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Soft power, ère du stream et business : entretien avec Elvis Adidiema, patron de Sony Music Afrique francophone

Le président de la République Emmanuel Macron aux côtés des artistes Fally Ipupa et Madina et, à sa droite, Elvis Adidiema, patron de Sony Music Afrique francophone © Laurent Blevennec

Pour Forbes France, Elvis Adidiema analyse la façon dont l’explosion de l’influence de l’Afrique rebat les cartes de l’industrie musicale internationale et francophone.

Aujourd’hui, l’industrie musicale voit l’Afrique modifier son centre de gravité. Les artistes du continent mènent des carrières internationales (Burn Boy, Rema…) et, désormais, on marque aussi l’étape ici (Beyoncé, Pharrell Williams…). Les majors l’ont bien compris en s’implantant également sur place à l’image du géant Sony qui a confié la direction générale à Elvis Adidiema à l’échelon de l’Afrique francophone. Un entrepreneur mélomane visionnaire convaincu depuis toujours que le Stream allait changer le game. Aperçu au côté du président de la République Emmanuel Macron lors de sa tournée africaine, le Franco-congolais a accepté pour Forbes de revenir sur les enjeux de ce marché, avec en filigrane l’influence de la Francophonie.

  

Forbes France : Comment fonctionne cet écosystème capable de donner naissance à des grands noms ? 

Elvis Adidiema : L’Afrique attire effectivement tous les regards actuellement et c’est logique au vu de l’énergie et la créativité qui irradient aux quatre coins du continent. Personnellement, j’ai toujours pressenti que ce n’était qu’une question de temps avant que l’influence de la culture africaine s’exprime sur le plan international. Je pense clairement que la globalisation, le numérique et, particulièrement, le stream ont contribué à vulgariser les œuvres des tops artistes africains, engendrant un impact immédiat. Plusieurs projets musicaux récents exposent la quintessence de l’art africain et son avènement. Aujourd’hui, les Burna, Wizkid et autres Tems n’ont rien à envier à leurs homologues outre-Atlantique, et c’est déjà une très grande victoire !

L’objectif est de repérer le plus tôt possible ces artistes afin de mettre en avant leur savoir-faire et de les aider à développer l’audience la plus large possible. Que ce soit dans le domaine de l’art, de la musique ou du sport, on voit clairement que c’est un continent qui déborde de talents ! 

Votre vision vous a menée à la major Sony qui s’est implantée en Afrique. Quelle est votre feuille de route à la direction générale de Sony Music Afrique francophone ? 

Sony Music Afrique francophone est là pour aider les artistes à comprendre comment travailler leur image, à communiquer sur les réseaux sociaux et, en définitif, comment permettre à leur musique de toucher une large audience. Le marché de l’industrie musicale en Afrique francophone est en train de se structurer et n’a pas encore acquis le poids de son pendant anglophone. Cependant, son potentiel est très vaste, et avec le travail que font tous les acteurs au quotidien, dont Sony Music Afrique francophone, des avancées significatives ont eu lieu. Ce qui nous a permis de découvrir les nouvelles étoiles de la scène musicale. Ainsi, c’est une grande fierté de voir le succès d’une Emma’a au Gabon, RJ Kanierra en RDC, ou encore Roseline Layo en Côte d’Ivoire : ce sont les nouvelles stars de demain et nous avons le plaisir de les avoir en signature dans notre label.

Elvis Adidiema, patron de Sony Music Afrique francophone © Raah Landry

 

Justement, en tant qu’entrepreneur mélomane, comment détectez-vous instinctivement la nouvelle étoile de la musique ?

Paradoxalement, cette mission est assez complexe, surtout pour un mélomane comme moi ! Je passe mes journées à écouter de la musique et cela va d’Amy Winehouse à Fally Ipupa, en passant par Gazo ou encore Lene Marlin. De fait, cela nécessite de prendre du recul car, en ma qualité de Directeur de label, je dois être à l’écoute du marché avant toute chose. La musique aujourd’hui n’est plus seulement une question de talent, il faut être capable de proposer un univers, un storytelling et de créer un lien fort avec son public, un artiste doit avoir plusieurs cordes à son arc pour se distinguer dans un marché de plus en plus concurrentiel : on parle de 120 000 sorties quotidiennes sur les DSP ! (NDLR, Demand Side Platforms, plateformes musicales d’achat).  

Il est important aussi d’être à l’écoute des plateformes de streaming et des réseaux sociaux, puisque c’est le premier territoire d’expression des artistes et de leurs fans, c’est là où l’on mesure le travail que l’on développe avec nos artistes, l’accueil qui est réservé à leurs projets. 

Quels sont les enjeux actuels à l’ère du Stream ? 

Il faut implémenter un nouveau mode de consommation pour une population qui est totalement en phase avec son temps. L’Afrique a la chance d’avoir une population jeune, on parle de plus de 400 millions de personnes âgées de 15 à 35 ans, connectées, et surtout ayant une réelle appétence pour la musique. Nous devons dès lors trouver des manières de créer des offres adaptées aux marchés que nous couvrons, c’est-à-dire prendre en considération les réalités du jeune étudiant congolais féru de musique RAP et qui voudrait autant écouter le dernier titre de Paterne Maestro, que celui du dernier rappeur en vogue aux États-Unis. C’est là où nous devons viser juste avec les acteurs de l’industrie, en nous concertant autour de ces questions.

Le SIMA, premier salon des industries musicales africaines – qui a eu lieu il y a quelques mois à Abidjan – nous a permis de poser les premières bases de réflexion autour de cette question, et force est de constater que les choses évoluent dans le bon sens avec l’annonce d’un rapprochement récent entre Spotify et Orange en Afrique qui donnera accès à plus de 100 millions de titres aux populations de la RDC (République Démocratique du Congo), de la Guinée, de Madagascar et du Mali, c’est un grand pas pour notre industrie. 

Elvis Adidiema : « La musique aujourd’hui n’est plus seulement une question de talent, il faut être capable de proposer un univers, un storytelling et de créer un lien fort avec son public via les réseaux sociaux notamment. C’est l’un des marchés les plus concurrentiels qui soit : on parle de 120 000 sorties quotidiennes sur les DSP !(plateformes musicales d’achat).« 

 

Est-ce que le grand public a compris avant les professionnels, les journalistes spécialisés, que l’industrie créative africaine était plurielle avec plusieurs courants ? Des institutions comme Les Victoires de la Musique tardent encore à récompenser les artistes francophones du continent… Nombreux sont les coups de gueule pour le dénoncer, à l’image du manque de représentativité aux Oscars, aux Golden Globes. 

Le public est conscient de la richesse du continent en matière de musique, d’ailleurs on parle « des » cultures africaines. Les courants musicaux sont nombreux du : coupé décalé, au ndombolo, en passant par le Mbalax. Les catégories proposées par la majorité des institutions ne prennent malheureusement pas en compte cette diversité et cela va naturellement amenuiser les chances pour nos artistes d’être lauréats de certains prix prestigieux. Mais, j’observe qu’en local, certaines cérémonies commencent à être très suivies comme le PRIMUD, les AFRIMMA ou les TRACE AWARDS très récemment, on parle éventuellement de GRAMMY africains à l’image de ce qui est fait en Amérique du Sud. Plus nous serons structurés, plus nous aurons un réel poids dans les questions inhérentes à la représentativité durant ces grand-messes. 

Derrière cette économie, il y a de véritables intérêts liés à la Francophonie. C’est dans ce cadre que vous avez eu l’oreille du président de la République Emmanuel Macron lors de sa tournée africaine en mars dernier. Qu’est-ce qui a été au menu des discussions ? Doit-on y voir la concrétisation d’une coopération ?

La culture a été mise à l’honneur lors de cette tournée africaine, les initiatives créatives ainsi que les acteurs qui les portent ont eu l’occasion d’expliquer leurs démarches et leurs ambitions. C’est dans cette logique que j’ai été amené à participer à cette séquence, moi, un jeune d’origine congolaise, né en France et amoureux de culture et de musiques africaines. C’était très fort symboliquement. La culture a toujours joué un rôle clé dans les relations internationales et, au vu de sa vitalité, c’est donc naturellement que l’Afrique est au centre de l’attention. L’un des sujets majeurs de mes échanges avec le Président de la République Emmanuel Macron portait sur notre attachement commun à la promotion des ICC : Industries Créatives Culturelles, qui constituent le point d’ancrage des dynamiques portées par la jeunesse africaine.

Il faut avoir en tête aussi qu’un dialogue fort a toujours existé entre l’Afrique francophone et la France, particulièrement dans la circulation de la musique. Aujourd’hui avec le digital, les frontières se sont effacées et le public écoute de très nombreux genres musicaux.

Regardons les Afro descendants français : ils sont jeunes, ils ont grandi entre la France et l’Afrique de leurs parents. Ils assument pleinement leur double héritage et redéfinissent la fusion des genres musicaux. Prenez un artiste comme Gradur, son projet de compilation 100% Congo est génial car c’est la représentation même de l’influence de cette musique légendaire, sur cette nouvelle génération qui caracole à la tête des charts en France. 

Votre parcours entrepreneurial, c’est au final l’engagement d’un homme pour la promotion de la culture congolaise, puis panafricaine, ensuite. Quels ont été les plus grands défis à ce projet ? 

L’entrepreneuriat est une aventure qui peut s’avérer complexe mais elle est formatrice, surtout quand on entreprend en Afrique. Il faut tout remettre en perspective, s’adapter aux réalités africaines, se détacher des clichés que l’on peut-nous même perpétuer sans s’en rendre compte. Lorsque j’ai réalisé le documentaire sur la vie de Papa Wemba, j’ai vécu une aventure inoubliable grâce à laquelle j’ai rencontré des personnes exceptionnelles, j’ai passé deux mois en immersion totale en RDC et cela a confirmé ma volonté de maintenir un lien fort avec mon pays, et aussi avec l’Afrique.

Elvis Adidiema en studio au côté de l’artiste Emma’a © Sony Music Afrique francophone

 

Mon parcours d’afro-entrepreneur me sert encore aujourd’hui, en tant que directeur de Sony Music Afrique francophone, il enrichit mes réflexions et mes interactions avec l’ensemble des interlocuteurs de ce marché. C’est une aventure que je souhaite à tout le monde car on en tire forcément quelque chose. 

 

 

 

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