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« Start-up Nation » La Marche Contrariée D’Emmanuel Macron

Getty Images

Chantre de la « start-up nation », concept porté aux nues et mis en avant souvent de manière excessive, Emmanuel Macron, s’il a multiplié les initiatives et les rencontres ces derniers mois avec les géants de la Tech mondiale, peine néanmoins à transformer l’essai dans l’Hexagone. Alors, la « start-up nation » made in France a-t-elle déjà du plomb dans l’aile ?

Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. Une « maxime » du poète français Pierre Reverdy qui sied parfaitement à la situation de la « start-up nation » que le chef de l’Etat appelle de ses vœux, adoptant même la posture du « CEO de la maison France ». En attendant les « preuves d’amour » aux entrepreneurs et autres parties prenantes d’un écosystème en constante ébullition, Emmanuel Macron n’est pas avare en déclarations. Lui qui, pour la petite histoire, avant de se lancer dans la « longue marche vers l’Elysée », avait pour projet de monter sa propre start-up (une EdTech) avec son comparse Julien Denormandie. Mais le destin en a décidé autrement, le propulsant rue du Faubourg Saint-Honoré, et nommant son fidèle compagnon de route au gouvernement. Mais ce « tropisme » pour l’entrepreneuriat et sa véritable connaissance du sujet, à l’inverse de ces prédécesseurs, laissaient augurer des lendemains qui chanteraient pour les jeunes pousses françaises. Force est de constater qu’Emmanuel Macron a multiplié les initiatives et les rencontres pour poser les jalons de cette « start-up nation », en voulant des synergies avec les puissances régnantes de la Tech mondiale.

Dès janvier 2018, l’ancien ministre de l’Economie lançait ainsi, sous les ors du château de Versailles, l’initiative « Choose France », un appel audacieux pour convaincre multinationales et investisseurs de « miser sur la France ». Au menu pour le chef de l’Etat : une série d’entretiens avec Sheryl Sandberg (Facebook), Sundar Pichai (Google), Vasant Narasimhan (Novartis) et Bill McDermott (SAP). Deuxième banderille le 23 mai 2018, à la veille du salon VivaTech, et le sommet « Tech For Good » où Mark Zuckerberg ou encore Satya Nadella, de Microsoft, étaient conviés à réfléchir sur « des projets à visée sociale ». Le lendemain, pour l’inauguration de VivaTech, Emmanuel Macron se lançait dans un long laïus enflammé, vantant les mérites de la France, future place forte de la Tech mondiale. « Ni le modèle américain, où la régulation n’est pas soutenable faute d’implication politique, ni le modèle chinois de surrégulation ne permettront aux entreprises de répondre aux nouveaux défis, notamment éthiques ». Et d’ajouter, fort de ce postulat : « Faisons de ce pays la nouvelle porte d’entrée pour cette nouvelle régulation ». Fin de citation.

Une image redevenue positive à l’étranger 

De « belles paroles » certes, mais pour quel résultat ?« L’image de la France est redevenue extrêmement positive à l’étranger sur l’entrepreneuriat, la prise de risque, la réussite, la volonté d’embrasser la révolution technologique», abondait, auprès de l’AFP, Gaël Duval, patron de la conciergerie JeChange.fr et créateur de la French TouchConference, un réseau d’aide à l’internationalisation des start-up. Si la mise en condition d’une « start-up nation » est incontestablement sur les rails, sa sortie de terre n’est pas manifeste. Mais Nicolas Hazard, président de l’INCO (ex-comptoir de l’innovation) et auteur de l’ouvrage « la Ruée vers les Licornes », réclame de l’indulgence. « Nous attendons maintenant des actes concrets. Et je suis persuadé qu’il y en aura, au regard de la motivation et de l’enthousiasme du chef de l’Etat à ce sujet ». Et de glisser quelques pistes de réflexion pour aboutir plus rapidement à la doléance présidentielle. « Aujourd’hui, les hommes blancs issus de grandes écoles constituent la très grande majorité des créateurs d’entreprises. Nous passons ainsi à côté d’énormément de profils qui auraient également vocation à entreprendre. Cela me semble être une réflexion intéressante à mener, tout comme l’implication de davantage de femmes dans l’entrepreneuriat ».

Le manque de licornes françaises (seulement trois entreprises valorisées à plus d’un milliard d’euros en France, à savoir Criteo, Vente-privée et BlaBlaCar) peut-il également constituer un frein à l’émergence d’une start-up nation ? Un faux débat pour Nicolas Hazard. « Pour moi ce n’est pas le problème principal. Si une licorne, certes valorisée à un milliard, ne crée pas d’emploi et n’apporte rien à l’économie française, si ce n’est le prestige d’en posséder une en France, où sont l’intérêt et la plus-value ? Si c’est cela la manière d’œuvrer à l’émergence d’une ‘start-up nation’, nous faisons fausse route ». Autre aspect contrariant la volonté élyséenne, la frilosité des investisseurs qui fait, malgré tout, encore office d’écueil pour pléthore d’initiatives. « En France, la peur de l’échec est encore prédominante. Il convient donc, ici aussi, de développer la culture de la prise de risques avec des outils financiers adaptés, par exemple. Le processus entrepreneurial n’est pas gage de succès à 100%. L’échec fait partie intégrante de l’entrepreneur. C’est peut-être encore ce qui fait défaut à la France pour devenir une véritable « start-up nation », explique Nicolas Hazard. Si les obstacles sont encore légion, La France dispose néanmoins de tous les atouts pour devenir cette « terre promise », à l’instar d’Israël (voir ci-dessous), pour les entrepreneurs. Encore un effort, Monsieur le président !

Israël, la terre promise ?

Loué de toutes parts et porté au pinacle, l’Etat hébreu peut se targuer de faire office de « fer de lance » de la « start-up nation » depuis déjà une dizaine d’années. Un modèle pour la France ? 6 000. C’est le nombre de jeunes pousses disséminées au sein d’un territoire dont la superficie est légèrement inférieure à celle de la Lorraine. Ce qui, rapporté à une population de 8 millions d’âmes, fait d’Israël le leader mondial en termes de start-up par habitant. Mais avant de vouloir « transposer » ce modèle à la France, il convient de prendre en compte quelques spécificités locales. Par exemple, chaque israélien doit servir dans l’armée pour au minimum une période de deux années. Et l’armée, selon l’ouvrage « Isräel, la nation start-up », paru en 2009 et signé par Dan Senor et Saul Singer, fait office d’étape presque incontournable dans le processus de création d’une start-up. « C’est de l’armée que sortent la plupart des énergies créatives du pays, c’est donc un véritable incubateur pour les start-up hightech », précisent les auteurs de ce best-seller.

« Faire l’armée en Israël ne consiste pas à crapahuter dans les montagnes avec son fusil, mais surtout apprendre à coder au niveau militaire et mener des travaux de renseignement. Tout cela pour vous dire qu’un ingénieur ou un développeur de très haut niveau en Israël peut se trouver à chaque coin de rue ou presque », appuie Nicolas Minvielle, coauteur de l’ouvrage « Accélération dans les coulisses de l’hypercroissance », également professeur à Audencia et directeur du Mastère Spécialisé Marketing Design et Création. En outre, les pouvoirs publics locaux ont depuis longtemps pris la mesure de l’importance d’une politique incitative pour permettre aux start-up de se développer dans les meilleures conditions. Un seul chiffre pour attester de cette « créativité débordante » : l’Etat hébreu investit 4,3% de son PIB dans la R&D soit près de deux fois plus que la France (« seulement » 2,2%). Sur le front géopolitique, le pays est entouré d’adversaires politiques. Un « isolement » qui a enjoint les Israéliens à regarder au-delà des frontières en s’intéressant de près aux technologies de communications. Et le « boycott arabe » a également permis à Israël de s’intéresser à des marchés plus éloignés et ainsi peaufiner sa « proposition de valeur ». Ou comment faire de ses faiblesses initiales de véritables atouts. 

La Suède, terre de « licornes »

Volontiers cité en exemple durant la seconde moitié du XXe siècle, le fameux « modèle suédois » de l’Etat Providence a, semble-t-il, vécu. La Suède a, depuis, « habilement pivoté » et érigé un nouveau modèle à destination des start-up locales qui disposent de conditions idoines pour s’épanouir et devenir des « licornes ». Suède 7 – France 3. Non, il ne s’agit pas de résultat d’un match de de football opposant les Bleus aux « Blagult » (bleu et or) suédois, mais du nombre de « licornes » – ces start-up non cotées dont la valorisation dépasse le milliard de dollars – que chaque pays abrite en son sein. Rapporté à sa population de 10 millions d’habitants, le contingent de licornes suédoises est le plus important, juste derrière l’indéboulonnable Silicon Valley. En dépit de ces contingences comptables, une chose est certaine : l’Europe est loin du compte par rapport aux Etats-Unis et la Chine qui font office de puissances régnantes en la matière. Ainsi, 41% des licornes sont américaines tandis que 37% d’entre elles battent pavillon chinois.

En matière de potentiel « Titan » – sociétés cotées ou non, créées après 2000, dont la valorisation atteint les 50 milliards de dollars – le Vieux Continent n’entrevoit pas l’ombre d’un espoir. Même Spotify, récemment coté en Bourse, doit espérer quadrupler ses revenus pour intégrer ce « saint des saints » qui est très clairement un mirage aujourd’hui. Pourtant, le service de streaming scandinave peut faire office de modèle pour un écosystème français, certes en progression, mais néanmoins encore un peu « tendre » pour jouer dans la cour des grands. La Suède, peut-être encore davantage que la France à l’heure actuelle, est un terreau particulièrement fertile pour toute entreprise désireuse de croître à vitesse grand V. Du point de vue réglementaire – l’une des pommes de discorde de notre modèle français en l’état -, le royaume brille par son agilité… et un taux d’imposition sur les sociétés ayant fondu à 22% contre 58% aux prémices des années 1990. Autres indicateurs révélateurs de la volonté suédoise de faire la part belle à ces géants en devenir, Stockholm consacre 3,2% de son PIB en R&D (contre 2,25% en France) et le pays est également dans le Top 10 mondial en termes de brevets déposés. Une volonté d’innover tous azimuts qui porte ses fruits.

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