logo_blanc
Rechercher

Kam Ghaffarian : le milliardaire qui coopère avec la NASA pour retourner sur la Lune

GhaffarianImage générée en 3D d’un astronaute abstrait marchant sur la surface de la Lune. Getty Images

Kam Ghaffarian n’est pas un nom connu de tous. Contrairement à Elon Musk et Jeff Bezos, qui ont d’abord fait fortune ailleurs, Kam Ghaffarian est devenu riche en visant les étoiles. Son projet à long terme ? La première station spatiale à but lucratif, qui ouvrira ses portes en 2031.

Un article de Giacomo Tognini pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

La liste des entreprises fondées par M. Ghaffarian se lit comme les pages d’un roman de science-fiction : Axiom Space construit la première station spatiale commerciale au monde en partenariat avec la NASA et a également conçu la prochaine génération de combinaisons spatiales pour les astronautes. « La prochaine fois que vous verrez des astronautes marcher sur la surface de la lune, ils porteront des combinaisons spatiales d’Axiom Space », ajoute-t-il. Intuitive Machines construit des atterrisseurs lunaires et en enverra un au pôle sud de la lune en janvier (si les conditions météorologiques le permettent), l’un des nombreux lancements qu’elle prévoit pour ouvrir la lune aux missions commerciales. Quantum Space crée une « autoroute spatiale » qui permettra aux engins spatiaux de se ravitailler et de voyager dans la région située entre la Terre et la Lune. Enfin, sur notre planète, X-Energy fabrique de petits réacteurs nucléaires perfectionnés (et à l’épreuve de la fusion) qui peuvent alimenter aussi bien une base militaire éloignée que l’usine de produits chimiques de Dow sur la côte du golfe du Texas, d’une superficie de près de 2 000 hectares. C’est délirant, en effet. Mais toutes les entreprises ont un objectif commun, selon M. Ghaffarian. « Nous devons devenir une espèce multiplanétaire et être capables d’aller vers d’autres étoiles. Mais pour le moment, nous n’avons qu’une seule maison », déclare-t-il. « En résumé, nous devons prendre soin de notre foyer actuel et en trouver un nouveau », ajoute-t-il, amusé.

L’industrie spatiale est dominée par des magnats plus grands que nature qui ont injecté de l’argent dans des fusées, des rovers et des voyages en orbite. À 65 ans, M. Ghaffarian est un exemple rare car il est devenu milliardaire en grande partie grâce à ses activités spatiales, contrairement à Elon Musk, Jeff Bezos et Richard Branson qui ont rejoint ce secteur après avoir fait fortune. La clé de cette réussite ? La culture, selon lui. Mais dans un secteur qui pèse 546 milliards de dollars (495 milliards d’euros) et qui est toujours dirigé par le gouvernement américain, selon l’organisation à but non lucratif Space Foundation, il s’agit plutôt de contrats.

« Personne ne peut rivaliser avec Kam Ghaffarian pour gagner, sur une base concurrentielle, des dollars du gouvernement américain », ajoute J. Clay Sell, PDG de X-Energy et ancien secrétaire adjoint à l’Énergie des États-Unis.

 

Evaluée à 2,1 milliards de dollars

M. Ghaffarian a déjà une longue liste de clients commerciaux, dont le système de santé Cedars-Sinai (pour la recherche sur les cellules souches en microgravité), le producteur de champagne G.H. Mumm (bulles conçues pour être dégustées dans l’espace) et le conglomérat japonais Mitsui, qui a également conclu un partenariat avec Axiom Space. Viennent ensuite les gouvernements étrangers, comme le Canada et l’Arabie saoudite, ainsi que les particuliers qui paieront pour accéder à l’espace : l’entreprise a déjà réalisé avec succès deux missions entièrement privées avec équipage vers la Station spatiale internationale (ISS) avec SpaceX d’Elon Musk en avril 2022 et en mai dernier, la première avec trois astronautes commerciaux et la seconde accueillant deux astronautes saoudiens. Au mois d’août, l’entreprise affirmait avoir obtenu plus de 2,2 milliards de dollars (2 milliards d’euros) de contrats avec ses clients.

Ces antécédents l’ont aidé à séduire les investisseurs. En août, Axiom Space a levé 350 millions de dollars (317 millions d’euros) supplémentaires lors d’un tour de table mené par Aljazira Capital (Arabie saoudite) et Boryung (Corée du Sud) ; l’entreprise est évaluée à 2,1 milliards de dollars (1,9 milliard d’euros), selon les documents déposés par un autre bailleur de fonds, ARK Invest. Le même mois, Intuitive Machines – qui s’est introduite sur le Nasdaq en février par l’intermédiaire d’une SPAC – a conclu un investissement privé de 20 millions de dollars (18,1 millions d’euros), renforçant ainsi ses finances après des débuts difficiles en tant qu’entreprise publique. X-Energy, qui compte parmi ses investisseurs la société de capital-investissement Ares Management, était évaluée à environ 1,1 milliard de dollars (998 millions d’euros) en septembre. La partie la plus récente et la plus modeste de sa fortune est liée à Quantum Space, qui a levé 15 millions de dollars (13,6 millions d’euros) en décembre. Au total, Forbes estime que la fortune de M. Ghaffarian vaut 2,2 milliards de dollars (2 milliards d’euros), principalement grâce à ses participations dans ses entreprises spatiales et nucléaires. C’est une belle réussite pour un immigrant iranien qui a débarqué à Washington en 1976 grâce à un prêt de 2 000 dollars (1 800 euros) accordé par son oncle pour aller étudier à l’université.

 

Un astéroïde

« Les gens pensent à Bezos, Musk, Branson, et à juste titre », explique Chris Stott, fondateur et PDG de Lonestar Data Holdings, qui s’est associé à Intuitive Machines pour stocker des données sur la surface lunaire. « Ils devraient également ajouter Kam Ghaffarian à cette liste parce qu’il en fait autant et qu’il s’est montré très intelligent en tirant parti de tout ce que Bezos et Musk font. » M. Ghaffarian est peut-être un astéroïde dans une grande galaxie comparé à eux, qui déploient des milliards de dollars. Mais il considère ces magnats moins comme des concurrents que comme des partenaires : « J’ai beaucoup de respect pour Elon et la directrice de l’exploitation de SpaceX Gwynne Shotwell, ce sont des amis formidables. Jeff Bezos, c’est la même chose », déclare-t-il.

À l’instar de ces autres entrepreneurs de l’espace plus connus, le milliardaire iranien a des projets beaucoup plus audacieux. L’objectif immédiat de la construction de la première station spatiale commerciale et des atterrisseurs lunaires est de réduire les coûts d’entrée dans l’espace, de la même manière que les fusées réutilisables de SpaceX ont rendu le lancement des missions moins cher, plus facile et plus rapide.

« Mais ce n’est qu’un début. À plus long terme », dit-il, « notre destin ultime est que la race humaine devienne interstellaire ».

« La première étape est l’orbite terrestre basse, c’est-à-dire la station spatiale. Puis la lune, avec des atterrisseurs et un avant-poste humain. Et ensuite ? Des technologies capables d’aller au-delà de notre système solaire. »

Les rêves de M. Ghaffarian remontent à son enfance dans l’ancienne ville d’Ispahan, en Iran, où il aimait regarder les étoiles. Dans la nuit du 20 juillet 1969, le jeune homme, alors âgé de 11 ans, s’est assis devant le téléviseur noir et blanc de la maison de son voisin et a regardé Neil Armstrong et Buzz Aldrin devenir les premiers êtres humains à marcher sur la lune. « C’était vraiment un bouleversement », se souvient-il. « C’est ce qui m’a fait comprendre que c’était ce que je voulais faire. »

La dernière mission américaine sur la lune a eu lieu en 1972. Quatre ans plus tard, M. Ghaffarian s’envole pour Washington D.C. afin d’étudier à l’université catholique d’Amérique. La nuit, il garait des voitures dans le centre-ville pour rembourser sa dette tout en obtenant un double diplôme en informatique et en ingénierie. Il a obtenu son diplôme en 1980, un an après la révolution iranienne.

 

Passer des contrats avec les pouvoirs publics 

Son premier emploi à la sortie de l’université était chez Compucare, une société informatique basée en Virginie, aux États-Unis, tout en poursuivant ses études avec un diplôme d’ingénieur en électronique et un master en gestion de l’information. La première incursion de M. Ghaffarian dans l’industrie spatiale a eu lieu en 1983, lorsqu’il a été engagé par le géant de l’aérospatiale Lockheed, puis par Ford Aerospace, où il a continué à travailler sur des contrats pour la NASA et le gouvernement fédéral. En 1994, il s’est mis à son compte avec Harold Stinger, qu’il avait rencontré chez Lockheed. Les deux hommes ont fondé une société appelée Stinger Ghaffarian Technologies avec l’aide d’un programme fédéral d’aide aux entreprises détenues par des minorités. Leur premier bureau se trouvait dans le sous-sol de Kam Ghaffarian.

« Nous avons décidé d’ouvrir notre propre entreprise en faisant la même chose, c’est-à-dire en passant des contrats avec les pouvoirs publics », explique-t-il. « J’ai hypothéqué une maison et rassemblé 250 000 dollars (227 000 euros), et c’est ainsi que nous avons démarré. »

En 2006, SGT est devenu le 20e contractant de la NASA, avec 100 millions de dollars (90,8 millions d’euros) de contrats de services d’ingénierie et de soutien aux missions. Trois ans plus tard, il a racheté la participation de M. Stinger. Chris Quilty, fondateur et codirecteur général de la société d’études de marché Quilty Space, explique : « Il possède les compétences nécessaires pour conclure des contrats avec le gouvernement. Et comme il s’agit intrinsèquement d’un marché gouvernemental, c’est un ensemble de compétences très important à avoir. »

Autre compétence : sa capacité à convaincre les vétérans de la NASA de le rejoindre dans le secteur privé. Les entreprises de M. Ghaffarian comptent au moins 18 anciens de la NASA, qui apportent leur expérience de l’administration et convainquent les investisseurs qu’elles peuvent réussir sur un marché de plus en plus encombré. En 2013, il s’est associé à Stephen Altemus, l’ancien directeur adjoint du Centre spatial Lyndon B. Johnson de la NASA à Houston, qui a dirigé les alunissages Apollo, pour lancer Intuitive Machines. Trois ans plus tard, il a convaincu Michael Suffredini, qui a dirigé le programme de la Station spatiale internationale de la NASA pendant une décennie, de le rejoindre pour fonder Axiom Space.

« Je l’ai appelé et lui ai dit : « Kam, la seule chose que je sais faire, c’est construire et exploiter une station spatiale » », raconte M. Suffredini à propos d’un appel téléphonique qu’il a eu avec M. Ghaffarian peu de temps après avoir quitté la NASA. Le milliardaire d’origine iranienne l’a rappelé le lendemain pour lui annoncer : « Allons construire une station spatiale ».

« C’est l’élément le plus important et c’est clairement un avantage concurrentiel », déclare Kurt Scherer, associé directeur de la société d’investissement C5 Capital, basée à Washington, D.C., qui a investi dans Axiom Space et dans son entreprise de réacteurs nucléaires X-Energy, fondée par M. Ghaffarian en 2009.

 

Décollage

Les antécédents du milliardaire iranien en matière d’obtention de contrats auprès de la NASA – il affirme que SGT avait un taux de réussite de 80 %, alors que la moyenne du secteur est inférieure à 50 % – ont aidé Axiom Space et Intuitive Machines à remporter des appels d’offres importants, depuis les combinaisons spatiales jusqu’au programme lunaire commercial. « Cette capacité à répondre à des appels d’offres et à les remporter est notre recette secrète », ajoute-t-il. Même X-Energy est actif dans l’espace : L’année dernière, une coentreprise avec son entreprise Intuitive Machines a remporté un contrat de 5 millions de dollars (4,5 millions d’euros) auprès de la NASA et du département de l’Énergie des États-Unis pour la conception d’un réacteur nucléaire portable pour la surface lunaire.

Tous ces projets nécessitent des investissements. C’est pourquoi M. Ghaffarian a vendu SGT en 2018 à KBR, une société cotée en bourse, pour 355 millions de dollars (322 millions d’euros), ce qui lui a donné les liquidités nécessaires pour faire avancer ses autres projets. « Il y a des moments où je me dis que je n’aurais peut-être pas dû vendre, parce que SGT était une entreprise qui générait des flux de trésorerie incroyables. Mais il s’agit d’entreprises technologiques », explique-t-il en citant Axiom Space, Intuitive Machines et X-Energy. « Il faut y investir beaucoup d’argent. »

Les fonds d’amorçage n’ont qu’une portée limitée dans l’espace, et M. Ghaffarian a réussi à convaincre des investisseurs fortunés d’engager les fonds nécessaires pour faire décoller ces entreprises. « Kam est l’une des rares personnes à avoir la capacité de voir un avenir grand, audacieux et ambitieux et à pouvoir amener beaucoup de gens à croire en cette vision », déclare Dakin Sloss, fondateur et partenaire général de la société de capital-risque Prime Movers Lab, basée à Jackson, dans le Wyoming, qui a investi dans Axiom Space et Quantum Space.

Les marchés publics n’ont pas été aussi cléments que les bailleurs de fonds privés. X-Energy a mis fin à sa fusion SPAC avec Ares Acquisition Corporation en octobre, un mois après avoir revu son évaluation à la baisse de 42 %. L’action d’Intuitive Machines a chuté de 70 % depuis ses débuts en bourse, les investisseurs ayant intégré les retards du premier lancement lunaire de l’entreprise. Initialement prévu pour novembre – ce qui aurait fait de M. Ghaffarian le premier à ramener l’Amérique sur la lune depuis 1972 – il a été repoussé à janvier en raison de la « congestion de l’aire de lancement » à Cap Canaveral.

 

Vivre dans une station spatiale 

Et la concurrence est féroce dans tous les domaines. Dans l’industrie nucléaire, TerraPower de Bill Gates, qui fabrique un réacteur pilote plus grand que celui de X-Energy, a également remporté un contrat du département de l’énergie des États-Unis en même temps que l’entreprise de M. Ghaffarian en 2020. Dans le domaine des stations spatiales, Axiom Space devra également faire face à Blue Origin et Sierra Space, fondée par le couple de milliardaires Eren et Fatih Ozmen, ainsi qu’aux titans de l’industrie Lockheed Martin et Northrop Grumman, qui s’associent à Voyager Space, basée à Denver, et à d’autres start-ups, dont Vast, du milliardaire Jed McCaleb. Outre Astrobotic et Blue Origin, la startup japonaise iSpace prévoit une deuxième mission sur la lune en 2024, après que son premier atterrisseur s’est écrasé sur la surface lunaire en avril dernier en raison d’un problème de logiciel.

Kam Ghaffarian n’est pas inquiet, car il envisage un avenir où il y aura plus qu’assez d’affaires pour de multiples petits réacteurs nucléaires, des stations spatiales et des entreprises transportant des charges utiles sur la lune. « La concurrence est saine. Elle rend plus créatif et plus innovant », affirme-t-il. Ses investisseurs sont d’accord : « Nous voulons encourager les concurrents, car ce marché est appelé à se développer », ajoute M. Scherer, de C5 Capital.

Le projet le plus ambitieux du cofondateur d’Axiom Space est le Limitless Space Institute (LSI), une organisation à but non lucratif dont il dit avoir eu l’idée lorsqu’il était chez lui en train de méditer et de réfléchir à l’univers. (Basé à Houston, l’institut, également dirigé par des vétérans de la NASA, travaille en partenariat avec des écoles et des universités et finance la recherche sur les technologies qui pourraient un jour permettre les voyages interstellaires, qu’il s’agisse de vaisseaux spatiaux alimentés par la fusion (théoriquement possible, mais loin d’être une réalité) ou de « moteurs spatiaux, de trous de ver et de déformations de l’espace » (encore entièrement conceptuels).

M. Ghaffarian ne sera probablement pas là si l’un de ces projets se concrétise. Mais il envisage un avenir proche où l’homme vivra à plein temps dans une station spatiale et sur la lune. La prochaine étape de cette vision est le lancement d’Intuitive Machines vers la lune en janvier. Puis viendra la prochaine mission d’astronautes d’Axiom Space, également prévue pour le début de l’année prochaine. La première section de la nouvelle station spatiale devrait être fixée à l’ISS en 2026 – Axiom Space est la seule entreprise à pouvoir y connecter ses modules – et l’ensemble de la structure devrait être opérationnel en 2031, date à laquelle l’ISS sera mise hors service.

« Dans 10, 15 ou 20 ans, j’espère que nous aurons un endroit dans l’espace où les gens pourront se rendre et vivre », déclare-t-il. « Ce serait un très bon moyen de poursuivre l’exploration de l’espace par l’homme. »

Pour Kam Ghaffarian, la construction d’une station spatiale et d’un atterrisseur lunaire n’a jamais été motivée par le seul souci de s’enrichir, même si les investissements qu’il a réalisés dans ces domaines l’ont aidé à devenir très riche.

« Je ne voulais pas que ma vie se résume à gagner plus d’argent », explique-t-il en se remémorant le moment où il a vendu sa première entreprise. « Je voulais que ma vie se résume à faire la différence, à changer le monde pour le rendre meilleur. »

 

À lire aussi : COP28 : Les objectifs climatiques de l’Europe incluront-ils l’énergie solaire spatiale ?

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC