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Le syndrome de Mulan : comment l’ignorance de la culture chinoise peut-elle compromettre votre business ?

ORIENT-ATION | Le syndrome de Mulan : comment l’ignorance de la culture chinoise peut-elle compromettre votre business ? Mulan est un film d’action américain sorti en 2020 et produit par Walt Disney Pictures.  Il s’agit d’une adaptation directe du dessin animé du même nom de 1998 de Disney. Les deux films ont été des échecs au box office chinois, malgré les espoirs placés en eux par Disney.

La première chose que l’on remarque lorsque l’on se renseigne sur la production de ces deux films est que l’intégralité des postes de production ont été occupés par des Occidentaux. C’est précisément la raison pour laquelle ces films sont aussi intéressants : l’analyse de ces films révèlent quelles erreurs des étrangers ne doivent pas commettre quand ils s’aventurent à produire une histoire d’un autre pays, pour le public de ce pays. Voici 5 citations qui auraient pu éviter à Disney des pertes de plusieurs dizaines de millions de dollars.

 

“La jeunesse, quand elle est à la maison, doit obéir aux parents, et dehors, doit être respectueuse envers ses aînés.” Confucius

Les Chinois sont un peuple qui donne beaucoup d’importance au passé et à l’expérience. Tous les grands philosophes chinois sont de grands historiens. La passion des Chinois pour l’Histoire dépasse celle pour les mathématiques ou la physique, bien que leur don pour ces matières soit plus célèbre en Occident. Se montrer irrespectueux envers un aîné, c’est renier les origines de sa propre histoire, et donc du processus ce qui nous a amené  à notre niveau actuel de connaissances.

Au contraire, les Etats-Unis sont une nation extrêmement jeune, qui s’est construite sur la révolte contre le féodalisme européen et l’émigration de masse vers le Nouveau Monde. 

Les réalisateurs des deux Mulan, en particulier du dessin animé de 1998, auraient été bien inspirés de lire une introduction à la civilisation chinoise avant de se lancer dans un projet qui ne pouvait que heurter les sensibilités du public auquel ils s’adressaient. Mulan manque de respect à son père, se lève de table avec fracas alors que lui reste assis. Li Shang, un jeune capitaine, manque de respect à Shifu, un vieux conseiller de l’empereur. L’ignorance de l’équipe de production est patente : Shifu (師傅) signifie littéralement l’expert, celui dont on respecte la connaissance du métier. Un Chinois regardant ces scènes ne pouvait que s’écrier à propos des héros, avec lesquels il était censé s’identifier : « quel manque de tact ! Quel manque de politesse ! ».

“L’existence sociale des hommes détermine leur pensée.” Mao Zedong

La phrase de Mao reflète quelque chose de très profond et de très ancien dans la société chinoise : on juge quelqu’un à l’aune du groupe auquel il appartient. Un individu est d’abord éduqué par ses parents, conditionné par son environnement, et une fois adulte, prend des décisions qui le différencient du groupe. Le groupe précède ontologiquement l’individu, l’identité de l’individu est une modification de l’identité du groupe.

Les Chinois sont passionnés de classification : par religion, par sexe, par ethnie, par nationalité, par classe sociale, par école de pensée, par école d’art martial… Seule une classification plus complète pourrait les détourner d’une classification dont ils se seraient entichés.

Mulan est ancrée dans le modèle américain. Les personnages sont d’abord montrés seuls à l’écran et ensuite seulement dialoguent, à deux ou à trois. On se croirait dans un western, où deux cow-boys inconnus l’un de l’autre se croisent au milieu du désert, et doivent construire une relation ex nihilo. Bien que Mulan soit un musical, il y a peu de chorégraphies collectives qui présentent les groupes sociaux à l’œuvre dans le film. Le public chinois n’en est que plus désorienté.

“Un gentilhomme se soucie toujours du langage qu’il emploie. Les mots mal choisis gâtent les affaires. La courtoisie et l’harmonie musicale de la vie font alors défaut, la loi et la justice ne sont plus.” Confucius

L’Éthique chinoise repose sur le principe d’harmonie. Que ce soit l’agencement des tasses de thé sur un plateau, des hommes dans une cérémonie, des salles dans un immeuble, des immeubles dans une ville, tout doit respecter les canons du classicisme chinois. Les mots dans une phrase et le ton sur lequel on la dit ne font pas exception…

Mulan est une adolescente rebelle. Elle fait tache. C’est son charme aux Etats-Unis, mais c’est une hérésie en Chine. Mulan ne sait pas animer une cérémonie de thé, elle ne sait pas parler de façon appropriée. Les Français du XVIIe siècle, qui n’étaient pas si éloignés qu’on le pense des mœurs chinoises, auraient dit qu’elle manque de distinction, qu’elle déroge à l’étiquette. Les Chinois du XXIe siècle n’en pensent pas moins.

Il y avait pourtant le moyen de mettre en valeur Mulan. Il aurait fallu montrer que non seulement elle surpassait les hommes en valeur guerrière, mais encore qu’elle leur était supérieure en civilité, grâce aux avantages de son genre, le plus poli des deux. Or, c’est tout le contraire qui se passe : Mulan est mal éduquée, et les hommes qu’elle côtoie le sont plus encore. Loin de féminiser les hommes autour d’elle, elle se masculinise. 

L’idéal de Confucius était une masculinité guerrière au service d’une féminité  policée. Rien de cela ne se retrouve dans les films de Disney.

“Le contrôle des autres est la force. La maîtrise de soi est le vrai pouvoir.  À l’esprit parfaitement tranquille, l’univers entier se soumet.” Lao zi

Dans la légende folklorique chinoise dont ces deux films sont l’adaptation, Mulan a pris la place de son vieux père comme conscrit dans l’armée en se déguisant en homme.  Après un service militaire prolongé et distingué contre des hordes nomades au-delà de la frontière septentrionale, Mulan est honorée par l’empereur mais refuse un haut poste dans l’administration impériale.  Elle retourne dans sa ville natale, où elle retrouve sa famille et révèle son sexe, au grand étonnement de ses camarades.

Contrairement aux Occidentaux où l’étalage du pouvoir matériel est ce qui classe socialement l’homme, les Chinois envisagent l’élitisme comme une noblesse d’âme, une victoire sur sa propre ambition. En rejetant les richesses matérielles, ils proclament leur dédain pour l’égoïsme, le consumérisme, et les tenants du pouvoir matériel. En cela, ils ne sont guère différents des stoïques grecs et romains de l’antiquité. 

Or, Mulan ne rêve que d’ambition. Elle confond l’Honneur et les honneurs, le Plaisir et les plaisirs. Elle se comporte comme les Barbares-mêmes qu’elle combat. Aucune identification avec un tel personnage n’est possible pour le public chinois, ce serait comme demander à un public saoudien d’admirer un libertaire athée.

“Que chaque femme qui peut travailler prenne sa place sur le front du travail, avec une rémunération égale pour un travail égal. Cela doit être fait le plus rapidement possible.” Mao Zedong

Il existe un féminisme en Chine, qui est non seulement très vivace dans la société  civile, mais qui est également soutenu par le gouvernement. C’est un féminisme socialiste, qui s’intéresse uniquement à la question du travail et du salaire, mais cette étroitesse permet aussi une grande cohésion du discours féministe en Chine. Cette cohésion aurait pu servir au succès du film, car Mulan est la femme qui s’élève par le travail, à la force du poignet. Cependant, il aurait fallu la montrer suer au labeur, et mettre en scène la supériorité de sa compétence vis-à-vis de ses camarades masculins.

En conclusion, aller faire des affaires en Chine sans connaître la culture chinoise est une erreur que l’homme d’affaires accompli ne saurait se pardonner. Avant d’investir des millions de dollars dans une entreprise qui sera inéluctablement déconnectée de la réalité de la société chinoise, nous ferions tous bien de lire une introduction à la philosophie chinoise.

 

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