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Diversité Dans Les Médias : La Fondatrice De Blavity S’exprime

blavityMorgan DeBaud, PDG de Blavity a bati une entreprise valant plus de 30 millions de dollars et a leve 11 millions de dollars. Source : Getty Images

Morgan DeBaun a créé Blavity en temps de crise deux mois après le meurtre de Michael Brown.  Un Afro-Américain tué par un policier blanc à Ferguson dans l’Etat du Missouri, alors qu’il ne portait pas d’arme. Frustrée par la couverture médiatique qui s’ensuivit, la trentenaire a quitté une situation professionnelle confortable dans le développement des affaires chez Intuit pour créer Blavity, la première entreprise d’information américaine pour les jeunes afro-américains. Le but de Morgan DeBaun était de créer une plateforme destinée aux voix et aux histoires, qui selon elle, étaient ignorées par les salles de rédaction traditionnelles.

Six ans plus tard, son équipe de 25 journalistes (comprenant des pigistes) se trouve en première ligne pour couvrir le meurtre d’un autre Afro-Américain désarmé par un policier blanc. Et son intérêt est plus pertinent que jamais car 83 % des journalistes étaient blancs en 2018, selon la Columbia Journalism Review.

« La tendance des médias progressistes consiste à se féliciter un peu de la façon dont ils se comparent aux médias non progressistes », explique Morgan DeBaun. « Ces dernières semaines, nous avons pu constater l’ampleur du travail à accomplir en tant que secteur des médias afin de garantir l’exactitude et le respect des histoires racontées ».

L’ancienne lauréate du prix Forbes 30 Under 30 dirige une entreprise de 55 employés qui organise deux conférences axées sur les personnes de couleur : Summit21, pour les femmes de couleur, et AfroTech, pour les Afro-Américains dans le domaine de la technologie. En mai, le site d’information a enregistré un record de 38 millions de pages vues ; une augmentation de 150 % en comparaison à avril. Il devrait dépasser ce chiffre en juin. Blavity, qui a refusé de divulguer ses revenus, est la plus grande entreprise de médias destinée aux Afro-Américains nés entre 1984 à 1996 (la génération Y). Après avoir levé une série A de 6,5 millions de dollars auprès de sociétés comme Comcast Ventures, GV et Plexo Capital en 2018 pour un total de 11 millions de dollars, la société est évaluée à plus de 30 millions de dollars.

Morgan DeBaun envisage maintenant de lever une série B qui tirerait parti de la croissance et du climat politique récents, qui ont provoqué de grandes marées de changement dans le secteur des médias. Alors que le soulèvement George Floyd prend racine aux États-Unis et à l’étranger, les salles de rédaction américaines sont également en cours de restructuration. La semaine dernière, les rédacteurs en chef du New York Times, du Philadelphia Inquirer, de Bon Appetit et de Refinery29 ont été licenciés en raison d’inquiétudes concernant des comportements ou des histoires racistes. Harper’s Bazaar a, quant à lui, annoncé le 9 juin son tout premier rédacteur en chef afro-américain.

Forbes s’est entretenu avec Morgan DeBaun au sujet de la direction d’une salle de rédaction afro-américaine et des possibilités qui s’offrent aux autres organes de presse afin de créer des organisations plus représentatives en interne et de raconter des histoires plus diverses.

Comment votre salle de rédaction traite-t-elle cette histoire ?
La boucle est bouclée pour moi et pour l’entreprise dans son ensemble, car c’est la raison pour laquelle nous avons créés Blavity. Notre équipe de rédaction – en fait toute l’entreprise – se sent motivée et inspirée parce que nous écrivons sur les brutalités policières depuis le début, c’est ce qui a impulsé notre création. D’une certaine manière, c’est donc motivant qu’il y ait enfin un moment soutenu où tout le monde est attentif. On aurait dit que nous avons été formés pour cela. Nous sommes prêts.

Que suggérez-vous aux grands médias pour couvrir cette histoire ?
Les salles de rédaction sont gérées par la répartition de leurs équipes ; elles devraient avoir un reporter axé sur les brutalités policières et la justice sociale. Les salles de presse et les publications des médias peuvent utiliser leur argent de manière à avoir un impact. Si quelqu’un travaille à plein temps dans une salle de presse pour couvrir la justice sociale et les brutalités policières, et suivre ces affaires jusqu’au bout, alors plus de gens en entendront parler et comprendront le long chemin qui nous attend.

Que pensez-vous des changements (provenant des directions) mis en place au cours de la semaine dernière ?
Je pense qu’il y a beaucoup de changements mis en place dans ce secteur. Certains semblent maladroits ou opportunistes dans une certaine mesure. On aurait dit que les gens avaient besoin d’une excuse pour en faire sortir certains. J’attends donc toujours de voir ce qui se passera ensuite, car pour moi, il s’agit de savoir par qui on les remplacera. Ce sera l’indicateur clé de l’intention initiale de cette personne de ne pas être là. Une salle de rédaction dépend des rédacteurs en chef et de la direction qui donne le ton pour ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Si les dirigeants ne connaissent pas leurs propres limites en matière de partialité et si un ensemble d’histoires et de voix diverses ne semblent pas prioritaire à leurs yeux. Il est essentiel d’en faire une priorité pour les dirigeants.

Quels sont les changements de leadership les plus importants à votre avis ?
Cela dépend de la publication. S’il s’agit d’une publication nationale, comme le New York Times, le remplaçant devrait être très probablement une personne de couleur ou quelqu’un qui aurait une vision des besoins d’une population majoritaire ou minoritaire, dans dix ans, sur une publication. Les nouvelles n’ont jamais été aussi importantes qu’aujourd’hui grâce aux réseaux sociaux ; tout le monde obtient toutes ses informations d’Instagram, de Facebook et de Twitter. Il est tellement important que nous existions tous avec honneur et confiance et que nous continuions à être des agents du changement pour la vérité. C’est pourquoi je demande aux grands conglomérats médiatiques de considérer quelqu’un qui a une vision de ce à quoi les nouveaux médias devraient ressembler à l’avenir.

Quels sont les problèmes institutionnels des médias qui doivent être abordés ?
Les préjugés sont présents dans la recherche d’informations. La façon dont les journalistes s’informent et valident leur point de vue est une chose que j’ai considérée comme une énorme opportunité pour les journalistes de vraiment s’intéresser à la question. D’où viennent ces informations et à qui posons-nous ces questions ? Où se trouve la racine de l’information dont nous parlons ? Et est-ce une source diversifiée ou y a-t-il d’autres endroits ou d’autres groupes de personnes dont nous devrions envisager d’obtenir des histoires ou des informations ? Tout débute avec ce tunnel d’informations.

Et en dehors de la salle de presse ?
Personnellement, le non-dit n’est pas nécessairement une simple question d’attentes vis-à-vis des publications médiatiques. Il est, en partie, lié à l’entreprise. Les annonceurs et les spécialistes du marketing ne veulent pas dépenser pour la mort des afro-américains et de la violence. Les annonceurs sont défavorables à ce type de journalisme et d’information, ce qui signifie qu’il sera difficile pour le secteur des médias de le justifier à l’échelle mondiale, car c’est une activité coûteuse à gérer. Ils ont mis leurs campagnes en pause, donc je suis essentiellement déficitaire pour couvrir ce qui se passe, et j’imagine que de nombreuses organisations de presse font de même. Les gens n’en parlent pas, sauf si vous êtes du côté des entreprises. J’essaie de ne pas en parler trop souvent à notre équipe de presse, parce que je ne veux pas qu’ils aient l’impression que leur travail n’a pas de valeur parce qu’un grand constructeur automobile ne veut pas diffuser de publicité contre leur travail. Nous devons contester les entreprises et les agences de presse qui créent ces règles.

Quel est votre conseil aux entreprises qui se demandent comment mieux soutenir leur personnel afro-américain ?
Mon plus grand conseil aux entreprises médiatiques, qui font un peu d’introspection en ce moment, est d’écouter davantage et d’arrêter de trouver des excuses. J’ai souvent entendu des gens dire qu’il y a cinq ou dix ans, nous avions un programme avec des universités et collèges (réservés aux afro-américains) ou que nous faisions des dons. Cependant l’important est de savoir ce que vous faites aujourd’hui. Si je m’approchais d’un employé afro-américain dans votre entreprise aujourd’hui, vous approuverait-ils ? Et si ce n’est pas le cas, vous n’avez aucune excuse. Mettons en place des actions pour nous assurer que c’est une expérience positive pour eux au quotidien. La tâche sera dure. Elle le sera ; ce n’est pas quelque chose qui peut être résolu simplement par l’argent.

Que ressentez-vous lorsque vous couvrez ces meurtres ?
Je pense qu’avec le temps, je suis devenu un peu indifférente dû à ces événements fréquents. J’ai un peu honte de le dire parce que c’est déchirant quand on y pense vraiment. Je me souviens que dans le cas d’Ahmaud (Arbery), mon père m’a appelée en FaceTime vers sept heures du soir ; neuf heures chez lui, ce qui est assez tard pour mon père. Je lui ai dit : « Hé, comment vas-tu ? Quoi de neuf papa ? » Il était si triste, et c’est dur de voir son père triste. C’était dur pour moi de ressentir sa douleur… Quand je l’ai vu si bouleversé, je me suis dit : « Mon Dieu, c’est horrible. » Cet homme allait juste courir. Mon père marche six à huit kilomètres tous les jours. Il vit à Nashville – ville où les personnes racistes sont légion. Il exerce la profession de médecin à Vanderbilt, mais peu importe sa nature pour ces gens. Cela peut sembler mauvais, mais nous recevons des vidéos comme celle-ci deux fois par mois. La surprise était que les gens s’en souciaient. Je pourrais vous donner cinq autres histoires dans ma boîte de réception qui sont des familles qui défendent l’histoire de leur proche pour la faire connaître.

Comment soutenez-vous vos journalistes en ce moment ?
D’abord le COVID-19 et ensuite les événements actuels, je pense que cela a certainement été épuisant pour beaucoup. Nous avons beaucoup de ressources pour notre équipe ; nous sommes intensifs, et nous devons l’être parce que couvrir des histoires de violence tous les jours est épuisant, et c’est très dommageable pour votre santé mentale. Nous méditons quotidiennement les matins. Nous avons organisé une réunion d’entreprise qui concernait uniquement les soins personnels. Nous avons demandé à différents employés de lire des poèmes, d’animer des prières, de partager de la musique. Puis, une semaine plus tard, nous avons organisé une deuxième réunion publique où nous avons parlé des mesures que nous allions prendre et avons célébré nos succès. Nous avons certainement été un peu plus intentionnels pour nous assurer que notre équipe sache qu’elle peut prendre des jours ou des demi-journées de congé.

A-t-on le sentiment que ce pourrait être un véritable moment de changement ?
Je dirais que nos reporters et rédacteurs afro-américains sont prudemment optimistes. Nous ne nous sentirons pas soulagés ou n’aurons pas le sentiment d’avoir accompli quelque chose tant que la justice n’aura pas été rendue, ce qui signifie une condamnation, ce qui n’est pas le cas. En mémoire de Breonna Taylor, d’Ahmaud Arbery et George Floyd.

Note : Cet entretien a été édité par souci de clarté et de concision.

<< Article traduit de Forbes US – Auteur (e) : Madeline Berg >>

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