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Ces Hommes Et Anecdotes Derrière Le Célèbre Goncourt

jonas-jacobsson

7 Novembre 2018 : Le prix Goncourt 2018 -la plus prestigieuse récompense littéraire en France- est attribué à Nicolas Mathieu pour ‘Leurs enfants après eux’.

Retour sur la création de ce cénacle littéraire, conceptualisé par les frères Edmond et Jules Goncourt.

Le Prix Goncourt

La création du prix littéraire français le plus prestigieux est inséparable de son contexte historique : celui de la transition d’un XIXe siècle, où règnent en maître les ‘Grands Seigneurs’ de l’édition, ce qui ne va pas sans générer des tensions avec leurs auteurs, à un XXe siècle faisant place aux entreprises d’édition cheminant dans le sillon du marché et bridant en conséquence les écrivains. Le prix Goncourt naît -en effet- de cette frustration. Or, la création en 1903 de l’Académie Goncourt, grâce à un legs des frères Goncourt, s’inscrit dans un dualisme conceptuel : d’une part contrebalancer le pouvoir de consécration que concentrait alors l’Académie française, et d’autre part, orienter le goût du public dans une offre éditoriale déjà pléthorique. Cette tentative de dépassement de la condition littéraire de l’époque (imposée par ce nouvel environnement économique) visait aussi à professionnaliser le métier d’écrivain, contre les ‘barons’ amateurs qui siégeaient sous la Coupole, mais aussi contre les académiciens et critiques, désapprouvés par les frères Goncourt. Le prix devait couronner l’œuvre d’un écrivain débutant, et l’œuvre devait être un roman, genre alors privé de reconnaissance.

L’Académie Goncourt

Rentiers et donc à l’abri des difficultés financières, les Goncourt formulent dès 1862 le vœu de vendre à leur mort toutes leurs possessions, et ce en vue de la création d’une ‘ académie’ chargée de rémunérer, sous certaines conditions, dix hommes de lettres à hauteur de 6.000 francs (rente annuelle de chaque membre de l’académie) pour décerner un prix annuel de 5000 francs, lors d’un dîner fixé en décembre. Après une longue bataille juridique de près de 6 ans, entre les héritiers naturels et les membres de la ‘Société littéraire’ des Goncourt, les fidèles d’Edmond Goncourt sont reconnus dans leur droit le 10 janvier 1903. Dix jours plus tard, la décision est entérinée par un décret signé de la main d’Émile Combes, le président du Conseil.

Cette célèbre distinction – inaugurée en 1903- n’a d’ailleurs pas toujours été remise dans le fameux établissement de la place Gaillon (restaurant Drouant). Dès les premiers temps, la bande d’Edmond Goncourt s’active à poursuivre les belles plumes de la saison autant qu’à chercher une table adéquate pour ‘alimenter’ leur discussion. Ils siègent d’abord au Grand Hôtel, chez Champeaux, puis au Café de Paris sans vraiment trouver adresse à leur ‘goût’. Jusqu’à ce 31 octobre 1914 où, un an après l’instauration de leur prix destiné à devenir célèbre, ils élisent domicile au Drouant, place Gaillon, l’ancien bar-tabac de l’Alsacien Charles Drouant, devenu restaurant gastronomique. 

Drouant : Institution parisienne et temple du Prix Goncourt

Depuis 1914 c’est chez Drouant -restaurant parisien historique fondé par l’Alsacien Charles Drouant en 1880- que les dix membres de l’Académie Goncourt sont en résidence. Ce -initialement- modeste bistroquet, installé dans le dos des Grands Boulevards, a réussi à se tailler, en une génération, une solide réputation auprès de «l’aristocratie»[1] de l’époque. Il a été largement fréquenté par une faune d’artistes, d’écrivains et de journalistes réputés, parmi lesquels Pissaro, Rodian, les Daudet, Renoir, mais aussi les Rosny, les Clemenceau, Octave Mirbeau, Claude Monet… Drouant devient au tournant du siècle un lieu prisé de la société parisienne pour la dégustation d’huitres. Ayant pris l’habitude de se retrouver dans ce repaire de l’Empyrée dianoétique, qui avait le talent de soigner les esprits tout en flattant les panses, la bande finit par instituer un dîner du vendredi, où les précieux amis se retrouvent pour débattre de tout. Dès lors, tout est en place. Drouant et les Frères Goncourt ne se quitteront plus ; les Frères finissent par choisir Drouant comme siège permanent de leurs délibérations et s’y retrouvent tous les mois, le premier mardi, pour alimenter la chronique littéraire. Plan d’action : ils annonceront, la première semaine de novembre, le vainqueur du prix Goncourt, devenu, au fil des décennies, ce Graal qui, comme la vague, secoue le grand petit monde littéraire.

C’est le fils de Charles, Jean Drouant qui prendra la succession de l’établissement en 1914, puis le neveu de ce dernier prénommé également Jean Drouant de 1946 à 1977. Date à laquelle il décide de vendre le restaurant avec le nom à Robert Pascal, un bougnat aveyronnais qui est entré chez Drouant et qui a graduellement progressé, devenu commis, maitre d’hôtel, puis directeur. Il a fini par acquérir le fonds de commerce et dix ans après, il a racheté les murs et il est finalement devenu propriétaire de l’immeuble. En 1986, Robert Pascal était sur le point de vendre l’établissement à un promoteur immobilier, qui allait supprimer le restaurant pour en faire un immeuble de bureau pour l’hôtel. C’est, en réalité, grâce à l’intervention de Jean Pierre Bansard -entrepreneur français de génie qui a parcouru de long en large le monde entier pour défendre le savoir-faire tricolore- que ce restaurant mythique a été sauvé. Cet homme d’affaires de grande envergure, ardent défenseur du rayonnement de l’exception culturelle française par-delà les frontières de l’Hexagone, informé de la vente de l’immeuble sur le tard, a rattrapé l’affaire de justesse : il a promis à M. Pascal, ainsi qu’aux membres du jury Goncourt, de conserver le Restaurant et de garder le siège du Goncourt au même endroit, en respectant la consigne testamentaire des Frères Goncourt. Bansard a, en effet, veillé à la pérennité des lieux dans un souci profond de continuité avec la grande tradition. Il a promis aux membres de l’Académie que la rénovation qui devait être faite le serait en un an, jour pour jour. Les travaux ont donc duré du lendemain du Goncourt 1986 à la veille du Goncourt 1987. En attendant, les membres du jury, au lieu de s’installer à la Maison du Livre ou au ministère de la Culture, ont fait le choix de s’installer dans les bureaux de Jean-Pierre Bansard, non loin de Drouant ; c’est ainsi que les membres ont siégé pendant un an à l’Avenue de l’Opéra.

Puis, le restaurant Drouant change plusieurs fois de main entre 1987 et 2006. Grâce au chef Louis Grondard, le Drouant reçoit une, puis deux étoiles entre 1988 et 2005. En 2006, Antoine Westermann, ancien chef triplement étoilé à Strasbourg, ainsi que compatriote et parent de la famille Drouant, devient le nouveau chef et propriétaire du lieu, qui devient ‘le Drouant par Antoine Westermann’. En 2018, les frères Gardinier acquièrent le restaurant Drouant, intégrant dorénavant le groupe Gardinier & Fils.

Quant au mot de la fin (faim), accordons-le à l’actuel président et premier couvert, Bernard Pivot, pour lequel ‘Drouant réconcilie la littérature et l’estomac’, apophtegme sagace et aigre-douce, renvoyant au célèbre pamphlet ‘La Littérature à l’estomac’ qui dénonçait, en 1950, la soumission de la littérature à la tyrannie funambulesque des continuums culturels et de la « foire sur la place » médiatique. L’auteur en était Julien Gracq ; il avait refusé le Goncourt 1951 pour son ‘Rivage des Syrtes’.

[1] Jeu de mots voulu – Photo par Jonas Jacobsson

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