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Les Politiques Budgétaires À L’Épreuve De La Coopération Européenne

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Les pays européens sont aujourd’hui face à un cas de force majeure. L’après coronavirus doit impérativement être pensé à l’échelle européenne, faute de quoi, les conséquences économiques seraient dramatiques et pourraient se propager pendant plusieurs décennies. Explications.

Des mesures d’urgence de soutien à l’activité

La crise du coronavirus que nous vivons actuellement est incontestablement la crise la plus grave que nous ayons connue, en termes d’activité et d’ampleur, et ce, depuis la grande dépression de 1929. Celle-ci touche directement l’économie réelle, empêchant les salariés d’aller travailler, les entreprises de pouvoir produire et exercer leur activité de manière habituelle.

Les plans d’urgence des gouvernements européens ont déjà été importants et vont se poursuivre (110 milliards d’euros en France, 256 milliards en Allemagne). Des dispositifs de chômage partiel, de report ou d’abandon de charges pour les entreprises, de soutien à la recherche et à la médecine ont massivement été mis en place sur le court terme. Aussi, des facilités et garanties de paiement pour les entreprises ont également été introduites dans tous les pays (822 milliards d’euros de garanties de prêts pour l’Allemagne, 300 milliards en France). L’effet cyclique de dégradation de l’activité, associé aux mesures massives prises pour soutenir l’économie, conduit le gouvernement français à estimer pour cette année, un déficit public d’au-moins 10 % du PIB, du jamais vu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Cette situation de grand chaos économique rappelle les lendemains d’une autre crise datant de moins d’une douzaine d’années, la crise des Subprimes.

 

Des politiques de relance après la crise

En 2008, face à la crise venue des Etats-Unis qui secouait les marchés financiers mondiaux, les Etats ont investi massivement dans le but de sauver les banques et d’aider l’économie réelle. La réaction européenne s’est faite de dissensions et de refus de solidarité entre les Etats : les pays du nord de l’Europe se refusaient de faire marcher un mécanisme de solidarité pour des pays n’ayant pas réussi à garder un minimum de marges de manœuvres budgétaires, sans la mise en place de plans d’austérité drastiques. Par conséquent, la charge de la dette dans le PIB des pays les plus vulnérables a culminé à 22,5 % en moyenne en 2012 en Grèce ou 9,6 % en 2011 en Irlande, menant à une crise des dettes souveraines jusqu’en 2015.

Aujourd’hui, les Etats font face à une crise réclamant une intervention étatique directe. A la sortie de la crise, les systèmes productifs seront fortement affaiblis : de nombreuses entreprises pourraient faire faillite, les autres seront concentrées sur le remboursement de leurs dettes et les ménages augmenteront leur taux d’épargne de précaution. Les Etats doivent agir en aidant les plus démunis, en soutenant les entreprises et en permettant d’accroitre les investissements privés de manière à faire redémarrer la machine économique. Cela ne pourra se faire que si les Etats mettent en place des politiques de relance et d’expansion budgétaire ambitieuses et coordonnées et que les institutions européennes se montrent présentes. Ces politiques de relance semblent même consensuelles vis à vis de la classe politique et économique actuelle, telle est l’urgence de cette situation inattendue.

 

Une nouvelle crise des dettes souveraines est-elle possible ?

Alors que certains pays bénéficient de conditions d’emprunt particulièrement avantageuses (France, Allemagne avec des taux d’intérêt de long terme négatifs en 2019), le risque reposerait majoritairement sur des pays plus vulnérables. Prenons l’Italie comme exemple. Ce pays a été le premier et un des plus durement touchés par la crise de coronavirus en Europe. Dans les années qui viennent, l’Italie aura besoin de relancer son économie de manière à soutenir son tissu industriel, majoritairement composé de petites et moyennes entreprises. Les politiques de relance qui doivent y être menées conduiraient à un creusement inévitable du déficit public. En 2020, les agences de notation ne devraient pas, vis à vis de l’urgence économique et de la crise mondiale dans laquelle se trouve l’intégralité des pays, dégrader la note de l’Italie au-delà de la frontière minimale de « l’Investment grade » (BBB-). Néanmoins, à compter de 2021, une fois l’urgence économique passée, les agences de notation étudieront précisément la situation budgétaire des pays ainsi que leur marge de manœuvre. Voyant la situation budgétaire des pays se dégrader et voyant le ratio dette publique sur PIB augmenter fortement, celles-ci répercuteraient leurs évaluations dans des notations de moins en moins favorables. L’Italie pourrait alors dès 2021 voir sa notation baisser (perspective déjà négative chez S&P et Fitch).

A la vue d’une baisse de la notation des agences sur certains pays, les conséquences sur les marchés financiers seraient immédiates : les taux d’intérêt d’emprunt des pays augmenteraient inexorablement et les Etats s’engouffreraient dans une situation de grande incertitude budgétaire pour plusieurs années. Les spreads (écarts de taux d’intérêt entre les pays) s’écarteraient fortement et une crise similaire à celle des dettes souveraines apparaitrait en Europe. Les phénomènes depuis le début de la crise du coronavirus en sont la preuve : alors que la panique se développait sur les marchés financiers en février et en mars 2020, le rendement à 10 ans italien est ainsi passé de 0,89 % le 13 février à 2,39 % le 17 mars.

Les pays les plus vulnérables n’auront d’autre choix que d’effectuer des politiques d’austérité afin de redresser les comptes publics et de rassurer les marchés, et ce, aux dépens de la reprise économique.

 

Quels remèdes du côté de l’Union Européenne ?

Afin de mettre en place des politiques expansionnistes, les Etats doivent impérativement avoir les moyens de débloquer des marges de manœuvre budgétaire, après une augmentation exceptionnelle de la dette publique. En ce sens, les institutions européennes sont attendues.

L’augmentation actuelle de la dette ne pose, à vrai dire, pas de gros problème pour les Etats : la BCE rachète aujourd’hui unilatéralement les emprunts émis. Dans quelques années, le Quantitative Easing pourrait très lentement décélérer avec moins de rachats mensuels et une absence de refinancement d’obligations arrivées à échéance. Cela pourrait être le cas si l’inflation augmente à nouveau (hausse des prix du pétrole), si la consommation privée repart et qu’un phénomène de désendettement est observé. La BCE pourrait réduire l’aide qu’elle apporte aux Etats membres pour se recentrer vers ses activités essentielles et garder des marges de manœuvre pour la suite.

Il est également possible que l’Union Européenne décide de s’accorder sur des grandes lignes de politique économique mais sans faire marcher des mécanismes permettant une solidarité entre les Etats. Certains pays ont des fondamentaux solides et insistent pour faire respecter les conditions initiales de financement du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) : un prêt à un Etat à hauteur de 2 % de son PIB et une étroite surveillance de la part de la Commission européenne. Les rouages qui suivraient à l’échelle nationale, pour les pays les plus vulnérables, conduiraient à une situation tout aussi désastreuse.

 

Plaider pour une réponse ambitieuse des Etats et institutions européennes

Des signaux qui restent encourageants apparaissent aujourd’hui. La BCE a un programme d’achat d’actifs très ambitieux tandis qu’en parallèle, lors des précédentes réunions de l’Eurogroupe, les ministres des finances des différents pays ont eu de nombreuses difficultés à trouver un terrain d’entente pour des réponses coordonnées (500 milliards d’euros débloqués pour le système de santé et de recherche des pays respectifs).

En plus des plans de soutien de la BCE, les coronabonds et la mutualisation de dettes dans le cadre du MES paraissent des moyens efficaces de réponse à l’urgence économique dans laquelle se trouvent les Etats membres : donner la capacité aux Etats de réagir en conséquence et de s’endetter à bas prix. La Banque Centrale doit, quant à elle, impérativement s’engager à soutenir, « quoi qu’il en coûte » les mesures de relance des pays européens des années à venir, sans quoi ceux-ci pourraient voir la charge de leur dette augmenter.

Une chose est sûre : l’Europe n’a, cette fois-ci, plus le temps d’apprendre de cette crise. Elle doit agir en utilisant des outils efficaces et directs afin de sauvegarder l’unité des Etats membres.

 

Article rédigé par Arno Fontaine, membre de BSI Economics

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