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La crise sanitaire a-t-elle définitivement tué le football ? Vers le football 4.0

FootballDIC

Le football est-il vraiment mort avec la crise sanitaire en particulier du fait de l’absence de spectateur dans les stades et la faillite de Mediapro ? Cette crise est-elle structurelle au secteur ? Il nous semble que la crise que traverse le football est structurelle et date du passage d’un modèle « spectateur-subvention-sponsors-local » (SSSL) dans les années 1960 et 1970, vers un modèle « Média-Magnats-Merchandising-Global » (MMMG) depuis les années 1980, ou progressivement les droits TV et le trading de joueurs constituent les seules portes de sortie des clubs[1].

 

Il est évident que la crise sanitaire n’a rien arrangé. Non seulement les recettes de la billetterie se sont effondrées, mais en plus mediapro, opérateur essentiel dans l’allocation des droits TV, fait cessation de paiement. Il n’en fallait pas davantage pour mettre le feu aux poudres. Certes, les propositions de superchampion‘s League pourraient redynamiser le football et rebooster les droits TV (comprendre l’attractivité du football), mais peut-on jouer constamment sur l’inflation des droits TV ? Nous verrons que l’une des solutions consiste à repenser le football c’est-à-dire faire émerger le football de demain, le football 4.0.

 

1) La situation économique du football se dégrade au fil des années

Dans le modèle SSSL, les recettes d’exploitation étaient la billetterie, les subventions et le sponsoring. Les revenus étaient principalement générés par les résidents locaux. Dans le modèle MMMG avec l’arrivée de Canal Plus et la fin de l’ORTF[2], ce sont les droits TV qui prennent la relève[3]. L’arrivée du Merchandising dans les années 1980, c’est-à-dire les produits dérivés et la cotation des clubs en Europe (Tottenham au LSE en 1983), ont très largement contribué à la financiarisation des clubs. Emergent alors les premières vagues d’acquisition par des investisseurs institutionnels (Lagardère, Aulas, et les médias : M6 pour les Girondins de Bordeaux, Canal Plus pour le PSG). Plus récemment, ce sont les Fonds souverains qui entrent dans la bataille (Le Qatar au PSG) puis des oligarches, Dmitri Rybolovlev pour l’AS Monaco, Waldemar Kita pour le FC Nantes, Hafiz Mammadov pour le RC Lens. La dérèglementation du football avec l’arrêt Bostman 1995[4] sur la partie transfère de joueurs et la globalisation de l’économie n’ont fait que renforcer ce modèle. Pour un club pro, c’est principalement la masse salariale (plus de 60% en général d’un club), les dotations aux amortissements des indemnités de mutation, les honoraires des agents, les frais de déplacement et l’organisation des matchs qui constituent les principaux postes de dépenses. Dernier point mais de taille : un club de football n’est pas une PME comme une autre : du fait qu’il brasse des joueurs principalement et non pas des produits et services, la contrainte budgétaire est dites « lâche » même si la DNCG (Direction Nationale du Contrôle de Gestion) veille et que les cas de Strasbourg et Grenoble mises en faillite sont encore dans les mémoires. La règle générale est qu’un club peut de façon récurrente dépenser plus que ses revenus sans être mise en faillite. On a là l’une des explications des déficits récurrents des clubs et le cycle d’endettement incessant. Parmi les multirécidivistes : Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille et le PSG. C’est un peu comme la dette d’un Etat ! Ici, nous avons les clubs et les joueurs. On a même réussi à créer le « fair play financier », ces clubs participants aux compétitions européennes et n’autorisant pas un déficit supérieur à 5 millions d’euros par période de trois ans.

En 1990-1991, 15% des recettes des clubs de première division sont tirées des droits TV et des produits dérivés. Pour la saison 2013-2014, 74% (DTV 50%, Produits dérivés 24%), aujourd’hui c’est 55% en moyenne (25% pour le PSG qui en tant que club international a davantage de produits dérivés). Pour la saison 2018-2019 d’après la DNCG, la vente de joueurs représentait 25% du produit d’exploitation de 11 clubs de ligue 1 mais les charges d’exploitation augmentent toujours plus vite. De même les prévisions de gain sur le trading de joueurs sont toujours inférieures aux gains réels, la DNCG faisant également pression pour éviter l’inflation du trading de joueurs. A l’aube de la Pandémie, les produits d’exploitation des clubs de ligue 1 croissaient de 36% entre 2016 et 2019  avec 1,9 milliard de produits d’exploitation d’après la DNCG. On peut dire qu’après un effort incommensurable, les clubs commençaient à entrevoir le bout du tunnel. Sur la même période, c’est 47% de droits de TV, 22% de sponsoring, 20% de merchandising, 11% de recettes de matchs (billetterie). C’est le trading de joueurs d’un club par rapport à un autre qui lui confère un statut moins catastrophique sur le plan économique. La France utilise aussi la qualité de ses centres de formation pour exporter massivement ses jeunes talents. Les ventes par transferts représentent aujourd’hui 25% du produits d’exploitation des clubs. Et ce sont les droits TV qui permettent de maintenir un effectif de qualité, de là, le cercle vicieux du modèle. Mediapro était un espoir formidable pour le secteur, à l’initiative de la LFP (Ligue de Football Professionnel) mais Mediapro, Sino Espagnol, n’était qu’un broker et non un diffuseur comme M6, TF1 ou autre. A cela, il faut ajouter le piratage. Il faut savoir que d’après une étude de l’Hadopi, le piratage de contenus sportifs a augmenté de 20 à 30% en 2019 par rapport à 2018. L’étude par ailleurs estime que 4 millions de personnes en regardent de façon illicite tous les mois. Il y a même des pirates qui proposent des boitiers qui permettent de voir toutes les chaines qui diffusent du sport pour quelques dizaines d’euros par an.

Côté charge, 61% des charges hors achats de joueurs représentaient les salaires pour la saison 1990-1991, 66% en 2012-2013, 70% aujourd’hui. L’une des particularités de ce modèle est que les pertes sont toujours supérieures aux prévisions de perte et la dette abyssales est composées principalement d’arriérés de paiement (fournisseurs, salaires, impôts et cotisations sociales).

 

Les aspects sociologiques sont essentiels pour expliquer le modèle économique du football :  

Avant la Pandémie, regarder du sport en direct était presque une exception, et toutes les grandes franchises mondiales étaient en baisse. Le monde se transforme aussi : 300 millions d’individus dans le monde regarde Netflix au – 1H par jour. Nous passons à 2H par jour sur les réseaux sociaux et davantage encore pour les jeunes, le temps de visionnage du football à la télévision a donc sensiblement changé. Enfin, si nous regardons le match de l’équipe de France et encore s’il est décisif, nous n’allons pas accumuler des abonnements pour suivre tout le championnat. Pourtant, plus que la publicité, les abonnements sont essentiels pour la survie du football.

 

2) Il est qu’en parallèle à cela, la Covid a accéléré la transformation du football. 

Certes, la crise de la covid a accéléré la transformation du football mais elle a d’abord et surtout aggravé la situation par la faillite de Mediapro, en défaut de paiement et principal diffuseur télé. La covid 19 a représenté un manque à gagner lié aussi à l’absence de public dans les stades. Le huit clos généralisé a donc plombé les recettes. Pour la petite histoire, en mai 2018, Médiapro remporte la majorité des droits de retransmission TV de la ligue 1 pour un montant de 820 millions d’euros, une aubaine inespérée disent encore de nombreux experts, presque « too much » et probablement insuffisamment contrôlée dans l’euphorie de l’espoir. Car Médiapro fait faillite en octobre 2020 en pleine crise sanitaire et dans la foulée c’est l’arrêt de la chaine payante téléfoot. Orange, Canal Plus, M6, TF1 résoudront tout du moins temporairement cette question des droits TV. C’est que les pertes d’exploitation des clubs français sont restées abyssaux  pour la saison 2020-2021. Plus d’un milliard d’après la DNCG. Enfin, que dire du piratage ? Celui-ci a tout bonnement explosé pendant la Pandémie, certainement faute de stade et de billetterie, les tentations ont été plus grandes. L’annulation des grands événements internationaux a aussi compliqué la donne car les sponsors ont progressivement interrompu leur soutien. Ainsi, la période de la Covid a été la pire de l’histoire du football car conjonction de deux facteurs qui ont créé la plus grande incertitude de l’histoire du football sur la question centrale des droits télé. Aujourd’hui, certains experts disent que le montant idéal serait de 1,2 milliard sachant que le montant payé par Bein sports et Amazon est deux fois moins élevé. Face à ces différentes réalités incontournables du modèle, comment repenser le football à l’aube du monde de demain. Nous voyons bien que le problème est structurel et que dans de nombreux domaines, la crise de la covid n’a fait qu’accélérer les problèmes déjà existants. Il faut donc une nouvelle régulation du football par la technologie. Il faut repenser la façon dont on propose les droits du football de demain et la technologie de l’intérieur peut l’y aider.  

 

3) Faire revivre le football dans le monde de demain avec les innovations disruptives

Plusieurs solutions sont posées aujourd’hui sur la table : sur le terrain purement économique, les prêts mis en place par la ligue en font partie (les PGE), les exonérations de charges patronales également !

Sur le terrain du management, il est évident qu’une baisse drastique de la masse salariale doit être posée mais d’autres propositions sont possibles. Les propositions sur le terrain du management sont généralement les suivantes, l’idée est de renforcer la rentabilité des clubs professionnels français et valoriser le championnat et l’image du football : L’analyse des différents championnats européens fait apparaître des bonnes pratiques de gestion applicables aux clubs français professionnels et au fonctionnement des championnats de L1 et L2[5] : Rénovation des stades (modèle allemand) et utilisation rationnelle et profitable des nouveaux équipements (ex. : politique de naming), segmentation tarifaire billetterie plus large sur la base d’une analyse fine des publics : yield management et développement du merchandising, transferts de technologie et contrat d’association avec des clubs émergents, concurrence des opérateurs télévisés, Modération du matraquage fiscal et retour au DIC, plafonnement des salaires/CA et, éventuellement, répartition des recettes (récompense des clubs éleveurs par les clubs chasseurs). On évoque aussi souvent le système du point offensif (renforcement du spectacle, soutien à l’offensive), la Ligue 1 resserrée et accession de la Ligue 2 à Ligue 1 plus exigeante ainsi qu’un programme de communication et d’éducation pour revaloriser l’image du football et de ses acteurs. Toutes ces propositions visent à améliorer la rentabilité du marché et des clubs, en considérant le football comme une industrie avec de véritables règles économiques, budgétaires et commerciales. Elles s’appuient sur l’expertise de nombreux acteurs économiques de premier plan du football européen.

 

Pour conclure et donner des perspectives au football de demain, nous voudrions nous orienter vers l’innovation : créer sa chaine pourquoi pas, proposer une nouvelle offre digitale sur internet comme RMC Sport certainement, et que dire d’Amazon, Dazn, et Discovery ??? En fait, quel est l’intérêt d’un Amazon international ? ok peut être pour le PSG, mais quid de L’ESTAC ou d’Angers, ou de Lens qui restent des clubs d’élite ? Si le PSG peut vendre en Chine, probablement pas Lens. Il ne faut pas oublier que le football, ce sont des droits TV et des abonnements mais certainement pas la publicité ! Ainsi nous pensons qu’il ne faut pas tout révolutionner mais penser le football de demain de l’intérieur. Et là certainement que les innovations disruptives vont pouvoir y contribuer.

Tout d’abord le stade innovant : le stade innovant permettrait d’attirer davantage de spectateurs, le design et la créativité pour ne pas dire leur beauté attireraient davantage de spectateurs. Car la France fait pâle figure à coté des moyennes en Angleterre ou en Allemagne.

D’autres idées doivent être développées. Si le trading de joueurs est si important pourquoi ne pas imaginer des technologies qui améliorent le recrutement. « Stats Plateform » par exemple est leader de la data appliquée à l’intelligence artificielle pour le sport. L’OGC Nice a conclu un accord avec cette start-up. Il s’agit d’une solution de screening de joueurs mais également de recrutement pour chacun des postes clés du club, meilleurs recrutements de joueurs puis meilleur management du club, les clés pour une optimisation des transferts et des recrutements.

Le marketing et la data science aussi doivent être de la partie. La data science permet d’améliorer la connaissance du club et d’adapter l’offre au clients, ce principe idéal dans la transformation digitale du club permettra d’améliorer l’expérience utilisateur et pour le club d’identifier aussi les clients-spectateurs à fort potentiel grâce au clustering, à la modélisation prédictive ou l’analyse factorielle.

Certains clubs de football comme Liverpool FC sont associés à la start-up française « skill corner » et utilisent de puissants outils capable de collecter en temps réels des données sur des matchs en video ou des entrainements en video. Le suivi des joueurs, du ballon, et le tracking avec l’identification d’une possession de balle anormalement élevée, ou une zone de perte de ballon fréquente permet d’optimiser les équipes et les tactiques et donc au final la performance.

Le Glasgow Rangers collabore aujourd’hui avec la plateforme américaine Hudl. L’idée est d’améliorer la connaissance de son équipe et de son adversaire via une analyse très fine de tous les matchs avec des sélections de phase de jeux.

Le Real de Madrid et d’ailleurs la FFF utilisent de nombreux objets connectés comme les vêtements sportifs connectés ou les dispositifs portables. Cette technologie peut être mise dans la poche arrière du Maillot du joueur. Manchester United et la Juventus de Turin, collabore avec « Catapult Sport » sur cette thématique.

Pour la télévision et les droits TV plusieurs choses peuvent être dites. Il faudrait influer sur la manière dont le public regarde le sport, pouvoir avoir des statistiques en temps réel, y accéder, les partager. Certaines chaines comme Canal Plus innovent beaucoup en matière de retransmission et utilisent déjà de nouveaux dispositifs de calcul pour enrichir l’expérience des téléspectateurs. D’autres médias comme TF1 font appel à l’entreprise anglaise « Opta Sports ».

Pour augmenter la fidélité, on pourrait songer aux parieurs sportifs : « Winamax » s’est associé à « Skill Corner » pour bénéficier d’un outil qui produit en temps réel des informations clés sur le match, et les clients seront plus sensibles à ce type de site.

Pour le championnat français, le manque de partage de données de tracking constitue une limite dans la recherche. Ce qui semble inévitable c’est une révolution des organisations pour appréhender l’IA. Cela passe notamment par l’adoption de nouvelles compétences autour de la data science.

 

 

[1]Le modèle économique du football européen, Wladimir Andreff, Pôle Sud 2017/2 (n° 47), pages 41 à 59.

[2] Office de radiodiffusion-télévision française.

[3] Nous ne détaillons pas ici l’histoire du football mais insistons sur les aspects économiques en tendance.

[4] Décision (jurisprudence) de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), rendue le 15 décembre 1995, qui établit l’illégalité des quotas de sportifs ressortissant de l’Union européenne. C’est-à-dire que depuis cet arrêt, il n’est plus possible de limiter le nombre de sportifs des nationalités concernées dans une équipe ou une compétition professionnelle.

[5] Cf L’excellent article des echos : https://www.lesechos-etudes.fr/boutique/nouveaux-modeles-foot-business-497#attr=2255,2257.

 

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