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Mélanie et Amélie Huynh, l’entrepreneuriat en héritage

Filles d’un couple d’entrepreneurs, les deux sœurs ont chacune monté leur propre business – la première dans la beauté, la seconde dans la joaillerie – tout en faisant fructifier les marques du groupe familial Æra Nova, fondé par leur père, un homme d’affaires sino-cambodgien. Un parcours sans faute qui dope les désirs d’investissement des deux dirigeantes.

Vous avez grandi au sein d’un environnement familial tourné vers l’entrepreneuriat. Diriez-vous que cela a influencé vos choix professionnels ?

AMÉLIE HUYNH : Très certainement. Nos parents n’ont jamais été salariés, ils étaient tous les deux commerçants, chacun dans des activités diverses : notre père dans l’import-export avec l’Asie, et notre mère plutôt dans l’hôtellerie et la restauration. La réussite est arrivée sur le tard pour mon père, vers la fin des années 1990. Il a eu plusieurs entreprises, certaines ont mieux marché que d’autres, et il a toujours partagé avec nous les rebondissements d’une vie de chef d’entreprise. Les joies, les doutes, l’investissement à fournir. Ce noyau dur de valeurs nous a été transmis très tôt par nos parents, et c’est sûrement ce qui a aiguisé chez nous cette fibre entrepreneuriale et cette soif d’indépendance.

Avant de rejoindre votre père, vous avez toutes les deux fait vos classes dans des entreprises différentes. Un passage obligé pour gagner sa confiance ?

MÉLANIE HUYNH : Amélie a été la première à seconder mon père dans la conduite de ses affaires en France. Pour ma part, j’ai eu besoin de passer par plusieurs étapes. Après avoir été styliste intégrée à la rédaction de différents magazines, comme Vogue France et Elle, je suis devenue freelance, ce qui m’a permis de multiplier les collaborations avec des marques. Ce sont ces expériences très enrichissantes qui m’ont donné envie de changer de dimension et de prendre une part active au sein du groupe familial.

A.H. : J’ai manifesté très jeune le désir de travailler en famille mais pour mon père, il était impératif d’acquérir une expérience en externe. Étant passionnée de joaillerie, après mon école de commerce, j’ai intégré la maison Chaumet et j’y suis restée huit ans. À la fin de cette aventure, je me sentais prête à relever le challenge. Mon père m’a mis le pied à l’étrier en 2010 avec une marque de joaillerie destinée au marché asiatique.

Comment définiriez-vous la thèse d’investissement d’Æra Nova ?

A.H. : Le groupe repose sur trois piliers : la gestion des marques destinées uniquement au marché asiatique et fabriquées en majorité en France, d’un parc d’investissements immobiliers et d’un portefeuille de marques ex nihilo et patrimoniales que le groupe acquiert pour les relancer, comme c’est le cas pour les parfums d’Orsay et le château Malromé.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans ces deux projets ?

A.H. : La richesse de leur patrimoine, qui prend une coloration différente dans chaque projet. Les parfums d’Orsay ont été fondés en 1830, soit presque deux cents ans d’histoire à faire revivre. C’est une marque qui a connu un bel essor dans les années 1920-1930, vendant près de 5 millions de bouteilles par an. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires n’est pas comparable, mais elle dispose de très beaux atouts comme sa boutique au 44 rue du Bac, à Paris, ainsi que celle de Tokyo.

M.H. : Quant au domaine viticole, on est dans une dimension un peu différente car la part affective de l’investissement est très importante. Pour notre père arrivé en France à l’âge de 15 ans, faire l’acquisition d’un château est un rêve d’enfant, il y a quelque chose de l’ordre de l’accomplissement. Après plusieurs mois de recherche, nous avons eu l’opportunité de visiter ce domaine en Gironde. Le coup de cœur a été immédiat. Même si la bâtisse (2 800 mètres carrés au total) était en mauvais état, son charme et les 40 hectares de vignes ont emporté notre décision. En 2013, la vente a été fi nalisée, ouvrant la voie à 5 ans de travaux pour rénover l’ancienne demeure de villégiature du peintre Henri de Toulouse-Lautrec.

Diriez-vous que l’acquisition de ce château fait partie des projets structurants pour le groupe ?

A.H. : Sans hésiter. L’ambition est d’en faire un lieu de vie et de culture, ouvert à tous, et d’en promouvoir le rayonnement en France comme à l’étranger. Pour cela, nous avons réfléchi à un concept qui nous permette de créer des passerelles entre les domaines de l’art, du bien-être, de la gastronomie et du vin, de sorte que l’histoire du château Malromé se nourrisse de toutes ses interactions. Aujourd’hui, c’est un lieu de destination : une adresse prisée par les amoureux de peinture et d’histoire, qui s’inscrit dans un parcours culturel complémentaire à l’off re de la ville d’Albi, une expérience œnologique et gastronomique couplée depuis cette année à un hébergement en chambres d’hôtes, ainsi qu’un lieu de retraite bien-être en partenariat avec la marque Holidermie.

Quel a été le plus gros challenge dont vous avez fait l’expérience avec Château Malromé ?

M.H. : Au-delà du challenge de la rénovation de la bâtisse dans le respect de l’artisanat local, nous avons fait aussi le choix de déléguer la gestion de la vigne à un expert, en l’occurrence Charles Estager et fils, négociant et producteur établi depuis quatre générations dans le Libournais. D’un commun accord, nous avons acté la conversion biologique des vignes, qui sera effective l’année prochaine. Pour renforcer l’ancrage territorial du domaine, nous avons fait le choix d’étendre l’appellation du domaine viticole « Château Toulouse-Lautrec » au reste de la propriété avec une prise d’effet en 2023.

A.H. : Le domaine étant situé à 40 kilomètres de Bordeaux, ce n’est pas une adresse que le public découvre par hasard. Il faut l’attirer et le convaincre de l’intégrer à son circuit. Or, pour des considérations pratiques, le fait de ne pas proposer d’hébergement est un frein, dont nous avons rapidement pris conscience. L’offre de chambres d’hôtes nous permet de pallier ce manque, sans tout de suite nous confronter aux contraintes administratives et logistiques d’une véritable structure hôtelière.

Dans quelle mesure le fait d’avoir été élevées dans une double culture, franco-chinoise, oriente-t-il vos investissements ?

A.H. : Avec ma marque de joaillerie Statement, j’ai choisi de travailler l’argent, car j’apprécie la façon dont ce matériau évolue dans le temps, il se patine. Aimer les marques laissées par le temps est une force de la culture asiatique. M.H. : Je me suis aussi inspirée de mes origines à travers ma marque Holidermie, dont le concept tire ses racines de la médecine chinoise et de l’ayurvéda. Prendre soin de soi, prévenir plutôt que soigner sont autant de principes que j’ai fait miens pour ma marque.

A.H. : Plus largement, notre double culture nous a rendues très sensibles à la richesse du patrimoine français. Pouvoir réveiller de belles endormies comme les parfums d’Orsay et le château Malromé est une grande source de satisfactions, à la fois en tant qu’entrepreneures mais aussi en tant que représentantes des savoir-faire français.

Quels sont vos projets d’investissement pour la suite ?

A.H. : Les marques étant encore jeunes (Statement, Holidermie et les parfums d’Orsay ont été lancés ou relancés en 2019), nous allons nous focaliser sur elles pendant les trois prochaines années, d’autant que nous souhaitons accélérer leur développement à l’international. À moyen terme, nous souhaitons continuer d’investir sous la forme de prise de participation dans des jeunes marques à forte valeur patrimoniales, créées ex nihilo ou relancées afin de compléter notre portefeuille.

En tant que représentantes de la deuxième génération, comment appréhendez-vous la notion de transmission à vos enfants ?

M.H. : C’est quelque chose que nous faisons naturellement avec ma sœur. Mes deux filles suivent avec attention nos conversations sur l’actualité de nos maisons. Nous parlons sans tabou du travail, des enjeux de management, de business plan… Elles aiment poser des questions, et c’est très important pour nous de leur montrer en pratique ce que cela veut dire d’avoir une entreprise.

A.H. : Tous les samedis, je fais le tour des points de vente de nos marques, et dès que je peux, j’emmène les enfants. Cela ne les oblige en rien pour plus tard, mais a minima, ils auront grandi avec un référentiel qui, j’espère, leur sera utile !

 

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