Le Premier ministre Sébastien Lecornu, récemment nommé à Matignon et déjà fragilisé par une majorité parlementaire précaire, pourrait jouer sa survie politique sur une question hautement symbolique : la taxation des milliardaires. Les socialistes conditionnent leur soutien au budget 2026 à l’instauration d’une « taxe Zucman » du nom de l’économiste qui la promeut. Cet impôt de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros viserait environ 1 800 foyers ultra-riches et divise profondément la classe politique.
D’un côté, la mesure bénéficie d’un soutien massif dans l’opinion publique : 86 % des Français, et même 92 % des sympathisants macronistes, y sont favorables selon un sondage Ifop. De l’autre, elle suscite une levée de boucliers dans les rangs de la droite et du patronat, qui y voient un risque de fuite des capitaux et un frein à l’investissement productif.
La taxe Zucman s’inscrit dans un contexte budgétaire particulièrement délicat, avec un déficit public estimé à 5,4 % du PIB, le plus élevé de la zone euro. Ses partisans estiment qu’elle pourrait rapporter jusqu’à 20 milliards d’euros par an, une manne précieuse pour rétablir l’équilibre des finances publiques. Ses détracteurs jugent ce chiffre irréaliste et l’évaluent plutôt à 5 milliards, tout en alertant sur les conséquences économiques d’un exil fiscal massif. Sept économistes, dont Philippe Aghion et Xavier Jaravel, ont publié une tribune dans Le Monde pour mettre en garde contre ces risques.
Divisions politiques marquées
Sur le plan politique, la taxe Zucman pourrait être le sujet de l’automne. Elle est soutenue pour tous les groupes de gauche, de LFI au PS, en passant par les Verts qui avaient déposé un projet de loi en ce sens à l’Assemblée nationale avant que celui-ci ne soit rejeté au Sénat. Le parti à la rose a même inscrit cette taxe dans son contre-budget présenté fin août. Cette unité donne un poids inédit aux socialistes dans les négociations budgétaires.
Du côté du bloc central – Renaissance, MoDem et Horizons –, chacun rejette sans ambiguïté la mouture actuelle de la taxe. Mais après la chute de deux Premiers ministres sur ce dossier, tous ont désormais intégré qu’il sera impossible d’éviter la question sensible de la fiscalité des « ultrariches ». « C’est un vrai sujet pour atteindre un objectif d’équité en matière de fiscalité, mais il y a d’autres mécanismes », pointe la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet dans Les Échos. Concrètement, Bercy travaille depuis plusieurs mois sur différentes pistes comme une contribution progressive sur le patrimoine ou une fiscalité ciblant les holdings.
À droite, l’opposition à la taxe est encore plus frontale :
« Si demain une politique devait être faite pour satisfaire la gauche, si demain on devait instituer la taxe Zucman […] avec cette taxe-là, nos propres entreprises pourraient s’enfuir, on pourrait assister à une délocalisation. Donc sans doute dialoguer, mais pas au mépris des intérêts supérieurs de notre pays », a estimé le président des Républicains, Bruno Retailleau.
Le parti est hostile à toute forme de hausse de la fiscalité et presse pour une réduction de la dépense publique. La position du RN est beaucoup plus ambiguë. Si le parti d’extrême droite a plusieurs fois annoncé vouloir mettre les plus riches à contribution, il s’oppose à la taxe Zucman.
« Une taxe qui ne s’appliquerait que la première année, car la suivante tout le monde serait parti ? Non. La taxe Zucman est inefficace, injuste et dangereuse puisqu’elle entraverait le développement de nos entreprises », a expliqué Marine Le Pen dans une interview à Sud-Ouest.
Cette prudence traduit la volonté du RN de séduire le patronat tout en ne froissant pas sa base électorale.
Budget 2026 : une échéance décisive
Le 7 octobre, Sébastien Lecornu présentera le projet de loi de finances 2026. Il devra arbitrer entre maintenir l’équilibre politique fragile qui lui permet de gouverner et préserver l’attractivité économique du pays. Si le nouveau Premier ministre a déjà fermé la porte à la formule Zucman, il sait qu’il devra faire des concessions en termes de justice fiscale pour faire adopter le Budget.
L’imposition des grandes fortunes devrait être au cœur des négociations avec les socialistes. Si les roses réclament la mise en place de cette taxe, ils se sont montrés ouverts aux discussions avec le gouvernement. « S’ils sont en capacité d’inventer une autre taxe qui aurait les mêmes effets, je suis prêt à le regarder », a concédé sur Franceinfo Olivier Faure, le premier secrétaire du PS. Certaines voix, comme le député Boris Vallaud, plaident déjà pour exempter les start-up très valorisées, mais encore peu rentables, afin de protéger l’écosystème entrepreneurial français.
Au-delà du débat politique et économique, la taxe pourrait être contestée devant le Conseil constitutionnel. Ses opposants estiment qu’elle cible un groupe trop restreint et pourrait être considérée comme « confiscatoire ». Gabriel Zucman affirme au contraire qu’elle respecte le principe d’égalité devant l’impôt inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme de 1789. Un éventuel bras de fer juridique pourrait prolonger l’instabilité politique et retarder la mise en œuvre de la réforme.
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