logo_blanc
Rechercher

Comment interface.ai a réussi à prospérer sans le soutien du capital-risque

capitalSrinivas Njay, cofondateur d’interface.ai. Crédit photo : Cody Pickens pour Forbes

Srinivas Njay, cofondateur d’interface.ai, a créé un puissant assistant financier virtuel avec seulement 1 million de dollars (920 000 euros) de capital. Malgré les sollicitations des sociétés de capital-risque, il a préféré suivre la voie de l’autofinancement, rejoignant ainsi de nombreux autres entrepreneurs qui privilégient l’indépendance financière.

Un article de Emily Mason pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Depuis cinq ans, les cofondateurs Srinivas Njay et Bruce Kim développent interface.ai, un assistant virtuel alimenté par l’intelligence artificielle, qui assiste les clients des banques dans toutes les tâches, de l’analyse des dépenses à l’ouverture de nouveaux comptes et à la soumission de demandes de prêt hypothécaire. Jusqu’à présent, ils ont conclu des accords avec plus de 100 coopératives de crédit et de petites banques locales, desservant ainsi 16 millions de consommateurs et générant des dizaines de millions de dollars de recettes annuelles.

Avec la notion d’intelligence artificielle dans le nom de son entreprise et de son produit, le PDG a reçu un flot d’appels de sociétés de capital-risque. Plus de 40 au cours des derniers mois, selon ses estimations. Il se dit ravi de discuter, car il estime qu’à terme, le bon investisseur pourrait contribuer à stimuler leur croissance. « Je fais connaissance avec des gens », déclare M. Njay. « Nous sommes dans une bonne situation, ce n’est pas comme si nous avions besoin d’argent. » En effet, avec seulement 1 million de dollars de leurs économies, une ligne de crédit de 3 millions de dollars de TMCC, une coopérative de crédit indienne dirigée par le père de M. Njay, et une gestion prudente des finances, M. Njay, âgé de 37 ans, et M. Kim, 59 ans, ont développé leur entreprise avec succès. 

C’est la formule classique de l’entrepreneuriat. Selon la Fondation Kaufman, seulement 0,5 % des jeunes entreprises employant des salariés bénéficient d’un investissement en capital-risque pour démarrer, tandis que 65 % utilisent les économies des fondateurs, 17 % ont recours à des prêts bancaires et 9 % comptent sur l’argent de leurs proches. À partir de là, elles s’appuient sur les revenus générés pour assurer leur croissance.

 

L’auto-financement : une stratégie gagnante pour interface.ai

Pourtant, malgré ces chiffres, ces dernières années, la croissance rapide est devenue étroitement liée au soutien des sociétés de capital-risque, car les startups de certains secteurs – la technologie financière en est un excellent exemple – sont devenues dépendantes des fonds de capital-risque. Aujourd’hui, alors que les financements et les valorisations des entreprises privées se contractent, un grand nombre de startups soutenues par le capital-risque licencient et s’efforcent de conserver leurs liquidités, tandis que les entrepreneurs auto-financés à la recherche du moindre centime bénéficient d’un respect bien mérité.

Les deux partenaires n’ont pas connu le succès du jour au lendemain. Après s’être rencontrés et avoir uni leurs forces en 2015, ils ont passé quatre ans à créer des bots financiers pour faciliter le paiement des factures et les transferts d’argent sur le marché indien (à l’époque, l’entreprise s’appelait Payjo) avant de conclure que le marché américain avait plus de potentiel. Aujourd’hui, 130 des 170 employés d’interface.ai, basée à San Jose, se trouvent en Inde, ce qui permet de maintenir les coûts salariaux à un niveau bas et la productivité à un niveau élevé, puisque le décalage horaire permet aux ingénieurs de travailler sur les problèmes 24 heures sur 24. « Sans une équipe mixte Inde-États-Unis, je ne pense pas que nous aurions pu démarrer l’entreprise », déclare M. Njay, qui a obtenu une licence en informatique à la SIT de Bangalore et une maîtrise à l’université Northeastern, avant de travailler quelques années chez Microsoft et Electronic Arts.

Pour s’imposer sur le marché américain, interface.ai a opté pour une approche commerciale de niche qui nécessite peu de dépenses en marketing, évitant ainsi le piège dans lequel sont tombées de nombreuses fintechs axées sur les consommateurs, qui ont dépensé des sommes considérables en capital-risque. Sa stratégie : se concentrer sur les institutions financières trop petites pour développer leur propre intelligence artificielle ou pour exiger une personnalisation poussée Selon M. Njay, cela offre un modèle économique réplicable où un produit peut être conçu et vendu à plusieurs reprises. Les coûts d’acquisition des clients ont été encore réduits grâce à deux partenariats : l’un conclu en 2022 avec une filiale de l’association professionnelle des coopératives de crédit (à l’époque CUNA, aujourd’hui America’s Credit Unions) et l’autre en 2021 avec Allied Solutions, un courtier en assurance qui vend aux petites banques et aux coopératives de crédit. Ces accords permettent à interface.ai d’accéder à 95 % de son marché cible, en échange d’une petite commission.

Le discours de M. Njay aux clients potentiels met en avant les avantages de l’intelligence artificielle pour réduire les coûts et renforcer leur compétitivité face aux grandes entreprises. Les événements extérieurs ont également favorisé ses ventes : la nécessité croissante d’automatisation s’est révélée cruciale pour les coopératives de crédit pendant la pandémie, alors que leurs centres d’appels étaient submergés et que des pénuries de main-d’œuvre sont apparues. La dernière série d’outils lancée par interface.ai l’année dernière guide les clients en ligne et par téléphone, s’intégrant à un outil destiné aux employés pour fournir toutes les informations nécessaires en cas de transfert d’appel à un humain. De nouvelles fonctionnalités permettent, par exemple, de générer des réponses vidéo pour les clients des banques au lieu de leur envoyer de longs blocs de texte.

 

La quête de la rentabilité

« Nous sommes au bon endroit au bon moment. Avec l’IA générative, nous faisons cela depuis cinq ans », explique M. Njay. « Notre objectif n’était pas d’éviter de lever des fonds. Il se trouve qu’au début de la pandémie, nous nous sommes développés très rapidement et nous n’avons jamais eu assez de temps pour mettre en place un processus vraiment efficace. Nous avons été extrêmement occupés à construire l’entreprise, à prendre soin de nos clients et, depuis que nous avons commencé à gagner de l’argent, la levée de fonds n’était pas une priorité. » En fin de compte, il n’est pas fermé à l’idée de capitaux extérieurs, mais seulement s’ils sont accompagnés d’un membre du conseil d’administration qui a l’expérience de la croissance d’une entreprise et qui a une bonne connaissance de ce qui se passe dans le domaine de l’IA, y compris dans la couche des applications, où sa société opère.

Il n’y a pas que la fintech, bien sûr. D’autres secteurs, tels que le commerce électronique direct, ont déjà découvert que les gagnants ne sont pas toujours ceux qui sont financés par des investisseurs avant même d’avoir réalisé la moindre vente. « Les gens se convertissent enfin à la religion de la rentabilité », s’exclame Mike Salguero, qui a lancé le service de livraison de viande ButcherBox en 2015 avec 10 000 dollars (9 200 euros) d’économies et une campagne Kickstarter proposant des préventes de ses morceaux de choix. Alors que les services de boîtes alimentaires soutenus par de gros investissements de capital-risque ont connu des difficultés, ButcherBox a été rentable dès sa première année. « Les contraintes liées à l’absence de levée de fonds sont en fait ce qui nous a permis de poursuivre notre activité et de nous concentrer sur les bons indicateurs, les bons projets et le bon marketing », explique-t-il.

Les sociétés de capital-risque américaines n’ont levé que 67 milliards de dollars (61,7 milliards d’euros) en 2023, soit le montant le plus bas depuis 2017 et une baisse de 61 % par rapport à 2022. Les sociétés de capital-risque sont toujours à la recherche d’opérations dans le domaine de l’IA et disposent de nombreux fonds non engagés. Mais la faiblesse persistante du marché des introductions en bourse depuis la récolte record (et peu performante) de 2021 fait baisser les valorisations du marché privé dans certains segments et limite ce que les sociétés de capital-risque considèrent comme digne d’être financé.

« Les entreprises produites en série, censées être des licornes valant des milliards de dollars sur le marché public, ont conduit tout le monde à construire en fonction de ce modèle plutôt que de créer des entreprises authentiquement solides. Cette approche s’est avérée inefficace », explique Sam Lessin, partenaire général de Slow Ventures.« Le marché public ne veut pas de licornes issues de fermes industrielles. » Il insiste sur le fait qu’un large éventail d’entreprises, développées lentement, peuvent en fin de compte décoller, avec ou sans l’argent du capital-risque. « De nos jours, l’idée que l’on peut construire une entreprise solide sans nécessairement chercher à la transformer en mastodonte n’est plus si étrange », affirme M. Lessin. « Les choses qui semblent petites au départ peuvent croître de manière exponentielle dans un monde où les technologies comme le cloud computing permettent aux niches de prendre des proportions colossales. »

 

La pression des investisseurs

La Réserve fédérale des États-Unis a commencé à relever ses taux en mars 2022, et cette hausse a clairement modifié le calcul des investisseurs privés. « Les investisseurs en capital-risque ont des attentes de rendement élevées pour justifier leurs investissements, sinon ils se tourneraient vers des investissements plus sûrs comme les bons du Trésor offrant un rendement de 5 % », explique Jenny Fielding, cofondatrice et associée directrice d’Everywhere Ventures, une société de capital-risque en phase d’amorçage.

« Récemment, les startups ont reçu des avertissements sérieux de la part de leurs investisseurs », note Mme Fielding. Les investisseurs, en préconisant « l’atteinte de la rentabilité », insinuent en réalité : « Bien que nous ayons initialement financé votre entreprise, nous estimons qu’il est temps pour vous de voler de vos propres ailes ».

C’est l’approche adoptée par Gateway X depuis sa création il y a trois ans en tant que « studio de création d’entreprise ». Elle trouve des idées commerciales prometteuses, constitue une équipe d’entrepreneurs et leur fournit un capital de démarrage de 500 000 dollars (462 000 euros) ou moins, en espérant qu’ils se développeront à partir de là. L’une d’entre elles, par exemple, est une plateforme qui aide les équipes de marketing à trouver des travailleurs à l’étranger pour les aider à lancer des campagnes. « Nous adoptons ce que nous appelons le modèle des « géants de l’amorçage ». Nous visons à générer des bénéfices dès la première année, puis à développer l’entreprise de manière durable », explique le PDG et fondateur de Gateway X, Jesse Pujji, qui a fondé et vendu sa propre startup en phase d’amorçage, la société de marketing numérique Ampush. « Nous avons de grandes ambitions, mais nous n’adoptons pas la stratégie du financement par capital-risque avec des cycles de levées de fonds toujours plus importants. »

 

Développer une entreprise sans recourir au capital-risque

L’amorçage, en particulier dans un secteur comme la fintech où les concurrents disposent d’une multitude de fonds de capital-risque, peut exiger de la patience et des nerfs d’acier. Paul Beldham est le PDG et actionnaire majoritaire de PayQuicker, une plateforme de paiement basée à Rochester, dans l’État de New York. Cette plateforme permet d’effectuer des paiements instantanés dans le monde entier, dans 80 devises différentes, pour une gamme variée d’opérations, allant des demandes d’indemnisation aux paiements de marketing d’affiliation pour les influenceurs sociaux. Son système utilise des algorithmes pour déterminer la méthode la plus efficace dans différents cas, l’argent étant versé par le biais de cartes de débit prépayées, de cartes virtuelles et de portefeuilles mobiles.

À 79 ans, M. Beldham possède une histoire entrepreneuriale remarquable, d’une durée inhabituellement longue pour le secteur de la fintech. Initialement ingénieur électricien, il a vendu sa première entreprise de fabrication de pompes et d’équipements à IDEX Corp. en 1998, puis est resté dans ce secteur pendant la décennie suivante. En 2008, il a racheté PayQuicker, initialement conçue pour être une plateforme de paiement pour les médias sociaux. Cependant, après avoir réalisé qu’il faudrait beaucoup plus de financement que prévu pour construire cette plateforme, il a décidé de ne pas recourir aux fonds de capital-risque, trouvant cette option trop coûteuse et risquée.

En alternative, M. Beldham a réussi à mobiliser plus de 5 millions de dollars auprès de ses amis fortunés, tout en conservant 100 % des droits de vote, et a démarré l’aventure à partir de là. « J’ai trouvé que c’était une façon beaucoup plus confortable de développer l’entreprise, tout en conservant un maximum de propriété pour moi-même et certains des employés clés qui sont également propriétaires. »

PayQuicker est rentable depuis 2014, mais sa croissance a été relativement lente. « Certains diront qu’en acceptant des fonds extérieurs, nous aurions pu nous développer plus rapidement », explique M. Beldham. Il a vu émerger près d’une trentaine de fintechs dans le domaine des paiements au cours des années précédentes, mais la plupart ont fini par disparaître. Cependant, certaines bonnes entreprises ont perduré et sont désormais des partenaires, comme Nium, membre du Forbes Fintech 50, qui a levé 288 millions de dollars (266 millions d’euros) et a atteint une valorisation de 2,1 milliards de dollars (1,9 milliard d’euros) lors du pic de la bulle des fintechs, envisageant même une introduction en bourse l’année prochaine. M. Beldham reconnaît que si PayQuicker veut se développer, il lui faudra trouver des capitaux extérieurs, une perspective qu’il n’exclut pas. Il estime que sa société vaut environ 200 millions de dollars (185 millions d’euros), ce qui n’est pas déraisonnable au vu des multiples actuels. « Il est fort probable que PayQuicker soit amené, tôt ou tard, à collaborer avec un partenaire de capital de croissance, car nous identifions actuellement de nombreuses opportunités qu’il serait peu judicieux de ne pas saisir en obtenant plusieurs millions de dollars pour les développer. »

 

De l’adversité à la réussite 

En 2018, trois jours avant le Black Friday, Mike Beckham a eu une mauvaise surprise au réveil : Amazon avait inexplicablement suspendu le compte commercial de son entreprise créée il y a trois ans, Simple Modern, qui vend des bouteilles d’eau au design épuré et d’autres produits utilitaires. À ce moment-là, son stock s’élevait à environ 2 millions de dollars (1,8 million d’euros) et la méga place de marché représentait 95 % de son chiffre d’affaires.

« C’était absolument terrifiant », se souvient M. Beckham, aujourd’hui âgé de 44 ans, qui avait lancé son entreprise basée à Moore, dans l’Oklahoma, en 2015 avec deux cofondateurs et 200 000 dollars d’économies personnelles. Le site a été réactivé à temps pour l’engouement post-Thanksgiving. M. Beckman a commencé à envisager les pires scénarios. « Pendant cette période, je songeais à vivre dans une maison plus petite. C’est le genre de réflexion qui surgit lorsque vos biens personnels sont menacés. »

Aujourd’hui, Simple Modern est une véritable réussite – elle a généré 40 millions de dollars (37 millions d’euros) de bénéfices pour 200 millions de dollars (185 millions d’euros) de ventes en 2023, avec une présence chez Target et Walmart, en plus d’Amazon. Pour Mike Beckham, ce n’est pas une simple question d’argent ; c’est une question d’autonomie. En l’absence d’investisseurs exigeant un retour sur investissement, il est libre de consacrer 10 % de ses bénéfices à des œuvres caritatives. L’an dernier, 4 millions de dollars (3,6 millions d’euros) ont été donnés à des organisations telles que Water4, qui œuvre pour l’accès à l’eau potable, Restore OKC, qui lutte contre les divisions raciales à Oklahoma City, et St Paul’s Community School, une école primaire de l’Oklahoma offrant une éducation chrétienne aux enfants défavorisés.

Le fondateur de Simple Modern explique : « Nous avons maintenu notre autonomie financière car nous craignions que l’entrée de capitaux extérieurs ne compromette notre capacité à diriger l’entreprise selon nos valeurs. Les attentes des actionnaires et leurs intérêts risquaient de s’opposer à nos objectifs, notamment en ce qui concerne nos engagements philanthropiques. »

 


À lire également : La startup Unstructured aborde les défis cachés de l’intelligence artificielle

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC