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Blockchain : La Fin Des Ecosystèmes Fermés

la fin des plateformes?Les plateformes ne résisteront peut être pas à la blockchain

Le canadien Dapper Labs, The serious Business of fun and games on the blockchain, a récolté 11 millions de dollars le mois dernier, lors d’une levée de fonds qui a fait parler d’elle. Pourtant le jeu d’élevage de « cryptokitties » (des  chats virtuels que l’on peut faire se reproduire, échanger, collectionner, customiser – pardon, élever, etc…) qu’édite ce dernier n’a pas montré un enthousiasme débordant de la part de ses fans, passées les premières semaines de lancement.

CryptoKitties de DapperLabs
Les créatures hébergées sur des BlockChains survivent à leurs créateurs

On constate en effet de l’ordre d’un millier de transactions quotidiennes de ces chats virtuels depuis le début de l’année 2019, et un chiffre d’affaire de 75 000 dollars au mois d’août, pas de quoi réveiller un investisseur. Surtout qu’avec 3 millions de dollars de ventes réalisés le 9 décembre 2017, soit 15 jours après son lancement, on aurait pu s’attendre à de meilleurs scores. Las, ce fameux record n’a plus jamais été égalé depuis, voire approché.

Traffic sur le jeu CryptoKitties
Evolution des transactions sur CryptoKitties depuis son lancement

Dapper Labs a pourtant innové dès le début, ce qui lui a valu le buzz à défaut du succès : son jeu CryptoKitties se revendique comme le premier jeu basé sur une BlockChain, d’où le nom de l’entreprise, d’ailleurs, pour Distributed Apps, Applications Distribuées.

Toutes les transactions des joueurs sont ainsi enregistrées sur Ethereum, qui sert également de monnaie d’échange. Bonne nouvelle, les chats virtuels survivront ainsi à leur éditeur même si ce dernier disparait, ce qui en fait un vrai différentiateur par rapport à d’autres jeux en ligne où l’utilisateur dépense beaucoup en accessoires à l’usage finalement limité. Cette fonctionnalité illustre également un nouveau paradigme émergent : la fin des écosystèmes fermés. Ce que le client achète dans un écosystème donné est utilisable sans cet écosystème.

Cependant, les blockchains ne supportent pas très bien le passage à l’échelle, c’est-à-dire la multiplication des transactions ou « contrats ». La raison en est l’essence même des blockchains, le fait qu’elles soient distribuées sur un grand nombre de serveurs (les nœuds). Si cette architecture leur assure l’inviolabilité et la permanence (le même contrat est recopié sur un très grand nombre de nœuds), elle a en revanche un coût certain en délai de réaction : Bitcoin exécute en moyenne 4,6 transactions par seconde, temps nécessaire pour qu’elles soient enregistrées sur les 10 000 nœuds de son réseau, quand Visa en exécute 1700 dans la même seconde.

Cette relative lenteur a eu une conséquence pratique : le jeu Cryptokitties de Dapper Labs a créé un embouteillage monstre de transactions en attente de validation sur la blockchain Ethereum aux plus beaux jours de son lancement fin 2017.

Le buzz technologique ne rencontre ainsi par toujours le besoin des clients : si l’on vénère la rareté, l’attente et l’exclusivité dans les médias, c’est bien évidemment pour accéder à des contenus. L’expérience qu’ils procurent doit au contraire être totalement fluide, même si elle donne lieu à des interactions fréquentes avec les spectateurs, utilisateurs ou joueurs. De fait, ces interactions sont le meilleur gage d’une audience solide.

Devant ce mur, l’utilisateur de blockchain DapperLabs s’est mué en innovateur technologique, et a pu en deux ans développer une nouvelle blockchain beaucoup plus efficace en temps de traitement. C’est elle, FLOW, que l’équipe de Dapper Labs vient fièrement d’annoncer : la blockchain potentiellement la  mieux adaptée à l’enregistrement de très grands nombres de transactions liées à une audience, et pas seulement celle des éleveurs de chats virtuels : Flow est ouverte à toutes les « dapps », les applications décentralisées. C’est sur ce projet radicalement différent du projet initial que s’est faite la levée de fonds.

Et de fait, le tour de table fait entrer de nouveaux venus, aux rangs desquels on trouve Warner Music.

Avec cet investissement, l’objectif de Warner Music est bien plus large que celui de Sony Music lorsqu’il avait déposé un brevet en octobre 2018 pour gérer les droits numériques avec une blockchain. Car l’enjeu est de taille.

Depuis le milieu des années 2000 en effet, la révolution digitale a laminé les acteurs de la musique sur leur activité physique traditionnelle de vente de disques.

Evolution des revenus de Warner Music
Comment le streaming a pris le relais des ventes physiques de disques. (source Music Business Research)

S’ils commencent à remonter la pente depuis 5 ans et l’avènement du streaming (qui est devenue la principale source de revenus de Warner Music en 2017), il est probable que l’histoire ne s’arrête pas là, et qu’il faille prêter attention au risque croissant de désintermédiation, quand les meilleurs artistes choisissent de se passer des Majors.

Madonna n’avait-elle pas quitté avec fracas la Warner en 2007 pour Live Nation, un organisateur d’événements qui enregistre aussi ses albums ?

Avec ce « transfert », Madonna avait montré le changement de la valeur d’usage de la musique : collectionner des CDs ne fait plus frémir grand monde, alors qu’aller à un concert est toujours aussi captivant pour le spectateur… et beaucoup plus gratifiant pour l’artiste, que ce soit dans l’échange avec le public ou dans le chiffre d’affaire qui lui revient. En donnant plus d’espace de communication aux artistes, en facilitant l’écoute de leurs œuvres, en leur permettant d’établir des liens directs permanents avec leur public, les technologies digitales ont « disrupté » le secteur de la musique alors majoritairement constitué des ventes physiques de disques. Elles ont redonné – sorte de vase communicant – toute sa valeur à la relation directe entre l’artiste et ses fans, dont  le concert est l’apothéose et l’écoute numérique sa promotion.

Madonna est célèbre, comme l’était son précurseur en matière de gestion de la relation avec les Majors : David Bowie qui dès 1996 sortait son premier single sur Internet, et a sorti tous ses albums après 2002 avec son label indépendant Iso Records. Mais que se passerait il si tous les artistes, forts de leur quart d‘heure de célébrité au 21ième siècle  (si l’on en croit Andy Warhol), montraient des velléités d’indépendance ?

le quart d’heure de célébrité et la disruption de l’industrie musicale

Comment se positionner dans ce nouveau monde où la relation artiste – major ne peut plus se résumer à une classique relation entre fournisseur et distributeur ? Il faut peut-être chercher des éléments de réponse dans l’autre segment des ventes de Warner en croissance ces 5 dernières années : le management des artistes et le merchandising.

Les nouvelles sources de revenus de Warner Music
Les nouvelles sources de revenus de Warner Music (source Music Business Research)

Les Majors expriment ainsi leur nouveau positionnement : être les partenaires des artistes pour les aider dans leurs relations avec leurs fans. Dans un monde de plus en plus décentralisé, elles ne peuvent plus prétendre au rôle d’intermédiaire qui était le leur pendant tout le 20ième siècle. Mais elles peuvent fournir des outils pour aider les artistes dans leurs échanges avec le public, y compris les échanges rémunérateurs comme le merchandising. La BlockChain Flow apparait ainsi comme l’outil idéal pour tracer et entretenir une communauté de fans actifs, également clients directs de leurs stars favorites. Quel que soit le label de ces dernières.

Dans le monde digital, le nouveau Graal pour les Majors ne sera probablement plus la taille du catalogue ou le nombre de disques d’or, mais bien l’identification de la pièce du puzzle qui permet de revêtir le maillot du  « winner takes all ». Même si au passage leurs fournisseurs deviennent leurs clients, les faisant passer de plateformes à facilitateurs.

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