Un article du dernier numéro de la revue Question(s) de Management titrait « Shadow AI, tout le monde utilise l’IA sans le dire »[1] en mobilisant des études sur les utilisations de l’intelligence artificielle en entreprise et dans la sphère privée.
Depuis fin 2023, l’IA occupe une place importante comme innovation qui va révolutionner nos modes de vie et le fonctionnement des entreprises. Au-delà des effets d’annonce en termes de superlatifs, comment est utilisée l’IA en entreprise ? Les études récentes montrent une très forte accélération dans l’utilisation de l’IA dans les sphères privées et professionnelles avec l’émergence du phénomène de Shadow Gen AI. Tout le monde l’utilise sans toujours le dire. L’article mentionné met en avant une situation de sidération schizophrénique. L’IA est jugée très excitant eu égard aux gains potentiels, mais en même temps craint par le risque d’automatisation qui supprimerait l’activité humaine.
Une utilisation exponentielle de l’IA
La récente étude de KPMG en 2025[2] sur l’utilisation de l’IA montre un engouement fort et exponentiel, comme en attestent les données suivantes :
- 73 % utilisent l’IA dans un cadre professionnel et 78 % dans un cadre personnel ;
- 92 % des étudiants utilisent l’IA dans leurs études de manière régulière ;
- 57 % des employés en 2025 déclarent utiliser l’IA sans en parler à leur hiérarchie ;
- 67 % des personnes interrogées en France déclarent utiliser régulièrement l’IA, dont 59 % dans leur cadre professionnel, 65 % à titre plus personnel et 90 % pour ce qui concerne les étudiants ;
- 61 % déclarent ne pas avoir reçu de formation à l’outil IA ;
- 72 % approuvent l’IA.
Un point à noter est l’âge qui constitue une variable explicative de l’adoption de l’IA. 74 % des 8-24 ans utilisent l’IA contre 17 % pour les 60-75 ans[3].
Émergence du Shadow Gen AI
Dans un article de janvier 2025, France Charruyer évoquait le défi du Shadow Gen AI[4] défini de la manière suivante : « phénomène qui consiste à ce que les individus utilisent les technologies d’IA Générative de manière individuelle et privée à partir des outils accessibles gratuitement ou pour des sommes abordables pour leurs activités professionnelles sans en faire mention et sans avoir l’autorisation de leur entreprise. »
L’utilisation de l’IA n’est pas mentionnée pour préserver un gain de temps obtenu, pour préserver une image sociale d’expert et pas peur de voir son poste remis en cause. Cette utilisation à la fois massive et cachée met en avant un comportement qualifié de « sidération schizophrénique » qui contraint les organisations à revoir les modèles de l’adoption technologique pour l’IA.
Sidération schizophrénique et dissonance cognitive
80 % des personnes utilisent l’IA de manière privée et professionnelle, 66 % prévoient un impact majeur de l’IA et seulement 47 % ont confiance en l’IA selon une étude en avril 2025 de Stanford[5]. Ces quelques chiffres montrent une forme de schizophrénie, « j’utilise un maximum l’IA pour être plus productif et montrer que je suis performant, mais je ne fais pas pleinement confiance en l’IA ». En même temps, l’adoption de l’IA dans les organisations pour l’obtention de gains collectifs piétine comme si le grand saut faisait peur. Serions-nous en face d’un phénomène de sidération conscient. La sidération est un état de stupeur intense, souvent provoqué par un événement brutal, inattendu ou traumatique, qui paralyse temporairement la capacité d’action.
Dans la théorie de la dissonance cognitive, les êtres humains cherchent à maintenir une forme de cohérence interne entre leurs pensées, leurs attitudes et leurs comportements. Lorsque cette cohérence est rompue émerge un état de tension psychologique désagréable appelé dissonance cognitive. Cela survient lorsqu’une personne agit en opposition à ses valeurs et croyances. Ce conflit intérieur pousse l’individu à réduire la dissonance pour retrouver un équilibre mental. Pour cela, soit il change son action, soit il change ses valeurs.
Penser l’IA en mode collectif
Dans une étude en 2025 de l’université de Stanford[6] (The 2025 AI Index report) et dans une étude menée par McKinsey[7], il est mentionné que l’IA améliore la résolution de problème et l’accès au savoir avec une forme d’autonomie. La notion de Shadow Gen AI montre que l’utilisation de l’IA se ferait individuellement et de manière cachée. Une des solutions consiste à créer des collectifs IA dans les organisations pour combler ce vide mais aussi créer une forme de contrôle entre les personnes d’un même groupe sur le sujet.
L’IA n’est pas une technologie du type Digital bis. Sa puissance de calcul et sa capacité à créer du contenu accélèrent la productivité des métiers tertiaires et posent la question de leur évolution. L’émergence du Shadow Gen AI est une opportunité pour réinterroger les modèles d’adoption technologique en termes de psychologie comportementale et proposer des approches de transition avec ces modèles et leur contenu.
[2] KPMG – La confiance, enjeu majeur de l’adoption de l’IA
[3] Les Français et l’IA en 2025 : taux d’utilisation, outils, inquiétudes…
[4] L’accélération technologique et le défi du Shadow Gen AI : l’effet Reine Rouge
[5] Stanford University, Human-Centered Artificial Intelligence – Report
[6] Standford University, Human-Centered Artificial Intelligence – The 2025 AI Index Report
[7] McKinsey – Superagency in the workplace: Empowering people to unlock AI’s full potential
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