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EXCLUSIF | Meta n’arrive pas à protéger les modèles enfants des pédophiles sur Instagram

MetaInstagram, le célèbre réseau social appartenant à Meta, ne parvient pas à lutter contre les prédateurs sexuels ciblant les modèles enfants. | Source : Getty Images

Alors que Grant Durtschi était arrêté et inculpé pour exploitation sexuelle d’enfants, Meta n’a pas supprimé tous les comptes du photographe sur Instagram.


 

Grant Durtschi, un photographe accusé de vendre des photos à des pédophiles, pouvait encore utiliser son compte Instagram trois mois après son arrestation. Forbes a signalé au groupe Meta plus d’une douzaine de comptes comptant plus d’un demi-million d’abonnés. Ces comptes publiaient des photos à caractère sexuel de modèles enfants et adolescents. Actuellement, le groupe Meta est vivement critiqué pour sa politique à l’égard des prédateurs sexuels.

Jane, une jeune fille de 13 ans vivant en Louisiane, a décidé qu’elle voulait devenir mannequin. C’est sa mère, Sarah, qui a donné un coup de pouce à ses ambitions en publiant des images de sa fille sur Instagram (Forbes a changé leurs noms pour protéger leurs identités). En un rien de temps, Sarah a été contactée par une autre mère dont l’enfant était également un mannequin en herbe. Selon la documentation du ministère américain de la Justice, cette maman a présenté Sarah à un homme nommé Grant Durtschi. Cet homme de 48 ans avait fait carrière dans la photographie d’enfants. Parfois, il payait le parent ou même l’enfant jusqu’à 1000 dollars par séance avant de vendre les photos à des acheteurs inconnus.

Cependant, pour le beau-père de Jane quelque chose ne tournait pas rond. Selon les agents fédéraux, le beau-père de la jeune fille est allé voir le FBI pour informer les enquêteurs que, lors de discussions sur l’application de messagerie Telegram, Grant Durtschi avait ouvertement admis avoir vendu ses photos à des pédophiles. Plus tard, le Bureau d’investigation de Louisiane a reçu plusieurs photos prises par Grant Durtschi et montrant Jane réalisant diverses poses en bikini-string sur un lit (les photos ont pu être obtenues à l’aide d’un mandat de perquisition pour des comptes Google Drive liés à l’enquête). Sur certaines photos, Jane adoptait des positions sexuellement suggestives et d’autres photos étaient intimes. Après avoir interrogé Sarah, les agents fédéraux ont indiqué que lors de la dernière séance photo de Jane en octobre 2020 au Texas, la jeune fille s’est plainte qu’elle n’était pas à l’aise avec la façon dont le photographe devenait « tactile ». Jane avouera plus tard à la police que Grant Durtschi lui a touché les fesses et défait son maillot de bain.

Grant Durtschi publiait souvent ses photos sur deux comptes Instagram, tous deux désormais supprimés de la plateforme appartenant à Meta. Selon l’enquête, les clients le contactaient sur Instagram et payaient les photos par PayPal. L’analyse de son compte PayPal a révélé que plus de 70 clients lui avaient versé entre 100 et 1100 dollars pour des photos. « Parmi ces 70 hommes, plusieurs étaient des délinquants sexuels condamnés ou avaient été condamnés pour des faits similaires », a déclaré le FBI. L’un d’entre eux avait déjà été arrêté pour enlèvement.

Grant Durtschi a été arrêté en mars et inculpé en avril. Il a plaidé non coupable aux accusations d’exploitation sexuelle d’enfants. Son avocat n’a pas souhaité répondre aux questions de Forbes.

L’arrestation du photographe n’a toutefois pas eu beaucoup d’effet sur sa présence sur Instagram. À l’aide de deux autres comptes, il semble qu’il ait continué à utiliser ses profils pour partager des photos de mineurs pendant plusieurs mois après son inculpation et son arrestation. Forbes a effectué une simple recherche Google sur les deux comptes Instagram supprimés de Grant Durtschi. Le premier résultat (celui en lien avec son nom d’entreprise, comme ses comptes déjà interdits) montrait un compte actif comptant près de 90 000 abonnés. Le compte publiait régulièrement des photos d’adolescents et éventuellement de plus jeunes enfants en maillot de bain. Souvent, les commentaires sous les photos étaient de nature sexuelle, que ce soit explicitement ou avec des émojis subjectifs. Plut tôt cette année, un autre utilisateur d’Instagram a désigné le compte comme étant celui de Grant Durtschi et a affirmé que le photographe vendait des photos d’enfants à des pédophiles. La même semaine, Forbes a alerté Meta sur le compte, qui a été supprimé.

Cependant, un autre compte faisant référence à la société de Grant Durtschi était toujours en ligne, et cela bien que le FBI ait affirmé qu’il avait déjà été fermé, laissant supposer que le groupe Meta avait permis au photographe de reprendre son compte où il a continué à publier des photos et des vidéos de mineurs. Le compte public contenait un reel publié en avril, soit un mois après l’arrestation du photographe, montrant un modèle enfant en train d’être photographié par un homme aux cheveux gris. La photo de ce même mannequin avait été partagée sur la page de Grant Durtschi, qui comptait 90 000 abonnés, avant d’être fermée. Ce dernier compte a également été fermé après que Forbes a alerté Meta de son existence.

Cette affaire ne met pas seulement en lumière une sombre facette d’Instagram qui sert de plateforme d’échange de photos d’enfants sexualisés, elle montre également avec quelle facilité ceux qui exploitent les jeunes peuvent échapper au bannissement et revenir encore et encore sur Instagram, même après avoir été arrêtés et inculpés. Malgré des années de critiques sur la façon dont le groupe ne protège pas les enfants (l’on se souvient des Facebook Papers), Meta compte beaucoup sur les utilisateurs d’Instagram et les journalistes pour identifier les délinquants sexuels, et a du mal à les garder hors de la plateforme ou à se débarrasser de ce qu’ils pourraient laisser derrière eux.

Selon un porte-parole du géant des technologies, Meta n’a aucune tolérance pour l’exploitation des enfants sur ses plateformes et supprimera les comptes qui partagent de tels contenus. « Nous avons toujours supprimé les contenus qui sexualisent explicitement les enfants et, l’année dernière, nous avons mis à jour nos politiques pour nous aider à supprimer des formes plus subtiles de sexualisation, notamment lorsque des comptes partagent des photos d’enfants accompagnées de commentaires inappropriés sur leur apparence », a déclaré le porte-parole. « Nous savons qu’il peut y avoir des personnes qui essaient de contourner nos systèmes, c’est la raison pour laquelle nous travaillons en permanence pour nous assurer de garder une longueur d’avance. » Le porte-parole de Meta a souligné la politique du groupe qui proscrit tout contenu sexualisant les enfants. Ainsi, Meta n’autorise aucune photo d’enfants en « tenue sexualisée » ou dans un « environnement mis en scène (par exemple, sur un lit) ou filmé de manière professionnelle (qualité/focus/angles). »

Pourtant, une recherche plus poussée a permis de trouver plus d’une douzaine d’autres comptes publiant un contenu similaire à celui de Grant Durtschi et visités par des utilisateurs d’Instagram qui déclarent trouver les mineurs sexuellement attirants. Un compte Instagram publiait des photos et des vidéos de mineurs en maillot de bain, avec en légende « pas de sales types s’il vous plaît ». Ce profil comptait 2167 abonnés. Une autre page publiait du contenu similaire et comptait 43 000 abonnés. Il ne s’agit là que des comptes publics. Un profil privé, qui proposait des photos d’adolescents en maillot de bain, comptait près de 400 000 abonnés. Avec les profils de Grant Durtschi, les comptes identifiés par Forbes contenant des photos d’enfants et d’adolescents sexualisés comptaient au total plus de 500 000 abonnés. Après que Forbes a alerté le groupe Meta sur 15 comptes potentiellement problématiques, Instagram en a fermé 11 (la semaine dernière, le réseau social a annoncé la mise en place de nouvelles fonctionnalités pour vérifier l’âge des utilisateurs, notamment en partenariat avec une société appelée Yoti qui scanne les visages pour estimer l’âge d’une personne).

Lianna McDonald, directrice exécutive du Centre canadien de protection de l’enfance, a déclaré que son organisation était « indignée » par les conclusions de l’enquête de Forbes. Elle a demandé à Meta d’accroître la modération de son contenu, tout en exhortant les gouvernements à introduire davantage de lois obligeant les entreprises à prendre plus de mesures « non seulement sur le contenu criminel, mais également sur le contenu nuisible et abusif pour les enfants. »

« D’après notre expérience, la publication de photos de mannequins enfants sexualisés, souvent des photos à la limite de la légalité, est fréquemment utilisée comme moyen de promotion pour signaler la disponibilité de photos d’abus sexuels sur enfants via d’autres plateformes », déclare Lianna McDonald. Cette tactique, dit-elle, est appelée « breadcrumbing » (comprenez « miettes de pain numériques »).

Lianna McDonald indique également que les photos de l’une des victimes mentionnées dans le mandat de perquisition fourni par Forbes étaient présentes sur des forums pédocriminels du dark web « où elles sont utilisées de manière plus sexuellement abusive et explicite. »

Le Centre canadien de protection de l’enfance continue de trouver des comptes faisant la promotion d’abus sexuels sur enfants ou sexualisant les enfants. En un seul mois cette année, le Centre a signalé près de 150 comptes à Instagram, dont 40 sont toujours actifs, précise Lianna McDonald.

Andy Burrows, responsable de la politique de sécurité en ligne pour les enfants à la National Society for the Prevention of Cruelty to Children (littéralement, Association britannique pour la prévention de la cruauté envers les enfants), une association britannique à but non lucratif, a déclaré que les comptes de modèles enfants identifiés par Forbes « ont pour seul objectif d’être une vitrine pour les abus sur les enfants, permettant aux délinquants de s’identifier les uns les autres et de s’organiser au vu et au su de tous, tandis qu’Instagram semble regarder ailleurs. » Selon Andy Burrows, les lacunes de Meta sont une forme de « déréliction de sa responsabilité en tant qu’entreprise. »

« Alors que les décideurs politiques légifèrent sur le fonctionnement des réseaux sociaux, il doit y avoir un consensus clair sur le fait que les entreprises ont le devoir d’empêcher l’apparition sur leurs plateformes de matériel facilitant la maltraitance des enfants, avec des mesures fortes en matière de responsabilisation des entreprises », déclare Andy Burrows.

Néanmoins, il n’est pas facile de distinguer les activités illégales de celles qui pourraient être légales. Les hashtags faisant la promotion de modèles enfants sont liés à plus de trois millions de messages, par exemple. Lorsque Forbes a contacté la Internet Watch Foundation, une organisation à but non lucratif basée au Royaume-Uni qui aide à signaler le matériel en lien avec l’abus sexuel d’enfants, la fondation a déclaré qu’elle ne pouvait faire aucun commentaire, car aucun des comptes signalés ne publiait d’images illégales à proprement parlé.

 


« Vous vous rendez compte du nombre de tordus qui courent les rues… »


 

Même en l’absence d’illégalité, il existe un certain dégoût chez les professionnels exerçant une activité similaire sur Instagram. Dee Stewart, un photographe basé au Texas qui est souvent payé par des familles pour prendre de photos de leurs enfants, a affirmé être régulièrement contacté par des utilisateurs d’Instagram pour acheter son travail. « Presque chaque semaine, je reçois des messages à ce sujet », indique Dee Stewart. « Il y a beaucoup de choses gênantes qui se passent », précise-t-il en présentant des comptes où la plupart des photos montrent des mineurs peu vêtus. « Ils poussent à l’extrême certaines poses et d’autres choses encore. »

Après que certaines photos de Dee Stewart ont été reprises sur l’un des comptes de Grant Durtschi, le photographe texan a affirmé envisager de quitter Instagram, car il ne voulait pas être impliqué dans des affaires louches. « Vous vous rendez compte du nombre de tordus qui courent les rues », réagit-il.

Dans le cas de Jane, l’enquête a connu un rebondissement : la mère de la jeune fille est devenue un suspect. Après que Sarah a volontairement donné son téléphone au FBI, les agents fédéraux ont découvert des conversations Telegram entre Sarah et Grant Durtschi, dans lesquelles le photographe admettait être un pédophile. Selon le mandat, « la famille savait qu’il était pédophile, comme 99 % des personnes dans cette industrie [le mannequinat pour adolescents]. »

Bien qu’un tel message semble incriminer le photographe, les enquêteurs ont commencé à soupçonner Sarah d’être impliquée dans la production de matériel potentiellement pédophile sur sa fille, l’un des messages accompagnant une photo indiquant : « elle utilise enfin ses petites fesses ». Sarah a poursuivi le photographe pour avoir vendu des photos de sa fille sans son autorisation. La mère n’a pas souhaité répondre aux questions de Forbes. Pour l’heure, elle ne fait l’objet d’aucune accusation.

Jane veut certainement oublier son expérience avec Grant Durtschi. Cependant, les pédophiles qui l’ont espionnée sur Instagram traînent toujours dans les parages. Ces derniers mois, selon le FBI, Sarah a été contactée à plusieurs reprises sur le réseau social appartenant à Meta par des hommes qui espèrent toujours acheter des images de sa fille.

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : Thomas Brewster

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