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Le véhicule électrique accessible Made in France : une nécessité pour permettre une mobilité décarbonée pour tous

Source : GettyImages

Le Conseil Environnement de l’Europe a acté fin juin, après le Parlement Européen et la Commission, l’interdiction à partir de 2035 de la vente de véhicules thermiques neufs en Europe.

L’automobile au cœur de la double contrainte carbone

Si cette décision n’est ni complètement satisfaisante, ni suffisante, elle fait écho à la nécessité de sortir le plus rapidement possible de la double contrainte carbone, c’est-à-dire limiter le réchauffement climatique en réduisant drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, et sortir de la dépendance aux énergies fossiles, dont les approvisionnements vont inexorablement se contracter, à plus ou moins court terme.

La mobilité est aujourd’hui dépendante à plus de 90% du pétrole[1] et le secteur des transports représente un quart des émissions européennes et un tiers des émissions françaises. Les voitures particulières et véhicules utilitaires légers représentent à eux seuls environ 20% des émissions en France.[2]

Le transport et en particulier la mobilité automobile sont donc au cœur de cette double contrainte carbone.

La date de 2035 n’est pas non plus due au hasard : le renouvellement du parc automobile prenant 15 à 20 ans, cette date devrait permettre de ne plus avoir de véhicules consommant des énergies fossiles en 2050, horizon de la neutralité carbone européenne.

C’est bien dans ce contexte général qu’il faut lire la décision européenne.

Décision peut être nécessaire mais insuffisante

Dans le secteur automobile, certains acteurs regrettent que la neutralité technologique n’ait pas été retenue, qui aurait notamment permis de considérer les véhicules hybrides rechargeables ou utilisant des carburants décarbonés comme des véhicules 0 émission de CO2.

Les alternatives bas carbone au véhicule électrique (VE) que sont l’hydrogène, les carburants issus de la biomasse ou de synthèse resteront à fortiori marginales compte tenu de leur disponibilité, du rendement des filières ou des infrastructures nécessaires.

L’électrification du parc automobile par des véhicules à batterie apparaît ainsi comme la solution la plus performante pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Cette électrification de la mobilité qui n’a d’ailleurs pas lieu qu’en Europe (le 1er marché de la voiture électrique est déjà la Chine) est donc maintenant un objectif acté.

S’il est indéniable que ses émissions de CO2 à l’échappement sont nulles, le véhicule électrique ne résout pas tous les problèmes posés par la mobilité automobile.

Il permet une amélioration très sensible de la pollution de l’air locale par l’absence des produits de combustion, et de la pollution sonore dans les zones à basse vitesse. Pour autant, il n’élimine pas complètement les émissions de particules liées aux pneumatiques ou aux freins.[3]

Il ne réduit pas non plus la place qu’occupe l’automobile dans l’espace public ni la congestion des zones urbaines.

Par ailleurs, sa production et l’extraction des ressources nécessaires à sa fabrication sont plus impactantes pour l’environnement qu’un véhicule thermique équivalent (la fabrication de la batterie double l’empreinte de fabrication du véhicule). Les matériaux nécessaires pour la batterie, le moteur électrique, l’électronique de puissance vont être sous tension et nous risquons de substituer ainsi à la dépendance au pétrole une dépendance aux minerais.

Enfin, la réglementation votée continue à traiter le problème par le prisme de la vente des véhicules neufs sans traiter les autres déterminants des émissions de GES : le nombre de kilomètres parcourus, le taux d’occupation des voitures, leur performance énergétique et le report vers les modes de transport les plus sobres et les moins émetteurs.

C’est sur l’ensemble de ces actions de sobriété qu’il est indispensable d’agir, au-delà des leviers technologiques de la voiture électrique et de la décarbonation de l’électricité.

Pour autant, l’adoption du véhicule électrique se heurte à de nombreux freins

La part de marché des voitures neuves 100% électrique augmente vite et a atteint 12% sur le 1er semestre 2022, proche des ventes de véhicules à moteur diesel[4] et plus de 600 000 véhicules 100% électriques sont en circulation en France[5], même si cela représente moins de 2% des voitures en circulation.

Pour autant, de nombreux freins au déploiement massif du véhicule électrique existent. Le 1er de ces freins, souvent mis en avant, est le manque d’infrastructures de recharge. Il est vrai que l’objectif de bornes de recharge disponibles sur la voie publique est encore loin d’être atteint (environ 65 000 mi 2022 pour un objectif initial de 100 000 fin 2021). Pour autant, la grande majorité des recharges ont lieu à domicile, et dans une moindre mesure sur le lieu de travail. La disponibilité des points de charge publics n’est véritablement centrale que dans les zones urbaines où il est difficile d’avoir une borne à domicile et sur les grands axes routiers pour les trajets longue distance. Or, ce n’est pas forcément sur ces applications que le véhicule électrique est le plus pertinent, où il existe des alternatives bas carbone à la voiture.

S’il est vrai que des investissements importants restent à faire pour augmenter le nombre de points de charge, publics, mais également privés, l’insuffisance actuelle ne peut être présentée comme le frein principal au déploiement du véhicule électrique.

Le manque d’autonomie du véhicule à batterie est également avancé comme un obstacle important à son adoption. Avancé par les constructeurs, souvent pour justifier la course à l’autonomie et à des batteries toujours plus capacitaires et des véhicules plus imposants, et avancé par les clients, anxieux de ne pouvoir effectuer leurs trajets à l’identique d’un véhicule thermique.

Outre le fait qu’il est clair que l’usage d’un VE diffère de celui d’un véhicule thermique, 2 points majeurs sont à souligner en ce qui concerne la perception de l’autonomie. La très grande majorité des déplacements peuvent être couverts avec une autonomie de 200 ou 300 km (soit une batterie d’environ 50 kWh). Avec un tel véhicule, pour 80% des conducteurs, la recharge sur le parcours sera nécessaire au plus 5 jours par an.[6] 

De plus, nombre d’acheteurs potentiels de véhicules sous-estiment systématiquement la capacité des batteries à répondre à leurs besoins d’autonomie, d’environ 30%.

La course à l’autonomie n’est donc pas justifiée par les besoins, mais pousse l’offre de véhicules électriques vers des batteries toujours plus grosses, et en fait un argument commercial dans la concurrence entre constructeurs et la valorisation de leurs offres. Elle entraîne les prix de vente à la hausse, rendant difficilement accessible le véhicule électrique au plus grand nombre. Cette question du prix d’accès au VE est pour le coup centrale pour son déploiement massif. Le fossé est de plus en plus grand entre des constructeurs traditionnels qui souhaitent légitimement conserver leurs marges et proposent donc des véhicules toujours mieux équipés, toujours plus gros et avec des batteries toujours plus capacitaires et des clients potentiels contraints dans leurs choix de mobilité avec le prix du carburant à la hausse, l’injonction à « rouler propre » et des VE inaccessibles financièrement.

Il est plus que probable que ce manque d’offre de la part des constructeurs français et européens en véhicules électriques accessibles soit rapidement comblé par des véhicules…chinois, alors que les constructeurs français étaient, il y a seulement quelques années encore, les champions des petits véhicules.

Le marché de l’occasion du VE est, quant à lui, quasi-inexistant du fait du parc faible de véhicules électriques et des pénuries récentes notamment de semi-conducteurs qui poussent les loueurs, traditionnels pourvoyeurs de véhicules d’occasion, à conserver leurs véhicules plus longtemps. De plus, il est fort probable que les véhicules électriques d’occasion soient plus chers que leurs cousins thermiques.

L’électrification des véhicules neufs est un levier important mais partiel de la mobilité bas carbone

Quand bien même ces freins viendraient à être levés rapidement, l’électrification des voitures neuves ne suffira pas pour permettre à la France et à l’Europe d’atteindre les objectifs du paquet « fit for 55 », c’est-à-dire réduire les émissions de -55% en 2030 par rapport à 1990.

C’est pourquoi il paraît nécessaire, si nous souhaitons conserver une industrie automobile forte sur le territoire et, pour permettre à ceux qui en ont besoin d’accéder (en propriété, en location ou en partage) à la voiture électrique, d’orienter la réglementation (émissions de CO2 sur l’ensemble du cycle de vie, efficacité énergétique en kWh au km), la fiscalité (bonus sur le poids des véhicules et malus plus sévère, ciblage des aides aux ménages les plus contraints) et les investissements publics et privés vers des véhicules beaucoup plus légers et sobres qu’actuellement, qui répondent au juste besoin de mobilité et qui, de fait, seront proposés à des prix plus accessibles.

Cette cure d’allègement (les voitures d’aujourd’hui pèsent 300 kg de plus qu’il y a 30 ans) aura d’autres effets bénéfiques : elle limitera l’empreinte carbone de fabrication des véhicules et le besoin en matières, notamment en cuivre, métal critique de la transition énergétique. Enfin, des véhicules sobres dotés de batteries de taille raisonnable limiteront le surdimensionnement et le coût du réseau de charge, ainsi que le besoin en électricité.

Devant la pénurie de composants, la hausse du prix des matières premières et de l’électricité, la simplicité et l’allègement sont des leviers de maîtrise des prix de vente et de résilience pour la mobilité.

La voiture traditionnelle, légère, simple, aérodynamique et attractive aura évidemment un rôle dans le futur panorama de la mobilité décarbonée, aux côtés de ce qu’il est convenu maintenant d’appeler des « véhicules intermédiaires », entre le vélo et la voiture classique. On trouvera par exemple sous cette dénomination les vélos à assistance électrique, les vélos spéciaux, les deux roues ou les quadricycles électriques, comme Citroën AMI ou Renault Twizy.

Ces véhicules intermédiaires ont tout à fait leur place dans la mobilité quotidienne et de nombreuses initiatives voient le jour pour faire émerger ce type de véhicules (voir à ce sujet l’Extrême Défi de l’ADEME).

Mais le levier fondamental de décarbonation de nos mobilités sera la transformation des usages de mobilité et une évolution importante de nos pratiques vers la sobriété, c’est-à-dire l’utilisation du moyen de transport le plus efficace pour répondre à un besoin avéré de mobilité.

La façon dont on “consomme” la voiture devra également évoluer vers une utilisation plus partagée : autopartage, covoiturage, location pour des besoins ponctuels.

L’utilisation de la marche et du vélo doivent être privilégiés pour les trajets courts, le covoiturage doit être encouragé pour la courte et la moyenne distance (en particulier en zone peu dense) et des investissements massifs doivent être engagés dans les transports en commun ferrés ou routiers pour remplacer efficacement la voiture là où c’est pertinent.

C’est à ces conditions, technologiques avec l’électrification et organisationnelles avec la sobriété, que la transition de l’automobile vers la mobilité routière décarbonée pourra se faire de façon juste, acceptable, et même désirable !

 

Tribune rédigée par Jacques Portalier et Laurent Perron, chefs de projet Industrie Automobile – The Shift Project

 

[1] MTES – Données et études statistiques – Les chiffres clés de l’énergie

[2] CITEPA, SECTEN 2020, SDES

[3] Émissions des véhicules routiers : les particules hors échappement – ADEME – AVril 2022

[4] PFA/AAA Data

[5] Baromètre AVERE-France

[6] BEUC Electric cars already cheapest option today for many consumers new study finds, 2021

 

<<< A lire également : Malgré l’accélération prévue des ventes de véhicules électriques en Europe, des doutes persistent >>>

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