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L’effet Amazon : la « customer intimacy » s’invite dans le luxe

Source : Getty Images

Pour réussir, les entreprises adoptent généralement la stratégie classique selon laquelle il faut se rendre unique aux yeux du client. Pour ce faire, certaines marques affichent des prix très attractifs, à l’instar de Walmart et Lidl, les deux chaînes de supermarché proposant les prix les plus bas. Une autre manière de se rendre unique consiste à vendre les meilleurs produits en termes de qualité sur le marché. Dans ce domaine, les marques de luxe excellent traditionnellement, car elles investissent sur l’innovation et le développement. Toutefois, il existe une troisième et dernière manière de se rendre unique : la personnalisation et l’adaptation du produit en fonction du client. C’est là qu’intervient la customer intimacy (ou intimité client). Dans le commerce de détail, les boutiques familiales ont depuis longtemps adopté cette méthode. En effet, ces boutiques possèdent une parfaite connaissance de leur clientèle.

 

Amazon rebat les cartes

Les géants du numérique, tels que Amazon, sont compétitifs sur nombre de plans. Tout d’abord, les plateformes de vente en ligne proposent une large variété de produits, notamment ceux aux prix les plus bas du marché. Les produits de la marque de distributeur Amazon en sont la parfaite illustration. Par ailleurs, à l’aide de données et d’analyses prédictives, les meilleurs produits dans leur catégorie sont proposés aux clients. Enfin, sur la base des données récoltées sur leurs clients à travers le monde, Amazon peut recommander des offres personnalisées à sa clientèle et leur faciliter la vie. Les produits consultés sont expédiés au centre de distribution le plus proche avant même que le client ne passe commande. S’il saute le pas, le client recevra alors son ou ses produits en quelques heures. Sur ce point, Amazon est imbattable : en créant de nouvelles expériences, le géant du commerce en ligne a tout compris à la customer intimacy.

L’intimité au sens large : Amazon inspire le monde du luxe

Amazon a entièrement transformé les attentes des consommateurs à l’égard de l’ensemble des marques, bouleversant ainsi le marché. Les répercussions sur les marques de luxe sont plus importantes : elles ne peuvent plus compter uniquement sur des produits haut de gamme. Désormais, ces marques doivent ajouter une nouvelle corde à leur arc et se perfectionner dans l’art de la customer intimacy pour créer de nouvelles expériences.

Cependant, les marques de luxe doivent également veiller à maintenir leur leadership dans le haut de gamme. La crise liée à la Covid-19 a amplifié ce besoin. La sensibilisation client, c’est le passé. Désormais, le monde du luxe doit placer le client au centre de toutes leurs préoccupations, tout en conservant cette part de magie nécessaire pour faire rêver les consommateurs.

Toutefois, une mise en garde s’impose. Lorsqu’elles étaient de plus petites tailles et davantage proches de leurs racines artisanales, les marques de luxe pouvaient aisément se souvenir des envies de leurs clients et adapter les produits à leurs besoins. Si cela reste vrai pour la haute couture, la haute joaillerie ainsi que pour le très haut de gamme de l’automobile de luxe, aujourd’hui la plupart des entreprises du luxe adoptent en partie la stratégie de la grande consommation, avec une rareté du produit maîtrisée. Là encore, c’est un défi à relever en termes d’accroissement de la customer intimacy. Pour ce faire, voici trois manières de s’y prendre en 2021.

 

  1. Personnaliser l’offre

En personnalisant leur offre, les marques développent des rapports privilégiés avec leur clientèle et proposent de nouvelles expériences client. Dans ce domaine, les marques peuvent s’inspirer de la ligne Burberry Bespoke. En 2010, cette dernière a permis aux consommateurs de choisir le style, la couleur, le tissu et le matériel pour créer leur trench-coat. Plus récemment, Burberry a invité ses clients à personnaliser leur propre parfum en prenant rendez-vous en magasin.

La collection Baume, de la Maison Baume & Mercier, est également pionnière en la matière. Lancée en 2018, cette collection met l’accent sur la personnalisation, le respect de l’environnement et le design. La collection se veut inclusive (par exemple, aucun métal précieux n’est utilisé pour la conception). Les consommateurs peuvent personnaliser leurs bracelets de montre. Ces derniers peuvent également s’adapter à tous les modèles de la collection. Concernant le respect de l’environnement, aucun cuir animal n’est utilisé et tous les emballages sont fabriqués à partir de matériaux recyclés. Par ailleurs, Baume a développé un partenariat avec Waste Free Oceans et Seaqual, deux organisations non gouvernementales. Ces dernières collectent les déchets en plastique dans les océans et les transforment en matériaux innovants, utilisés ensuite dans la conception des montres de la collection Baume.

Quel est l’intérêt pour le consommateur ? Ce dernier se sent privilégié. En outre, il accède à de nouveaux produits et à des histoires innovantes, dont les marques font la promotion en ligne et dans leurs magasins. Par des expériences ludiques, les clients découvrent de nouvelles possibilités jusque-là insoupçonnées.

Les marques sont également gagnantes, car la fréquentation et les volumes en magasin peuvent augmenter. Néanmoins, il est difficile de faire du profit sur la personnalisation. À cet égard, Baume a dû réduire son offre initiale de 2160 combinaisons possibles. En effet, la complexité logistique s’est avérée trop lourde à supporter.

 

  1. Renforcer la customer intimacy dans le commerce de détail et de gros

Cette année, les marques de luxe misent également sur les rapports privilégiés avec leur clientèle pour renforcer leur stratégie commerciale numérique. La marque Hublot donne l’exemple, après avoir longtemps délaissé le commerce électronique classique. En effet, elle estimait que le risque de banalisation de l’offre était trop élevé pour sa clientèle cible.

Cependant, en 2020, la marque d’horlogerie suisse a créé un nouveau modèle de commerce en ligne en lançant sa boutique numérique, gérée depuis deux plateformes : la première à Nyon, en Suisse, qui s’occupe de la zone Europe et Amérique, et la seconde en Chine par le biais de l’application WeChat. Les consommateurs peuvent échanger avec l’équipe commerciale par Skype, et bénéficier d’une présentation personnalisée des modèles de leur choix.

Selon Philippe Tardivel, directeur du marketing chez Hublot, cette solution numérique centrée sur le rapport humain permet de mettre parfaitement en valeur le produit. En effet, à l’aide de conseils personnalisés et de simulations en 3D pour générer des émotions fortes, cette stratégie replace le produit dans un contexte de marque adapté.

En s’associant avec des entreprises technologiques de pointe, à l’instar de Imverse, start-up lauréate du CES2021 et spécialisée dans la création d’hologrammes en direct et la représentation en 3D, les marques de luxe pourront alors créer des boutiques virtuelles en 3D plus remarquables et immersives.

Selon Ivo Petrov, directeur général de Imserve, « le commerce de détail en ligne et le commerce électronique vont se réinventer et se transformer en boutiques virtuelles. Par exemple, si une femme souhaite acheter une robe pour une occasion particulière, au lieu de se regarder dans un miroir (virtuel) et d’imaginer le rendu du vêtement sur elle lors de l’évènement, elle pourra téléporter son hologramme dans un environnement similaire (comme la cérémonie des Oscars) et se promener entre les tables, danser et voir sa tenue en contexte. »

Les acteurs du luxe prévoient également d’intégrer de nouvelles solutions associant commerce physique et commerce numérique, pour personnaliser davantage l’expérience shopping du client, actuellement et à l’avenir. La stratégie de Farfetch sur la nouvelle distribution de luxe est pionnière en la matière et comprend à la fois des services et des produits technologiques.

Pour Sandrine Deveaux, vice-présidente directrice « Futur de la vente de détail » chez Farfetch, « la personnalisation doit être renforcée par une composante humaine au lieu d’être uniquement gérée par la collecte de données en ligne sur les comportements des consommateurs. Par conséquent, nous avons développé un ensemble de technologies capable de déterminer l’intention des clients, quand ils sont hors ligne, dès le moment où ils entrent dans une boutique physique et pendant qu’ils naviguent sur internet… Nous sommes en train d’inventer le cookie physique. »

Dans le cadre de la gamme de produits de vente de détail de l’entreprise, Sandrine Deveaux explique comment cette stratégie permettrait aux vendeurs en boutique physique d’enrichir le profil du client, recueilli au préalable en ligne, avec des recommandations personnelles à la suite des visites du client en magasin. Ainsi, les vendeurs proposeraient aux clients des produits qu’ils n’ont pas encore acheté.

La boutique physique demeurera à jamais le temple du luxe. De ce fait, repousser davantage les limites du shopping personnalisé est le Graal en matière de customer intimacy.

Pour de nombreuses marques de luxe, les clients les plus importants en termes de chiffres d’affaires sont les détaillants indépendants, et non les consommateurs finaux. Par exemple, il est impossible d’acheter une voiture de luxe directement, il faut d’abord passer par un concessionnaire indépendant. Ces détaillants sont les grossistes des marques de luxe.

Aux États-Unis, Tourneau est l’un des plus importants grossistes de Rolex et de Patek Philippe. Il est donc logique que les marques de luxe souhaitent également renforcer la customer intimacy chez leurs détaillants.

Bally, la marque suisse spécialisée dans les produits en cuir, a entièrement repensé cette relation en 2020 en lançant un showroom virtuel en direct. Les détaillants faisant partie intégrante de la stratégie à canaux multiples de la marque, l’interruption des voyages en 2020 à cause de la crise sanitaire aurait pu être néfaste pour l’entreprise suisse. Cependant, une équipe spéciale de Bally, en collaboration avec la société Hyphen Italia, a fait preuve d’une grande maîtrise en créant, en trois mois seulement, un showroom virtuel. Le PDG de Bally, Nicolas Girotto, a déclaré : « Nous avons conçu le Showroom Virtuel comme une plateforme innovante et interactive. Nous avons également produit un film pour nos clients leur permettant de découvrir les inspirations derrière la nouvelle collection. Ce projet a été enrichi par une offre exhaustive de contenus, notamment des images à 360 degrés et des vidéos avec des descriptions techniques et précises de nos détaillants dans le monde. Nous avons en outre intégré le back-office et la nouvelle gestion des commandes pour faciliter l’expérience des consommateurs et améliorer la continuité des activités ».

Les clients ont demandé à la marque suisse de conserver ce nouveau showroom, car il permet aux acheteurs de télétravailler, ou de travailler à leur convenance. En outre, cette solution réduit leur empreinte carbone. Ce dernier facteur est une priorité essentielle pour Bally. La marque est en effet signataire du Fashion Pact.

 

  1. Innover plutôt qu’imiter

Tous ces facteurs imposent aux marques de luxe d’innover dans leur mode de fonctionnement. Elles doivent par ailleurs faire preuve d’une plus grande habileté, non seulement au nom de la rapidité, mais aussi au nom d’une plus grande collaboration entre pays.

Pour établir des relations plus personnalisées avec les clients locaux, les informations seront collectées par des plateformes de données centralisées. Néanmoins, à l’heure actuelle, la plupart des marques de luxe disposent d’infrastructures de collecte d’informations très fragmentées et organisées par pays. Sans les mégadonnées, les données granulaires cessent d’exister. Ainsi, une des priorités des marques de luxe consiste à centraliser ces données de manière à décloisonner l’information. Ce faisant, les algorithmes seront plus efficaces. Les marques doivent donc internaliser leur système de collecte d’informations, et non l’externaliser.

Il est alors particulièrement pertinent pour les marques de luxe de trouver le bon compromis entre l’omniprésence des données et la protection de la vie privée des consommateurs. Actuellement, les consommateurs du marché de la grande consommation font preuve d’une plus grande tolérance que ceux du marché du luxe.

Les marques continueront également d’expérimenter leurs capacités en matière de collecte de données en Chine, où les possibilités sont abondantes.

Les marques de luxe sont traditionnellement très centralisées, et cela pour une bonne raison : assurer la cohérence de la marque entre chaque pays. Cependant, dans un monde où la priorité est de tisser des liens plus étroits avec les clients locaux, il est nécessaire de déléguer le pouvoir et de conférer l’autonomie aux équipes locales, tout en gardant le contrôle au niveau mondial.

L’année 2021 sera donc très certainement riche en innovations, que ce soit en termes d’organisation ou de marché.

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : Stéphane JG Girod

 

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