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Coronavirus : Les Verriers De Murano Subissent Le Contrecoup

MuranoCrédit photo : Getty Images

Pour la première fois depuis des décennies, les fours à verre de l’île de Murano se sont arrêtés pendant le confinement. Si la pandémie de Covid-19 a contraint tous les commerces non essentiels en Italie à fermer leurs portes entre le mois de mars et le mois de mai, les verriers ont aujourd’hui l’autorisation du gouvernement pour reprendre leurs activités, mais malgré tout, les fonderies sont encore aujourd’hui à l’arrêt.

Fabiano Amadi, verrier dans l’atelier Ars Cenedese, explique : « Éteindre et rallumer les fours est un procédé coûteux et laborieux. Dans ces fours, on trouve une cuve en céramique. Même quand la fonderie est refroidie très doucement, cette cuve se brise et doit être remplacée ». L’artisan montre alors du doigt une rangée des cuves en question, alignées derrière l’atelier, et qui coûtent plusieurs milliers d’euros.

Mais plus laborieux encore, il faut ensuite rallumer les fours. Fabiano Amadi poursuit son explication : « Il faut compter 10 jours pour que la fonderie atteigne la température adéquate permettant de travailler le verre, et entre 8 000 et 10 000 € par four ».

 

Murano
Crédit photo : Getty Images

 

Au vu de ces coûts, de nombreux ateliers à Murano n’ont pas rouvert leurs portes. Angelo Favaron, chargé de clientèle chez Ars Cenedese, affirme : « Je pense que seuls trois ateliers ont suffisamment de commandes pour recommencer à travailler aujourd’hui. Nous nous relayons au travail à cause du manque de clientèle. Moi je ne travaille que quelques jours par semaine. Hier, je n’ai eu aucun client ».

Massimiliano, le plus jeune employé de l’atelier, estime que cette période devrait être la plus intense de l’année : « En général, les touristes estivaux font grimper notre chiffre d’affaires, mais cette année il n’y a pas beaucoup de travail ». Les touristes reviennent en effet au compte-gouttes à Murano, car les frontières italiennes sont encore fermées à certains ressortissants, dont les Américains, qui représentent pourtant la plus grande contribution économique pour le secteur touristique transalpin.

Par ailleurs, les restrictions mises en place actuellement en Italie empêchent les verriers de travailler. Fabiano Amadi explique : « Nous devrions porter des masques et des gants, mais ce serait impossible. Nous devrions aussi placer un embout individuel sur le tube qui nous permet de souffler le verre, afin de ne pas contaminer nos collègues ».

L’artisan explique que les embouts sont totalement incompatibles avec leur processus de travail : « Il y a des pièces que nous devons passer entre nous toutes les deux secondes, donc nous n’avons pas le temps de changer l’embout. Il nous est impossible de respecter ces règles, donc si les autorités nous laissent travailler, nous le ferons ». L’atelier a ainsi pris la décision de recommencer à travailler sans se plier à la réglementation imposée par le gouvernement.

La reprise de la production de verre est certes vitale pour les ateliers individuels, mais elle l’est aussi pour toute l’île de Murano, située au large de Venise. Giancarlo Signoretto, un maître verrier issu d’une grande famille de verriers, explique que le verre est de première nécessité pour toute l’île : « La production de verre est une chaîne économique qui implique tout le monde sur l’île, des verriers à ceux qui emballent et transportent les pièces, en passant par les techniciens qui entretiennent les fours ».

Le maître verrier est également conscient de l’importance de la production de verre pour l’île en tant que valeur culturelle : « Le verre a 1000 ans d’histoire sur cette île. En tant que maître verrier, je ne me contente pas de créer du verre de Murano, mais je connais aussi l’histoire et l’importance de celui-ci ». Les verriers comme Giancarlo Signoretto peuvent en effet essayer de nouvelles finitions, des styles différents ou des matériaux innovants, mais la fabrication du verre reste fondamentalement la même qu’il y a des siècles.

 

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L’île de Murano | Crédit photo : Getty Images

 

Giancarlo Signoretto poursuit : « Le plus grand changement a été le passage des fours à bois aux fours à gaz, mais sinon, la forme des fours est la même, les techniques sont les mêmes, et même les outils que nous utilisons ne sont pas neufs, mais nous ont été transmis par un autre maître verrier qui a pris sa retraite ».

Malgré l’importance que le maître verrier attache à la tradition, il a pris une décision inédite afin de maintenir en vie le secteur du verre de transmettre son savoir-faire à la prochaine génération : il vient d’ouvrir son propre atelier, où il produira du verre avec son assistante Agnese Tegon, qui est aujourd’hui la seule femme à travailler dans les fours de Murano. 

La décision n’a pas été acceptée par tous les habitants. Agnese Tegon raconte : « C’est difficile pour deux raisons : d’une part, le travail est pénible, donc plus adapté aux hommes, mais c’est aussi un travail insulaire, dans lequel il est difficile à percer. Cet environnement de travail peut être compliqué pour une femme ». À 26 ans, la jeune femme fait également partie des plus jeunes artisans du secteur. En effet, le désintérêt des jeunes habitants de Murano pour l’industrie du verre n’est qu’un des nombreux problèmes qui assaillent le secteur, bien avant la crise sanitaire provoquée par le Covid-19.

La principale menace qui pèse sur Murano est le verre d’imitation en provenance de Chine et vendu à des prix défiant toute concurrence. La baisse du nombre de touristes sur l’île complique encore plus les choses aujourd’hui. Angelo Favaron regrette :  « Le fossé entre les dépenses des clients ne cesse de se creuser, entre ceux qui paient quelques euros pour du faux verre made in China et ceux qui dépensent plus pour du vrai ».

 

Murano
Crédit photo : Getty Images

 

Il tourne les pages d’un album contenant des photos avec Michelle Obama, Elton John, Diana Ross et d’autres clients VIP dans sa boutique, et soupire : « C’est une chose d’apprécier notre art, mais les clients doivent aussi avoir les moyens de se l’offrir, sinon notre magasin se transformera en musée ».

Comme tous les habitants de Venise, Angelo Favaron souhaite que les touristes qui reviendront après la pandémie le feront dans un état d’esprit différent : « J’espère qu’ils voudront vraiment venir ici et apprécier ce que nous faisons ».

De son côté, Giancarlo Signoretto estime qu’il est temps que le secteur se fasse entendre : « Nous devons aller à Rome, et le gouvernement devrait payer le coût des fours et des matières premières, qui est une extorsion ». Il souhaite également une aide concrète et monétaire de la part de l’État, comme le paiement des factures de gaz ou même de leur loyer, qui peut atteindre 15 000 € par mois. « Nous ne voulons pas de promesses, celles-ci sont faites pour les enfants à Noël, ce que nous voulons, c’est trouver une solution ».

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : Rebecca Ann Hughes

 

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