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Théo Hoffenberg, fondateur de Reverso : « Dans les métiers de l’éducation et de la traduction, l’IA ne doit pas être considérée comme une ennemie ; il faut apprendre à la maîtriser »

Théo Hoffenberg, fondateur de Reverso.Théo Hoffenberg, fondateur de Reverso.

Leader des applications linguistiques depuis 1997, Reverso propose divers outils de traduction, de correction grammaticale, d’apprentissage de langues à base d’IA pour les particuliers et les entreprises. L’entreprise française compte désormais plus de 65 millions d’utilisateurs mensuels à son actif et ses solutions sont utilisées par plus de 100 organisations mondiales comme Bosch, Renault, Thalès ou Orange. Alors que l’irruption de l’IA se concrétise dans le monde de l’éducation, Théo Hoffenberg, fondateur de Reverso, nous détaille les différentes répercussions de cette vague, qui selon lui aurait tendance à booster la productivité.

D’où venez-vous et comment votre parcours vous a mené à créer Reverso ?

Théo Hoffenberg : Après mes études d’ingénieur à Polytechnique, j’ai travaillé majoritairement dans le développement de logiciels. J’entretenais aussi une passion pour les langues et j’ai voulu faire le lien entre ces deux mondes. Quand nous avons créé Reverso en 1997, très peu de personnes s’intéressaient à la technologie au service du langage (le NLP). Ce domaine est devenu aujourd’hui très central et l’objectif de Reverso reste toujours le même : s’adapter au contexte technologique pour traiter les problèmes les plus importants dans l’utilisation de la langue, que cela soit en matière d’écriture, de traduction, de recherche de mots et de synonymes ou de développement de son vocabulaire.

Comment se différencier face à la concurrence rude du secteur ?

T. H. : Nous faisons partie des pionniers du secteur et nous avons introduit le premier traducteur en ligne gratuit de qualité, avant que Google Translate existe. Nous avons su maintenir la fidélité de nos utilisateurs en veillant à rester à la pointe en matière d’innovation et d’expérience utilisateur. DeepL s’est introduit un peu avant nous dans la traduction à base d’intelligence artificielle (IA) mais nous proposons un service de qualité équivalente enrichi de fonctionnalités uniques.

L’arrivée de ChatGPT peut-elle aussi mettre en danger Reverso ?

T. H. : L’arrivée de ChatGPT redéfinit beaucoup de paramètres et nous impacte tant négativement que positivement. Tous ces acteurs sont à la fois des concurrents et des contributeurs utiles à la transformation du secteur. On peut faire une analogie avec les robots de cuisine, qui permettent d’automatiser une grande partie des tâches, mais on a toujours besoin de couteaux, de fours… Pour ce qui est de ChatGPT, il faut formuler soi-même ses demandes et tout le monde ne sait pas comment poser des questions pertinentes, alors que dans les outils Reverso, vous avez des parcours guidés, des fonctions prédéfinies, un cadre.

Une grande partie des utilisateurs préfèrent une interface simple qui les assiste directement dans leurs tâches, qui leur évite le « prompting » et le tri d’information. Nous utilisons l’IA générative en arrière-plan pour enrichir nos modèles, de traduction ou de reformulation et pour enrichir et peaufiner nos listes de vocabulaires. Nous avons aussi intégré de l’aide à l’apprentissage de vocabulaire avec un système de répétition qui permet de réviser ses listes de mots.

À mon tour de faire une analogie : est-ce que l’IA devient la nouvelle calculatrice de l’élève dans son usage des langues ? Cette dernière ayant été souvent qualifiée de menace pour le calcul mental…

T. H. : Tout à fait. Et il faut rappeler que l’irruption des calculatrices en classe n’a pas signé la mort du calcul mental. On ne se souvient peut-être plus des numéros de téléphone mais on a appris tous les raccourcis nous permettant d’y accéder rapidement. Il faut tout de même s’assurer d’entretenir cette agilité mentale mais je ne m’inquiète pas trop pour les nouvelles générations car le fait de naviguer sur internet ou bien de jouer à des jeux vidéos par exemple, sont des exercices d’agilité mentale à part entière.

C’est le même constat dans les langues : d’un côté il y a des outils qui peuvent rendre les utilisateurs paresseux, comme la traduction automatique de textes, et de l’autre il y a des effets positifs comme l’accès généralisé et souvent gratuit aux dictionnaires et aux activités de mémorisation liées avec des contenus en anglais ou d’autres langues pour les plus curieux ou les plus ambitieux. Les élèves dyslexiques peuvent aussi plus facilement repérer leurs fautes et les travailler.

Vous pensez que cela permettra de combler le fossé éducatif en matière d’écriture ?

T. H. : Cela pourra y contribue très certainement. L’interaction humaine et le dialogue ne pourront jamais être complètement remplacés. Un élève devra toujours parler à l’oral et il ne pourra pas sortir son téléphone pour qu’il parle à sa place. L’aide d’un professeur est également indispensable pour analyser et compléter son apprentissage. L’élève curieux peut aller plus loin dans son approfondissement d’une langue, notamment en regardant des films ou des séries sous-titrés et en pointant les mots ou expressions qu’il n’a pas saisis, puis en les travaillant à l’oral avec l’IA. Il pourra aussi lire davantage d’articles en ligne, sans bloquer sur un mot ou un contexte.

L’idée reste toujours de considérer l’IA comme un assistant à part entière. À ce titre, notre fonctionnalité de correction intelligente à base d’IA permet de rectifier automatiquement les erreurs d’origine phonétique, grammaticale et autres, en prenant en compte le contexte global de la phrase. Il propose même des reformulations pour les cas incertains.

Comment l’IA bouleverse-t-elle les métiers de l’éducation ?

T. H. : La traduction automatique textuelle n’a pas fait disparaitre le métier du traducteur, elle l’a fait évoluer. Les fonctions de relecteur, réviseur, cocréateur ont pris de l’ampleur il faut toujours un humain pour prendre la responsabilité d’un document à publier. Le volume de traduction total a explosé car d’une part, les professionnels sont devenus beaucoup plus productifs et se concentrent sur les textes à publier, et d’autre part, tout le monde s’habitue à cliquer sur un bouton pour comprendre ou rédiger plus vite.

Il en va de même pour les métiers de l’éducation : l’IA ne doit pas être considérée comme une ennemie et il faut apprendre à la maitriser. Les professeurs doivent se former, être formés en la matière pour éviter de se faire défier en classe. L’enseignant qui sait utiliser l’IA pourra mieux échanger avec ses élèves, et son avance dans la connaissance de ses sujets lui permettra de garder la main. Il pourra ainsi anticiper ce que leurs élèves pourraient obtenir des IA, échanger avec eux et développer leur esprit critique.

Quels sont vos objectifs de développement ces prochaines années ?

T. H. : Notre premier enjeu est d’amener nos utilisateurs du web à utiliser nos applications mobiles et sur leur poste de travail, car cela leur apporte un plus grand confort d’utilisation, des fonctionnalités plus avancées et homogènes, et les fidélise. Par exemple, sur une même application mobile, on peut traduire avec la voix, scanner et traduire un texte et développer son vocabulaire. Sur son Mac ou son PC, on peut avec un clic traduire un texte, le corriger ou le reformuler, sans avoir besoin d’ouvrir une nouvelle fenêtre. De cette façon, nos apps deviennent des compagnons quotidiens indispensables et notre promesse de combiner productivité, précision et développement personnel prend tout son sens.

Nous souhaitons aussi renforcer notre percée dans « l’inclusion », en effet, nos outils permettent à tous et y compris aux dyslexiques, d’avoir un accès essentiellement gratuit et simple à une écriture correcte dans leur langue et en langue étrangère. Dans ce sens, nous sommes vraiment du « tech for good », une entreprise à mission. Enfin, nous souhaitons développer encore notre base d’utilisateurs, notamment aux Etats-Unis, où nous ne sommes pas assez connus.

Visez-vous une levée de fonds ou un partenariat stratégique pour se lancer sur ce nouveau marché ?

T. H. : Nous sommes fiers d’avoir pu nous développer de façon autonome et sans levée de fonds. La rentabilité a toujours été au rendez-vous, même si nous avons dû traverser quelques périodes de réajustement, et nous avons aujourd’hui une base de revenus solide avec des abonnements et une grande fidélité de nos clients. Toutefois, il pourrait être intéressant de faire une prochaine étape avec un partenaire pour accélérer et mieux valoriser tout ce que nous avons créé.

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