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Entretien avec Valérie Baraban, consule générale de France à Houston

FranceEntretien avec Madame Valérie Baraban ,consule générale de France à Houston (Crédit: Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères)

Aux Etats-Unis, la France est représentée par son ambassadeur à Washington D.C. et par dix consuls généraux répartis sur l’ensemble du territoire américain. Le Consulat général de France à Houston est l’un de ces postes consulaires : il couvre les États de l’Arkansas, de l’Oklahoma et du Texas, et sert de poste de rattachement au Consulat général en Louisiane. Contrairement aux stéréotypes – des grandes étendues texanes aux sous-sols pétrolifères, des réserves indiennes de l’Oklahoma aux rivières poissonneuses de l’Arkansas -, le Sud des Etats-Unis, en particulier le « triangle texan » (Houston, Austin – San Antonio, Dallas), est en pleine expansion démographique[1]  et économique. Il devient un centre de croissance, à un moment où la Californie est confrontée à de nombreux défis.


Madame Valérie Baraban est depuis septembre 2021 Consule générale de France à Houston. Elle est la première femme – et la première agrégée de philosophie – à occuper ce poste. Après avoir enseigné à l’université en Californie et en France, elle s’est lancée dans la carrière diplomatique il y a plus de quinze ans. Elle a occupé plusieurs postes dans la filière des affaires stratégiques, de sécurité et de défense, au Quai d’Orsay, à l’OTAN et à l’Elysée, et a été à la tête du réseau de coopération et d’action culturelle de la France en Chine.

Madame la Consule générale revient pour Forbes sur ses premières expériences à Houston et partage son analyse du Texas et des relations de la région avec la France.

 

 

Carte des circonscriptions consulaires françaises aux Etats-Unis (Crédit : Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères)

 

Madame la Consule générale, après une carrière diplomatique très riche en Europe et en Chine, qu’est-ce qui a motivé votre venue ici à Houston ?

J’ai enseigné deux ans dans l’université de Californie, à Berkeley et à Davis, au milieu des années 1990. Une expérience passionnante car, à l’époque, la Californie était le lieu de l’innovation technologique, politique et sociale. Des campus universitaires à la Silicon Valley, la baie était un gigantesque laboratoire de la société mondiale à l’aube d’Internet.  Par ailleurs j’apprenais le chinois et j’avais fait mon premier voyage en Chine en 1991 : pour moi, la côte Ouest présentait ce magnifique atout d’être la face des États-Unis orientée vers le Pacifique et l’Asie. On percevait déjà l’émergence d’une puissance chinoise, et je voulais connaître d’entrée de jeu les deux acteurs stratégiques dont on sentait déjà poindre la future rivalité.

Aujourd’hui, début des années 2020, c’est au Texas que j’ai souhaité venir. Ce que j’ai vu du Texas depuis mon arrivée me conforte dans mon intuition. Alors que l’exemple californien est confronté à ses limites, le Texas à son tour joue ce rôle de laboratoire démographique, économique, politique, culturel… Ici, on sent que tout est encore à construire, à développer. Le jeu reste ouvert, les opportunités sont à saisir. La migration d’acteurs historiques de la Tech, comme Hewlett Packard ou Oracle, de la Californie vers le Texas, est un premier indicateur de changement. L’installation d’Elon Musk, avec Tesla et Space X, aura aussi un impact majeur. Houston, capitale du pétrole, entend rester au premier rang mondial à l’heure de la transition énergétique et elle en a les moyens, car c’est elle qui détient les infrastructures, l’innovation et l’expertise nécessaires pour opérer concrètement la transition industrielle des énergies fossiles vers les énergies renouvelables. Elle est également la ville américaine la plus diverse ethniquement et une terre d’immigration non seulement intérieure et frontalière – avec le Mexique -, mais aussi internationale. D’ailleurs, le réseau consulaire de Houston est le troisième aux Etats-Unis, avec plus d’une centaine d’États représentés. Ces dynamiques se traduisent par d’importants projets d’aménagement urbain comme le nouveau quartier de l’innovation autour de l’incubateur The Ion  à Houston, ou les campus-ville des grandes entreprises de la Tech à Austin. Je retrouve ici le sentiment qui était le mien en Chine : une terre en construction, dans tous les sens du terme, d’un point de vue conceptuel, économique et social. C’est passionnant ! 

 

Vous peignez un tableau très détaillé des Etats-Unis. Est-ce que le rôle du Consul général est d’être un témoin pour la France ?

Effectivement, le diplomate sert de pont entre son pays qui l’envoie et le pays qui l’accueille. Tout d’abord, auprès des acteurs locaux, mon rôle est de mieux faire connaître la France, ses atouts, sa force de proposition ; et auprès de Paris, mon rôle, sous le contrôle de l’ambassadeur, est de partager mes observations et mes idées.  Comme tout diplomate, mais c’est encore plus vrai pour un chef de poste qui représente et incarne son pays auprès des acteurs locaux, le consul général a vocation à s’insérer très vite dans son territoire de résidence, à nouer des liens avec les leaders et les communautés locales, à trouver les clés qui lui permettront de comprendre le pays de l’intérieur.

Au Texas, ce rôle est d’autant plus important que, la plupart du temps, on n’en connait que la caricature. Le Texas fait la Une lorsqu’il y a une actualité en lien avec l’interdiction de l’avortement, une tuerie de masse, la peine de mort, la circulation des armes, etc. Le Texas est bien connu pour ses positions sur certains sujets. Mais quid du reste ? La caricature empêche les nuances, elle méconnaît les dynamiques. On aurait bien tort de bouder le Texas – un Etat aussi grand que la France, avec un PIB égal à celui de la Russie, et qui a porté au pouvoir, ne l’oublions pas, plusieurs présidents américains. Les dynamiques à l’œuvre sur le terrain doivent bousculer notre image statique et conservatrice du Texas, nous déciller les yeux et nous permettre de cerner les opportunités ; c’est cette analyse que je m’efforce de partager.

 

Est-ce que les maires de ces grandes villes sont des relais d’influence pour la France ?

Je parlerais plutôt d’interlocuteurs et de partenaires. L’une des toutes premières choses que j’ai faites au Texas a été effectivement d’aller à la rencontre des maires de Houston, Austin et Dallas et, très bientôt je l’espère, de Fort Worth, San Antonio, etc. Ces villes ont en commun d’être internationales et de penser leur développement en lien avec l’internationalisation, qu’elles abordent sous des angles différents. Houston, je l’ai rappelé, accueille de fait 90% des représentations consulaires et a parfaitement conscience de la valeur que représente pour elle la présence diplomatique. Le maire, Sylvester Tuner, dont c’est le deuxième mandat, en est fier et joue de cet atout. Contrainte par cette compétition, Dallas compte sortir de son statut plus provincial en misant sur les échanges internationaux en matière économique, fondés moins sur l’industrie que sur l’investissement, la finance, le commerce, l’assurance, la logistique… Austin, quant à elle, par son profil culturel et numérique, souhaite développer ses échanges technologiques, universitaires et intellectuels.

 

Au-delà des maires, avez-vous d’autres partenaires ?

Les universités sont des partenaires très importants, car, aux Etats-Unis plus qu’en France je pense, elles sont au cœur de l’innovation et du développement. Ce sont des acteurs puissants qui investissent dans la ville et dans la société, qui sont des pivots et des ponts entre la recherche académique et l’entreprise. Dans ma circonscription, je pense en priorité à l’université Rice à Houston ou à l’université du Texas à Austin, auxquelles il faut ajouter l’université de Houston, Texas A&M à College Station près d’Austin, Southern Methodist University à Dallas, et d’autres.

Les acteurs culturels sont d’autres partenaires essentiels, comme la collection Ménil, ainsi que le musée des beaux-arts de Houston, le musée d’art moderne à Dallas… je suis frappée de voir la qualité et le nombre de musées de très haut niveau dans la circonscription, et la part des œuvres françaises dans les collections. Au Kimbell Museum de Fort Worth, le visiteur découvre, en tout début de parcours, des œuvres exceptionnelles de Bonnard, Monet, Manet, Matisse, Cézanne, etc. et je pourrais en dire autant d’autres musées. Les arts visuels, la musique, le théâtre… quand on vient de France, on découvre au Texas une vie culturelle très riche, nourrie par un goût très marqué pour les arts français. Le Texas compte de fidèles amis du Louvre !

Côté français, la communauté d’affaires est un autre levier important, parce qu’elle est dynamique et en contact avec le tissu économique local. Il existe plusieurs acteurs dans cette communauté : la Chambre de Commerce, le réseau des Conseillers du Commerce extérieur, Business France, la French Tech, présente à Houston et Austin… Mon rôle est de structurer et coordonner l’action de ces différents acteurs pour que l’équipe France joue en cohérence avec les priorités de la France. L’expertise française est excellente dans de très nombreux domaines, mais il faut une vision stratégique partagée ; et c’est la vocation du consulat que de la porter.

 

La France est considérée comme un acteur culturel de premier plan. Ses compétences technologiques, industrielles et commerciales sont-elles également reconnues ?  

Cela fait partie de mes objectifs, justement : promouvoir une image de la France technologique, innovante et moderne, complémentaire de l’image, déjà connue, d’une France patrimoniale et culturelle. La qualité de la recherche, de l’ingénierie et de l’industrie française est reconnue, mais l’accessibilité aux écosystèmes français n’est pas encore assez établie. Concrètement, les capacités françaises ne sont pas encore assez visibles sur le radar des investisseurs, des entrepreneurs, des écosystèmes d’innovation texans. Les Britanniques et les Canadiens, par exemple, pour des raisons évidentes, sont mieux insérés.

Pour aller plus loin dans cette idée, je relève que les ingénieurs français sont très présents dans les directions techniques des grands groupes américains de l’énergie, comme Chevron, ou dans les sociétés de la Tech. La France continue à être un pays qui forme l’intelligence de l’innovation ; en revanche, cette richesse lui échappe au moment de la transformer en valeur économique : nos ingénieurs et nos start-up sont attirés et achetés par les Etats-Unis, ou par la Chine. Dans ma circonscription, ce sont les talents individuels qui sont recherchés, et c’est déjà bien, mais il manque des connexions durables plus systémiques. En raison de cette fragmentation, la dynamique d’échange reste fragile. Nous avons un effort supplémentaire à fournir et, au Texas, ce que la France a à offrir n’est pas encore clairement défini.

 

Le Texas accueille des artistes en résidence dans le cadre du programme de la Villa Albertine, qui vise à renouveler la coopération culturelle entre la France et les Etats-Unis. Pouvez-vous nous parler un peu plus de ce programme ?

Oui, la Villa Albertine est une initiative nouvelle, ambitieuse, passionnante, qui a été lancée par le ministre des Affaires étrangères, M. Le Drian, à l’été 2021. Il ne s’agit de rien de moins que de créer la Villa Médicis pour les Etats-Unis au 21ème siècle ! Sur un pays continent comme les Etats-Unis, l’idée est de créer, non pas une seule résidence, mais une série de résidences réparties sur tout le territoire américain, en symbiose avec la création artistique locale. New-York, Los Angeles, la Nouvelle-Orléans, ou le Texas offrent des scènes et des espaces culturels tellement différents ! L’artiste en résidence définit son projet et c’est la résidence qui s’adaptera à lui, et non l’inverse. Sans aucun doute, ce programme va agir comme un formidable « booster » de la création artistique, entre les Etats-Unis et la France, et plus largement, avec les aires culturelles dont la France est partie prenante ou avec lesquelles elle noue des liens étroits, comme l’Afrique et le Moyen-Orient.

Pour la saison 1 de la Villa Albertine qui est en train de se dérouler, chaque circonscription consulaire a reçu un thème. Houston – je m’en félicite ! – a été chargé de traiter le renouvellement de l’imaginaire à l’heure de la relance de l’exploration spatiale. Comment les artistes nourrissent-ils notre imaginaire de l’espace aujourd’hui ? L’astrophysicienne Fatoumata Kebe, spécialisée dans l’étude des débris spatiaux, nouvelle figure des générations montantes d’astronautes, très engagée dans la vulgarisation scientifique, est venue en résidence à Marfa, l’oasis artistique au cœur du désert du Chihuahua créée dans les années 1970 par l’artiste new-yorkais Donald Judd. La France est une puissance spatiale depuis toujours et elle a beaucoup à partager ici au Texas, qui réunit tous les grands acteurs du spatial, à commencer par la NASA et Space X. Le nouveau chapitre de la conquête de l’espace voit l’émergence d’une pluralité d’acteurs, publics et privés. À Houston, l’écosystème aérospatial est en plein boom et se diversifie (instituts de recherche, industries, start-ups, citoyens et artistes) et la Villa Albertine contribue à ancrer l’apport des artistes dans ce mouvement.

 

Marfa, TX – oasis artistique au cœur du désert du Chihuahua (Crédit : Houstonia Magazine)

 

Nous avons encore peu parlé des administrés. Quels services le Consulat général apporte-t-il aux expatriés Français ?

Environ 13 000 Français vivent dans la circonscription, principalement dans les grandes villes du Texas. Et il y en a un peu plus de 1 000 en Louisiane pour lesquels le Consulat général délivre les passeports et dont il traite les affaires sociales. La première mission d’un poste consulaire est de protéger les ressortissants et de leur apporter une aide dans les démarches administratives françaises. Cette mission de protection est d’autant plus importante ici, en raison de la fréquence des catastrophes naturelles – ouragans, tornades, voire grand froid comme en 2021. Fin août, à peine arrivée au Texas, j’ai eu à coordonner l’aide aux Français face à l’ouragan Ida, qui a principalement frappé la Louisiane. Le Consulat général de Houston a apporté son aide aux Français et aux équipes consulaires sur place.

 

Avec la pandémie de Covid-19, les voyages et les démarches de visas se sont très significativement complexifiées pour ne pas dire arrêtées. Beaucoup de Français se sont alors tournés vers la représentation française pour manifester leur désarroi. Quelle influence le consulat peut-il avoir dans ces démarches ? 

Comme vous le savez, les visas pour les Etats-Unis sont délivrés par les autorités américaines. Hors crise sanitaire, la relation diplomatique vise à créer un cadre d’échanges bilatéraux de qualité, de haut niveau et fluide, de nature à satisfaire les attentes des Français qui ont vocation à venir aux Etats-Unis. Les échanges universitaires, culturels ou les dispositifs d’attractivité d’entreprise participent de cet effort de promotion. En période de pandémie, les frontières se sont fermées, partout dans le monde, selon des modalités et des temporalités variées. Je ne reviens pas sur ce contexte toujours préoccupant. Dans ces circonstances, la chaîne diplomatique, de la circonscription consulaire au Quai d’Orsay, en passant par l’ambassade, s’est toute entière mobilisée, pour renforcer le dialogue avec les autorités américaines et gérer au mieux l’impact pour les ressortissants français.

 

Dans les trois États de votre circonscription, la peine de mort est toujours en application et le Texas vient d’adopter une législation extrêmement restrictive sur l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG). Comment abordez-vous ces sujets avec vos interlocuteurs locaux ?

Ces sujets de société très sensibles, je les aborde avec mes interlocuteurs en rappelant le chemin qui a été fait par la France, et en me référant aux grandes figures françaises qui incarnent ces avancées, Robert Badinter pour la peine de mort ou Simone Veil pour l’avortement. Cette histoire, cet héritage fondent notre légitimité à évoquer ces sujets au Texas. Je cherche à montrer que la France aussi a dû faire face à des débats intérieurs profonds et clivants. Le chemin parcouru par la France a inspiré d’autres Etats. Pendant la présidence française de l’Union européenne, ce sont les Européens qui seront les avocats de l’abolissement universel de la peine de mort. C’est ce chemin et cette expérience qu’il faut, je pense, partager avec nos interlocuteurs américains.

 

Manifestations à Houston contre la proposition de durcissement de l’accès à l’IVG proposé par le Gouverneur républicain du Texas (Crédit : Houston Public Media)

 

A l’inverse, êtes-vous également influencée par vos interlocuteurs et leur manière d’aborder certains sujets sociétaux ?

C’est tout l’intérêt d’être un capteur dans un pays étranger. Comprendre, contextualiser, mettre en perspective, analyser la diversité et la subtilité des perceptions. Cette circonscription est un territoire-frontière et son histoire récente marque encore profondément les esprits : l’adversité de la nature qu’il a fallu domestiquer et qui continue de se manifester avec des catastrophes climatiques dont la fréquence et la puissance augmentent, le souvenir de l’installation des migrants sur des terres hostiles, le besoin pour le chef de famille de protéger les siens… Il est important de plonger dans cet esprit américain pour mieux le cerner et pour mieux s’engager dans le dialogue.

 

« Plonger dans l’esprit », c’est une belle définition du métier de diplomate !

C’est un métier de dialogue et de pont ; c’est ce que j’adore. C’est une expérience totale, un moment de vie, qui dure en moyenne entre trois et cinq ans, puis on change à nouveau. Il faut que la greffe prenne vite, pour que l’on puisse comprendre et faire comprendre.

 

Vous avez vécu en Chine et aux Etats-Unis. Voyez-vous des parallèles entre ces deux pays ?

Ce sont deux pays continents, qui ont en commun d’être complexes et puissants. Ils posent un défi de lecture, de compréhension. Ce qui me passionne, c’est de comprendre leur rapport respectif à la puissance : comment ils la gèrent, la revendiquent et la projettent. Cette question m’interpelle depuis toujours : c’est la raison pour laquelle j’étais partie, étudiante, à la découverte de la Chine en 1991, puis comme enseignante en Californie. Cette question stratégique s’est approfondie, et elle est maintenant au premier plan de l’actualité avec la rivalité et la confrontation entre les Etats-Unis et la Chine. Moi qui suis française et européenne, la question qui m’anime est celle de savoir quel sera l’avenir de l’Europe, entre les Etats-Unis et la Chine, quelle triangulation penser sur la scène internationale. Comment l’Europe peut-elle jouer à hauteur stratégique des Etats-Unis et de la Chine ?

 

Est-ce que les Américains perçoivent les Français comme des Européens ?

C’est une très bonne question – et une question d’actualité au moment où la France prend la présidence du Conseil de l’Union Européenne ! Déjà, les Européens au Texas se sentent-ils européens ? Pour matérialiser le groupe des Européens et développer entre nous le sentiment d’appartenance, je prévois de réunir la communauté consulaire européenne au Texas, à savoir les consuls généraux et les consuls honoraires des Etats membres présents à Houston, Austin, Dallas. Quant à la perception des Européens par les Américains, mes premiers échanges à ce propos m’ont marquée car les questions qui m’étaient adressées portaient essentiellement sur les différends entre Etats membres et avec la Commission (exemple de la Hongrie), ou sur les questions de sécurité liées au voisinage (corruption dans les Balkans, crise migratoire en Méditerranée). Or, l’Europe, c’est bien plus qu’une famille avec ses disputes entre membres et avec les voisins. Le continent a tous les indicateurs de la puissance ; mais ce n’est ni saisi, ni compris, ni admis. Je voudrais faire comprendre non seulement que l’Union Européenne est un marché et que la plupart des Etats membres sont des alliés, mais que les Européens ont aussi une vision stratégique souveraine et qu’ils ont quelque chose en propre à proposer au monde. Nous avons un modèle et la capacité de le projeter, comme le montrent les récentes lois de régulation des acteurs du numérique. C’est tout le projet de la France pendant sa présidence de l’UE : « relance, puissance, appartenance ». Comme le dit le président Macron, « nous devons passer d’une Europe de coopération à l’intérieur de nos frontières à une Europe puissante dans le monde, pleinement souveraine, libre de ses choix et maître de son destin ».

 

En parlant de rapports de puissance entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe, l’affaire AUKUS a-t-elle eu des répercussions localement ?

J’ai reçu de nombreux messages spontanés de sympathie et parfois de gêne. La crise diplomatique entre Washington et Paris n’a pas eu localement de retentissement ; la force des liens économiques et d’amitié du Texas avec la France, ainsi que, sans doute, la posture d’indépendance qui est classiquement celle du Texas vis-à-vis de la politique fédérale ont servi d’amortisseurs.

 

Pour conclure, entretenez-vous toujours des liens avec la philosophie ?

Oui et sans doute pour longtemps car c’est mon ancre. Je suis venue avec mes livres ! La philosophie pour moi, ce sont deux choses. D’abord, une gymnastique de l’esprit, et comme pour tout ancien gymnaste, refaire des mouvements de temps en temps, cela fait du bien. Pour un diplomate, sans cesse confronté à des environnements peu lisibles, en France ou à l’étranger, la philosophie donne des clés de lecture, des outils d’analyse précieux. Elle renforce l’autonomie et consolide des points d’appui face à l’altérité. Ensuite, c’est un facteur, avec d’autres, de stimulation. J’aime regarder ce que les philosophes ont à dire sur l’identité à l’heure du multiculturalisme, la liberté d’expression à l’heure des GAFA, les ingérences dans un monde ouvert, les nouveaux espaces de conflictualité au moment de la relance de la conquête spatiale et de la généralisation des guerres hybrides, l’intelligence artificielle, le transhumanisme, etc. La philosophie aide à construire les questions complexes que le monde d’aujourd’hui nous pose.

 

 

Pour en savoir plus :

 

[1] 36 millions d’habitants. Source Annual Estimates of the Resident Population for the United States, Regions, States, and Puerto Rico: 2019 (NST-EST2019-01), U.S. Census Bureau, Population Division

 

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