon Mme Hempstead, de la Fondation Robert Wood Johnson. Les Amish constituent une part importante des communautés dans lesquelles ils vivent, et les systèmes de santé locaux ne peuvent donc pas les ignorer. « Ils n’ont pas non plus recours à des procédures complexes ou à des soins de fin de vie onéreux, et ils ne sont pas non plus très procéduriers », explique-t-elle. La vérité, c’est que ces approches passe-partout ont tendance à échouer parce qu’elles entrent dans une spirale infernale lorsque les membres vieillissent, que les coûts augmentent et que les gens abandonnent par la suite. »

La stratégie de CrowdHealth consiste à exploiter les groupes d’affinités existants, et elle porte ses fruits auprès d’au moins un groupe : les propriétaires de bitcoins. Cela pourrait être dû à la crédibilité de M. Schoonover auprès de la cryptomonnaie car il est une voix familière sur les podcasts consacrés aux bitcoins. Mais il ne s’agit pas seulement de relations personnelles. L’approche non conventionnelle de CrowdHealth en matière de dépenses de santé trouve un écho auprès des propriétaires de bitcoins, une cohorte déjà désireuse de redéfinir les normes de l’argent. Il s’agit là d’un mariage à contre-courant.

Le fait que CrowdHealth, dans sa solution pour résoudre les problèmes de santé, s’attaque à l’un des problèmes qui, selon les bitcoiners, pèsent sur le système monétaire, est également un atout. Il s’agit du problème principal-agent.

 

Prendre ses responsabilités

Dans une assurance classique, le client laisse les rênes aux compagnies d’assurance pour qu’elles décident des soins de santé. Mais ces compagnies ont souvent – voire toujours – les yeux rivés sur les bénéfices, et pas nécessairement sur ce qui est le mieux pour le patient. Ce conflit peut conduire à des résultats approximatifs et à une spirale des coûts. CrowdHealth renverse ce scénario. Pas d’intermédiaires, pas d’intérêts contradictoires. Il s’agit d’un contrôle direct, qui devrait théoriquement permettre de maîtriser les coûts.

« Nous avons constaté qu’une fois que les gens sont responsables de leurs factures, leur comportement change », explique M. Schoonover. « Lorsque quelqu’un d’autre est responsable de vos factures, vous essayez d’extraire le plus de valeur possible du système. Si vous faites partie d’un groupe qui s’entraide, votre comportement change. Vous êtes en meilleure santé. Les factures diminuent. »

L’entrepreneur vise les 100 000 membres dans trois ans. Il s’appuie sur des chiffres solides et sur la conviction inébranlable des gens échaudés par le système traditionnel, qui pensent qu’il doit y avoir une meilleure solution. Pourtant, le véritable obstacle se dresse devant lui : convaincre les masses que l’assurance maladie est une cause perdue. Aujourd’hui, l’utilisateur type de CrowdHealth est un homme de 34 ans qui n’a pas d’assurance maladie financée par son employeur. M. Schoonover vise un public plus large.

« Le secteur de l’assurance maladie peut être comparé à un dinosaure », explique M. Levitt à Forbes. « Il n’y a pas eu beaucoup d’innovation, en particulier en ce qui concerne le service à la clientèle. C’est pourquoi l’esprit d’entreprise et la créativité sont certainement une bonne chose. CrowdHealth étant une entreprise de petite taille, le risque systémique est faible, mais le risque pour chaque individu pourrait être potentiellement très élevé. Cela fonctionnera probablement pour la plupart des souscripteurs. »

Au-delà des startups et des travailleurs indépendants qui forment son épine dorsale, la prochaine grande clientèle de CrowdHealth pourrait être surprenante. Selon M. Schoonover, il s’agit des professionnels de la santé eux-mêmes.

« Nous pensons qu’ils sont conscients que le système est défectueux », explique M. Schoonover. « Il s’agit d’une manière totalement différente de payer les soins de santé, et nous devons donc faire en sorte que les gens acceptent le fait que ce sont eux, et non le régime d’assurance, qui sont en fin de compte responsables de leurs propres soins de santé, et que cela inclut les factures. Mais si vous payez directement le médecin, c’est lui qui travaille pour vous, et non la compagnie d’assurance, et la décision concernant les soins que vous pouvez ou ne pouvez pas recevoir est prise entre vous et le médecin. »

 


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