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L’Iran A-T-Il Abattu Le Vol Téhéran-Kiev Par Erreur ?

IranCrédit photo : Getty Images

Mercredi, un avion de ligne ukrainien s’est écrasé en Iran alors qu’il venait de décoller de l’aéroport international Imam-Khomeini de Téhéran en direction de Kiev.

Pour les bases de lutte antiaérienne, le b.a.-ba est de savoir faire la distinction entre les avions alliés et ennemis. Mais dans un climat d’alerte élevé, résultant du lancement de missiles sur des bases américaines en Irak, une unité de défense aérienne iranienne semble avoir échoué à sa mission. Certains militaires contactés par Forbes ont qualifié cet échec de « déconcertant ».

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a déclaré ce jeudi avoir la preuve que l’avion de ligne de la compagnie Ukraine International Airlines avait été abattu par un missile surface-air iranien. Les 176 personnes à bord sont décédées, et on compte 63 Canadiens parmi les victimes. Cette accusation fait écho aux rapports de multiples organismes de presse qui affirment, selon des sources anonymes, que les responsables du renseignement américain sont arrivés à la même conclusion. Les autorités iraniennes ont quant à elle nié avoir abattu l’avion en question.

Les responsables des services de renseignements occidentaux soupçonnent que deux missiles ont été tirés sur l’avion par une batterie antiaérienne SA-15 Gauntlet, aussi connue sous le nom de Tor M1. Il s’agit d’un système mobile à courte portée, de fabrication russe, qui peut accompagner des unités d’infanterie et fournir une dernière ligne de défense pour des infrastructures clefs ou des installations militaires contre des avions à basse altitude, des hélicoptères et des missiles de croisière. Monté sur un véhicule à chenilles ou sur un camion, le Tor M1 peut être utilisé seul ou avec plusieurs lanceurs reliés à un poste de commandement. Il peut tirer des missiles avec une petite ogive contenant 14 kg d’explosifs, conçue pour pulvériser sa cible avec des fragments de métal.

Des experts de la défense ont affirmé à Forbes qu’une batterie SA-15 opérationnelle aurait eu à sa disposition plusieurs moyens pour identifier le vol PS 752 de la compagnie Ukrainian International Airways comme un avion civil. Le radar aurait d’ailleurs dû montrer que le Boeing 737-800 se trouvait sur une trajectoire de vol couramment empruntée en direction du nord-ouest de l’aéroport. David Deptula, lieutenant général de l’armée de l’air américaine à la retraite et directeur du Mitchell Institute for Aerospace Studies, nous explique que si l’avion avait été en route vers le pays, il aurait été plus facile d’expliquer l’erreur d’identification le concernant. Il déclare : « De nombreuses questions demeurent quant au pourquoi du comment de cet incident ».

Le Boeing 737-800 transmettait un code d’identification de transpondeur unique. Si l’équipement du SA-15 destiné à recevoir ce code n’est pas fonctionnel, les agents sont censés consulter les horaires du trafic aérien dans la région pour voir si l’appareil correspond à un vol régulier, poursuit David Deptula. Mais le facteur qui a pu changer la donne est que le vol PS 752 avait été retardé de près d’une heure par rapport à son horaire de départ prévu, et il a décollé à 6 h 12.

Les agents du SA-15 auraient, semble-t-il, également pris en compte la trajectoire et la vitesse de l’avion sur le radar. David Deptula explique que dans ce cas il faut se poser les questions suivantes : « Est-ce qu’il vole à basse altitude, à grande vitesse, en direction d’une zone sensible ? » Le vol PS 752 volait aux alentours de 2 500 m de hauteur à une vitesse relativement faible de 500 km/h lorsque les données de suivi de vol de son transpondeur ont été coupées. L’ancien lieutenant général affirme que ce profil est tout à fait normal pour un avion de ligne : « Il a quitté la zone, est monté à une altitude moyenne, n’a pas essayé pas de cacher sa signature, et ressemblait en tous points à un vol de routine ».

Mais deux éléments auraient compliqué la prise de décision des soldats : l’heure et le climat d’alerte élevé.

Les missiles du SA-15 ont une portée relativement courte, de 9,5 à 12 km, et peuvent détecter des cibles à une distance de 18 à 21 km. On ignore si l’Iran a intégré ses batteries de missiles sol-air à son réseau de défense aérienne. Si l’unité en question était indépendante, alors à la vitesse à laquelle l’avion se déplaçait, les soldats ont sans doute eu une fenêtre comprise entre 30 secondes à 2 minutes 30 pour décider de lancer un intercepteur. C’est en tout cas ce qu’affirme Carlo Kopp, cofondateur du groupe de réflexion Air Power Australia.

Étant donné que l’Iran avait tiré des missiles sur deux bases américaines en Irak quelques heures plus tôt, en représailles à l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani, les forces de défense aérienne iraniennes avaient sans doute des consignes plus souples en prévision d’une éventuelle contre-attaque. Sous la pression psychologique et la fatigue, et après avoir été en état d’alerte pendant les cinq jours suivant la mort du général, les militaires ont décidé de lancer la frappe.

Par ailleurs, le manque d’expérience des soldats a pu également entrer en jeu. En effet, les défenses aériennes iraniennes n’ont pas été testées depuis la guerre Iran-Irak et le niveau d’entraînement des forces de défense aérienne suscite de nombreux doutes.

Carlo Kopp est formel : étant donnés les multiples moyens de détection et le profil de vol de l’avion de ligne, l’erreur fatale est inexcusable.

Il poursuit : « La seule explication crédible est l’incompétence. Nous n’avons aucune preuve que l’Iran entraîne ses soldats mieux que les Russes », rappelant le crash du vol 17 de Malaysia Airlines au-dessus de l’Ukraine orientale survenu en 2014. Une enquête menée par le parquet néerlandais avait alors conclu que l’avion avait été touché par un missile Buk, tiré depuis le territoire ukrainien contrôlée par les séparatistes avec un lanceur acheminé depuis la Russie.    

Michael Elleman, chargé de recherche sur la défense antimissile à l’International Institute for Strategic Studies, estime qu’au vu de la cadence et des délais serrés de la guerre aérienne moderne, nous ne devrions pas être surpris par l’incident survenu sur le vol PS 752 en direction de Kiev qui a fait 176 victimes.

 

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