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Cent jours de Joe Biden (1/2) | Jean-Claude Beaujour : « Le plan Biden a pour objectif et pour obligation de faire revivre l’idéal du rêve américain »

Joe BidenJean-Claude Beaujour

Pour ses 100 premiers jour à la tête de la première puissance mondiale, Joe Biden a engagé un changement de cap par rapport aux canons économiques des précédentes administration. Son plan de soutien à l’économie  accompagné d’une campagne vaccinale réussie permettent au pays d’entrevoir la reprise. Surtout, cela pourrait marquer la fin de la révolution conservatrice qui domine la politique américaine depuis des décennies. Entretien avec Jean-Claude Beaujour, vice-président de France-Amériques. 

 

Forbes France : Pour bien comprendre l’ampleur des mesures prises par Joe Biden pouvez-vous nous rappeler le contexte économique qui ouvre la présidence ? 

Jean-Claude Beaujour : La présidence de Joe Biden débute le 20 janvier 2021 dans un contexte économique bien plus complexe que celui de 2008. En effet, il s’agit de composer avec une situation économique, politique et sanitaire sans précédent depuis la Grande Dépression.
Souvenons-nous que Joe Biden avait dû, en devenant vice-président de Barack Obama en janvier 2009, gérer la crise des subprimes qui avait touché le secteur des prêts hypothécaires à risques aux Etats-Unis et avait fini par aboutir à une crise financière mondiale dont les répercussions se font toujours sentir aujourd’hui. 
En janvier dernier, le nouveau président a dû affronter les premières conséquences d’une crise sanitaire mondiale ayant frappé les Etats-Unis de plein fouet et causant plus de 500 000 morts dans le pays. A cette crise sanitaire s’est également ajoutée une crise économique sans précédent. Enfin, le président Biden est entré en fonctions dans un contexte de polarisation de la société américaine portée à son paroxysme par des évènements tragiques ayant mobilisé bien au-delà des frontières américaines. 
En janvier 2021, plus de 9 millions d’emplois avaient été détruits, dont les plus grandes victimes ont été et sont encore les employés du secteur des services. On a également assisté à une contraction du PIB de l’ordre de 3,5 % sur l’ensemble de l’année 2020, principalement sous l’effet du recul des dépenses de consommation. C’est la pire performance que le pays ait connue, et ce depuis 1946. 
La pandémie a provoqué la mise à l’arrêt de pans entiers de l’économie. A titre d’exemple dans le secteur aérien, la quasi-totalité des Etats ont fermé leurs frontières et, par voie de conséquence, le trafic aérien s’est retrouvé à son niveau de 1950. La fédération représentant les compagnies aériennes (Airlines for America) a noté une réduction de 20% des effectifs depuis le début de la crise sanitaire, ce qui a engendré en cascade de grandes difficultés économiques pour tout l’écosystème du secteur aérien impactant de plein fouet des milliers de sous-traitants. 
Parallèlement à la crise économique, le nouveau gouvernement doit aussi s’atteler à la gestion de la crise sanitaire en termes de santé publique, dans un pays qui tente toujours de mettre en place une assurance médicale accessible au plus grand nombre.  

 

Comment Joe Biden s’y est-il pris pour faire adopter successivement deux plans de relance faramineux alors que Barack Obama s’était retrouvé bloqué par le parti républicain ? 

J-C.B : Joe Biden président est tout à la fois l’homme qui a passé 36 ans au Sénat et qui en connaît le mode de fonctionnement dans ses rapports avec la Maison Blanche, mais qui a aussi l’expérience des difficultés rencontrées lors du plan de relance du président Obama. En effet en 2008, le 44e président des Etats-Unis avait, aidé en cela par Larry Summers et Tim Geithner, respectivement Conseiller aux affaires économiques et Secrétaire au Trésor, lancé un Recovery Act pour combattre la crise. En 2008, le pouvoir politique a dû faire face à l’effondrement du système financier lui-même alors qu’en 2021, ce ne sont pas les marchés financiers qui sont en cause mais une crise sanitaire qui impacte toute l’économie du pays. Par ailleurs, l’administration Obama était confrontée à une opposition républicaine qui considérait que ce Recovery Act ne faisait qu’exploser le déficit fédéral.
D’un autre côté, l’opinion publique américaine avait le sentiment que l’administration Obama ne faisait qu’aider les grands banquiers d’affaires de Wall Street. En d’autres termes, Obama n’était pas parvenu à « vendre » son plan, ce qui d’ailleurs était le sentiment de la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi 
Fort de cette expérience, le président Biden a compris que son levier pour mettre en place son plan de relance consistait dans l’aide à apporter immédiatement aux familles américaines en détresse, frappées de plein fouet par la crise sanitaire. Il fallait que son action parle directement à la population et apporte des résultats immédiats. C’est ainsi que Joe Biden a décidé d’envoyer, dès les premiers jours de sa prise de fonction, des chèques destinés aux ménages les plus démunis. Il a aussi limité les expulsions de logements et facilité l’accès aux soins contre le Covid. Ajoutez à cela un redémarrage de l’économie et vous avez un plan de relance plutôt bien accueilli par l’opinion publique.

 

Le nouveau paradigme incarné par le retour du Big Government au sein de l’économie américaine marque-t-il la fin de l’orthodoxie libérale ? 

J-C.B : L’Amérique des années Reagan est, à bien des égards, très différente de celle de ce premier quart du 21e siècle. Ce qui distingue le débat des années 80 d’aujourd’hui est d’une triple nature.
En premier lieu la désindustrialisation, notamment du Midwest, en faveur de pays tiers tels que la Chine, ainsi que les effets négatifs de la globalisation avec son lot de chômeurs afférents, ont rendu le pays plus vulnérable et sa population moins confiante. Les Etats-Unis sont la première puissance du monde mais ils doivent désormais se battre pour conserver leur leadership face à la Chine.  En deuxième lieu, l’inégalité des richesses s’accroit aux Etats-Unis puisque c’est l’un des pays riches où les inégalités de revenus sont les plus marquées. Le chercheur Chuck Collins a estimé que la fortune des trois familles les plus riches des Etats-Unis a progressé de 6000% en 35 ans, tandis que le revenu médian américain a diminué au cours de la même période. Rappelons également que les 1% des Américains les plus riches perçoivent plus de 20% du revenu national. Enfin, la fracture digitale a également renforcé ce décalage entre ceux qui sont formés et capables d’avoir des revenus en très forte progression et tous ceux qui sont condamnés à multiplier les emplois subalternes pour tenter de survivre. 
Cette fracture économique, qui a des conséquences politiques significatives, a conduit le président Biden, poussé en cela par ses anciens concurrents aux primaires, à l’instar de Berny Sanders ou encore de Elisabeth Warren, à considérer que l’Etat devait avoir une action pour rétablir une véritable égalité des chances entre les citoyens américains. 
D’une certaine manière on peut imaginer que les mesures prises par l’administration Biden sont une remise en cause du néo-libéralisme qui s’est construit contre le New Deal et la Grande société de Lyndon Johnson. Le peuple américain de ce premier quart du 21e siècle demande au gouvernement de le protéger, de lui venir en aide et c’est le rôle d’un Etat plus interventionniste. 
Le président Biden semble se ranger à l’idée que seules des politiques publiques plus audacieuses que par le passé peuvent aider à endiguer la détresse d’un nombre de plus en plus importants de familles américaines et répondre au problème social de l’Amérique. 

 

Finalement, peut-on interpréter ce nouveau paradigme comme un virage à 180° vers l’aile progressiste du parti démocrate ? 

J-C.B : Probablement, mais ce virage avait certainement commencé un peu après les primaires démocrates, sous l’impulsion de personnalités plus connues comme Elisabeth Warren, très influente au sein de l’aile gauche du Parti démocrate et populaire parmi les progressistes. Madame Warren est connue pour ses positions contre les abus de la finance et pour la défense des politiques publiques orientées en matière sociale. On doit aussi ajouter Bernie Senders ou encore Madame Alexandria Ocasio-Cortez, qui est le symbole de cette autre Amérique qui a le sentiment que, sans une volonté politique effective, elle ne vivra jamais le rêve américain.  
Cependant, très habile politique, le nouveau président ne dit pas pour autant qu’il faut prendre aux riches pour donner aux pauvres. Joe Biden sait qu’il dispose d’une courte majorité au Sénat et que par conséquent il doit conserver les centristes bien arrimés à sa majorité ; il parle d’une politique qui doit reposer sur le sens commun (« common sens») à une certaine justice sociale.  En d’autres termes, il considère que le gouvernement doit aider les plus faibles. Il appelle donc au sens commun quand il veut augmenter les salaires fédéraux à 15 USD de l’heure.
Le président Biden sait que la politique est un travail d’équilibre, avec d’un côté son aile gauche et de l’autre son aile droite. Il doit maintenir bien compacte sa majorité afin de passer l’échéance de mi-mandat en 2022. 

 

Quelle est la place de Janet Yellen, Secrétaire au Trésor dans le plan de relance ? 

J-C.B : Pour bien comprendre la place que va avoir la nouvelle Secrétaire au Trésor Janet Yellen, ancienne cheffe économiste au sein de l’administration Clinton, il faut se souvenir qu’elle était déjà intervenue dès mars 2020 pour préciser la politique de la Banque centrale américaine, d’accompagner la crise sanitaire. 
Madame Yellen n’a pas manqué de rappeler que les Etats-Unis ne sont pas confrontés à une crise du système financier. En revanche, avec la crise du coronavirus les marchés financiers ne font que refléter les préoccupations sous-jacentes concernant les dommages potentiels causés par la pandémie de coronavirus. Pour Madame Yellen, tout doit être mis en œuvre pour garantir la disponibilité du crédit en encourageant les banques à travailler avec des emprunteurs souffrant de pertes de revenus temporaires, et à baisser les taux d’intérêts. 
Par ailleurs, la Secrétaire d’État au Trésor est très favorable à l’augmentation des impôts sur les sociétés pour financer le renouvellement des infrastructures. Elle souhaite arrêter l’escalade de la réduction d’impôts car c’est un élément important du plan de relance. En outre, Janet Yellen considère que l’instauration d’un taux minimum mondial pour l’imposition des sociétés permettrait de mettre un terme au nivellement par le bas observé depuis une trentaine d’années sur cette fiscalité.
Par conséquent, nous avons la conviction que la Secrétaire au Trésor sera désormais la conscience politique des orientations économiques et monétaires au sein du gouvernement Biden. Comme experte des questions économiques, Madame Yellen doit s’assurer de l’effectivité des mesures qui sont prises et de leur bonne perception par l’opinion publique américaine qui attend des résultats.  

À SUIVRE … 

 

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