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Innovation, Art et Musique : les années 1960’s ressemblent-elles aux années 2020 ?

L’informatique a souvent été considérée comme un signe apparent du déclin de la civilisation. Cependant, l’idée que les technologies pourraient faire émerger de nouvelles structures pour de nouveaux projets – ceux du progrès collectif – fit son chemin.  

 

Dans les années 1970, un point de bascule s’opère dans le monde. L’ordinateur individuel s’est massifié et le mouvement hippie, adepte d’un monde meilleur, semble en être l’un des moteurs. La Silicon Valley, foyer de la contre-culture des années 1960, souligne habillement cette rupture :  l’informatique devient peu à peu le symbole d’une espèce de liberté individuelle où se mêlent technologie, art et musique.

C’est dans ce contexte que Stewart Brand[1] est venu incarner cette fusion entre hippies et technophiles. Il se positionnait à l’interstice de divers courant culturels.  En 1995, il écrivit un article pour le Times dans un essai intitulé « Le mépris de la contreculture pour l’autorité centralisée a fourni les fondements philosophiques pour la révolution de l’informatique individuelle tout entière…Tout cela nous le devons aux hippies…Le communautarisme et les démarches libertaires des hippies formèrent les racines de la cyber révolution moderne […] La plupart des gens de notre génération méprisaient les ordinateurs vus comme l’incarnation du contrôle centralisé. Mais un minuscule contingent d’entre nous – qualifiés plus tard de « hackers » – adoptèrent les ordinateurs et entreprirent de les transformer en instruments de libération. Ce qui se révéla être la vraie voie royale menant à l’avenir […] de juvéniles programmateurs qui entraînèrent délibérément le reste de la civilisation loin des gros systèmes informatiques centralisés ».

Stewart Brand vivait à l’intersection de plusieurs mouvements culturels, intersection passionnante de la technologie et de la performance artistique. Il fut par conséquent le leader des festivités californiennes, mêlant technologie et ingénierie sons et lumières lors de monumentaux spectacles qu’il organisait, dont des concerts de rock, une sorte de prophète du new Age. D’ailleurs à cette époque déjà, innovation et rock ne forment souvent qu’un par hybridation d’influences réciproques. C’est un peu comme les Rolling Stones. En 1970, ils inventent le concept de studio d’enregistrement mobile. Ils sont les premiers à utiliser le 45 tour comme teaser. Enfin, ils sont les premiers à visualiser l’intérêt de la vidéo, bien avant la création de MTV. Le film promotionnel (on ne parle pas encore de clip à l’époque) de « Jumpin Jack Flash » reste un modèle du genre ! On voit bien comment une période de l’histoire mêle musique et innovation dans une hybridation parfaite, exactement comme dans l’œuvre de Stewart Brand.  

Stewart Brand lui, réussit aussi à marier mysticisme et technologie pour créer une nouvelle forme de communication. La technologie devait favoriser la créativité dont la musique. Cette époque fut particulièrement exceptionnelle : c’était celle de la profusion, de l’abondance d’idées. Une période où les geeks commençaient, en outre, à prendre du pouvoir par rapport aux institutions. C’était la droite lignée de précurseurs du romantisme technologique, un mouvement qui mèle à la fois art et technologie, citons Walter Isaacson : « Les innovations du numérique, si l’on s’inspire de la vie d’Ada Lovelace (comtesse de Lovelace, 1815 – 1852, fille de Lord Byron, pionnière de la science informatique), viendront des gens capables d’associer la beauté à l’ingénierie, l’humanisme à la technologie et la poésie aux processeurs. » « Elle viendra des créateurs aptes à s’épanouir là où les arts et les lettres rencontrent les sciences, et dotés d’un sens d’émerveillement rebelle… ».

À San Francisco, l’idée de connectivité allait rapidement devenir synonyme de liberté d’esprit. Brand, de son coté, rêvait de répandre l’esprit technophile hérité des hippies. Il parvint même à obtenir la photo de la Terre par la Naza qui symboliserait l’émancipation, la liberté et la découverte du monde par opposition à une bureaucratie, un establishment qui n’envisageait la technologie que dans un esprit de confidentialité et de réseaux fermés. Entre temps, Brand se fit expulser de Berkeley et s’interrogea sur le fait que personne n’avait encore vu de photo de la Terre entière. Élément d’autant plus étrange que la NASA possédait largement les moyens de la réaliser. C’est au travers de son ambition sans faille qu’en novembre 1967, la NASA céda et son satellite ATS-3 prit une photo de la Terre depuis une altitude de 34 000 kilomètres. Cette dernière servit par ailleurs de première de couverture au livre qu’il voulait écrire « Whole Earth Catalog ».

La première de couverture de Whole Earth Catalog

Dans son livre, Brand rêvait d’un monde totalement libéré et épanoui, libéré du consumérisme, réjoui par la technologie. Le symbole de ce monde épanoui et libéré était la Terre. Terre et technologie pouvaient cohabiter. Les hippies pouvaient donc s’allier, s’associer, faire cause commune avec les ingénieurs car le monde à venir était censé devenir multi-connecté. À l’origine, il ne s’agissait pas de critiquer le consumérisme de façon grotesque, mais de prendre de la hauteur par rapport à celui-ci en expliquant que l’avenir du monde reposait sur le mariage de l’ingénieur et des hippies. De là naquit la plus belle des promesses, la conception d’un ordinateur ! L’ordinateur fut alors présenté à l’occasion de ses spectacles de sons et de lumières comme pour annoncer une formidable nouvelle Ère. C’est ensuite Douglas Engelbart[2] qui allait mettre la main à la pâte pour l’aider à trouver les moyens du progrès humain par l’ordinateur. Douglas Engelbart était un ingénieur informaticien américain, célèbre pour avoir inventé la souris, qui symbolise si bien le lien de complémentarité de l’homme à la machine. La notion d’interface homme-machine se développe dans une harmonie parfaite presque ludique et créative.

Aujourd’hui, vivons-nous un monde proche de celui des années 1960 en Californie ?

Comme dans les années 1960 en Californie, les récentes innovations disruptives dont l’IA ont eu du mal à s’imposer. On les considère comme un outil au service de la traçabilité des foules et de la bureaucratie principalement fiscale. On voit aussi que dans les années 1960 de nombreux groupes de technophiles se sont formés, mais n’est-ce pas le cas de la période actuelle également avec sa cohorte de Think Tank, de conférenciers, d’événementiels dédiés à l’innovation humaine et sociale. S’il est vrai que les hippies technophiles des années 1960 en Californie, avaient un certain mépris de la bureaucratie, aujourd’hui, nous pouvons faire un rapprochement intéressant avec l’écosystème des start-up qui, si l’on retire celui de la start-up Nation, reste assez contestataire, une sorte de contre culture. De façon générale, le phénomène de l’ubérisation n’est-il pas un mouvement finalement contestataire et contre les acquis issus des rentes de situation.

Car dans ce mouvement général d’humanisme appliquée à la technologie, l’environnement et le green n’ont jamais été bien loin. A ce titre, le World Earth Catalog de Stewart Brand contenait aussi une liste de produits, ouvrages « utiles et green ». Il est donc absolument évident que nous vivons presque une époque similaire. Lorsque l’on dit que l’IA doit être green, que l’IA doit enrichir d’abord les métiers, on dit bien que l’on souhaite du recul par rapport au fordisme traditionnel du monde capitaliste, il y a donc également aujourd’hui un peu d’esprit de Stewart Brand. Quant aux festivités californiennes, technophiles avec ingénieur du son et lumière, prophète du new âge, nous avons connu cela aussi plus récemment. Peut-être que certains gourous de cette époque avaient un mentra « Turn on, Tune in, Drop out »[3], mais n’avons-nous pas en France, Jean-Michel Jarre en matière de musique synthé ? Aujourd’hui d’ailleurs ce dernier travaillerait pour de grandes marques automobiles de véhicules électroniques afin de concevoir une nouvelle génération de sons pour ces véhicules. Il apporte aussi toute sa connaissance dans la conception de véhicules hybrides avec des sons originaux et attractifs et surtout adaptées en fonction du lieu où l’on se trouve et de la vitesse à laquelle on roule. Exactement comme dans les années 1960, les geeks commençaient aussi à prendre pouvoir par rapport aux institutions, tout ce qu’ils disaient : la liberté d’esprit, l’émancipation, la liberté pour découvrir le monde, la photo de la planète Terre demandée par Stewart Brand et accordée par la Nasa, tout cela n’a-t-il pas un écho dans notre monde récent : Tout laisse à penser un monde assez identique avec des principes similaires de même que la photo de la Terre d’autrefois, symbolise aujourd’hui la toile Internet bientôt en 3D avec le Metavers ! Tout comme le principe du mariage de la technologie et de l’humain comme le symbolisait si bien Douglas Engelbart par l’invention de la souris, ces idées demeurent tout à fait contemporaines avec le développement des principes de l’inclusion technologique et du rôle de l’émotion et de l’art dans l’apprentissage professionnel. 

 

[1] Né le 14 décembre 1938 à Rockford (Illinois), est un auteur américain, éditeur et créateur du Whole Earth Catalog (le Catalogue des ressources en français). Steward Brand a fondé de nombreuses organisations dont The WELL, l’une des plus anciennes communautés virtuelles.

[2]                    Douglas Carl Engelbart (1925-2013), est un ingénieur américain, grand pionnier de l’informatique. Il est en particulier célèbre pour avoir inventé la souris et développé les interfaces homme-machine.

[3] Quatre gourous de la technologie parviennent à s’imposer, non pas au sein de cours magistraux comme on pourrait le croire, mais bien au sein de résidences universitaires. Il s’agit de Norbert Wiener, Richard Buckminster Fuller, Herbert Marshall McLuhan. Dans les années 1980, ils sont rejoints par Timothy Leary, le fameux évangéliste connu au travers de son mantra : « Turn on, tune in, drop out » à comprendre comme « Branchez-vous, initialisez-vous et connectez-vous ». La technologie serait-elle finalement un mouvement créatif et poétique ? C’est ici qu’intervient Stewart Brand.

 

 

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