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La promesse d’un candidat au crible de l’expert | Éric Zemmour veut la fin de la redevance et de l’audiovisuel public

Éric Zemmour

L’une des mesures qui font polémique actuellement est certainement celle de la suppression de la redevance et la privatisation de l’audiovisuel public, en particulier France 2 et France inter. Cette mesure proposée par Éric Zemmour et à laquelle Valérie Pécresse ne serait d’ailleurs pas fermée, nécessite un décryptage subtil.


 

La privatisation de l’audiovisuel public peut apparaître à certains égards comme une mesure d’efficacité et de qualité des programmes. Par exemple, TF1 a été privatisée le 16 avril 1987, et est détenue par le groupe industriel Bouygues. Aujourd’hui, c’est la première chaîne de France et même d’Europe en termes d’audience grâce à plus d’efficacité dans les modes de gestion et une meilleure intégration dans la concurrence : baisse des prix, innovations constantes, gestion financière efficace. On peut ajouter une meilleure réactivité par rapport à la demande et la possibilité de former plus rapidement un groupe multisupport avec plusieurs chaînes. Car il y a aussi la concurrence des SVOD (Services de vidéos à la demande par abonnement). C’est ainsi que la chaîne TF1 devient le groupe TF1 avec une dizaine de chaines si l’on regroupe l’ADSL, la fibre et les chaînes de la TNT. La capacité du privé, c’est de pouvoir s’adapter aux tendances du moment. Dans les années 1980, la télévision était une affaire de flux, de jeux et de talkshow à paillettes et les fictions nationales. Les beaux films et les documentaires étaient Has been. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les chaines privées ont donc un avantage : il s’agit de groupes de télé qui distribuent leur programme sous forme linéaire, gratuite ou payantes, en replay gratuit ou payant également. Ces chaînes privées ont réussi à prendre un virage innovant accéléré par la covid, sur la façon de proposer leur programme et de se rentabiliser.

 

(PDF) Privatization and Its Benefits: Theory and Evidence (researchgate.net)

 

Dans cette question de l’audiovisuel public, il y a le débat sur la fin, nécessaire, de la redevance qui rapporte environ 3,7 milliards d’euros, plus que le budget du CNRS. Sa suppression permettrait de redistribuer directement 3,7 milliards d’euros au consommateur. L’Allemagne est souvent présentée comme un modèle : la redevance y est élevée, plus de 17 euros par mois et sur une base élargie à tous les foyers équipés d’un téléviseur ou non ainsi qu’aux entreprises et aux collectivités locales. Avec une population de 83 millions de personnes, l’Allemagne peut ainsi récolter 3 fois plus de ressources qu’en France. Mais en France, c’est inefficace. En France, la redevance est faible notamment par rapport à l’Angleterre et l’Allemagne, et l’audiovisuel public souffrirait de graves problèmes de qualité des programmes et d’une sous rentabilité chronique. Ici, la concurrence serait particulièrement bénéfique pour le consommateur et l’utilisateur. Si les chaînes privées ont vu de leur côté une stagnation de leur recette publicitaire et une situation boursière difficile, elles maintiennent cependant des niveaux de rentabilité plus élevés que les chaines publiques. C’est vrai aussi aux Etats-Unis où les bonnes vieilles chaines privées traditionnelles ABC, CBS, NBC continuent de gagner beaucoup d’argent. De fait, aux Etats-Unis comme en Europe, les chaînes publiques ne sont pas les gagnantes de la période de la Covid. 

 

La concurrence serait donc bénéfique pour le consommateur. Si quelqu’un se désabonne de Canal + au profit de Netflix, il économise de l’argent. Pendant très longtemps Canal + comme Sky en GB coûtait entre 40 et 50 euros par mois avec le décodeur alors qu’un service de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) coûte entre 5 et 15 euros  par mois. Au total : moins de télé payante certes mais plus de SVOD. Alors, la redevance, un pur racket ? C’est certainement dans l’innovation et la constitution de groupes multisupports que l’avenir de l’audiovisuel tiendra. Pourquoi l’audiovisuel public en serait-il incapable ?

 

Car à bien y penser, la réalité de la situation économique de l’audiovisuel public avec cette fameuse redevance, terrible monopole d’Etat, n’est pas si catastrophique que cela. Les chiffres, par exemple, de France Télévisions en attestent. Certes, des restructurations et chamboulements économiques, on en a connu à France Télévisions : plans de départ en 2020, achats de programmes de flux (divertissement et jeux) et sensible baisse de la redevance, près de 60 millions en moins (France TV en reçoit quand même 2,4 milliards). Mais on pourra tout de même compter sur de nouveaux abattements de taxes au Centre National du Cinéma et de l’Image pour permettre une économie de 21 millions d’euros. Cependant, avec le glissement des charges salariales et contractuelles du fait des ajustements liés à la Pandémie, il a fallu faire davantage d’efforts pour trouver 60 millions, ce qui a été plutôt réussi. En 2020, le résultat d’exploitation de France Télévisions restera à l’équilibre pour la 5ème année consécutive, grâce à une augmentation des recettes publicitaires, et des recettes liées à son activité de production et de distribution. Puis, comme le dit Delphine Ernotte, chaque euro de redevance a aussi un effet multiplicateur de 2,4 euros dans l’économie française. A elle seule, France Télévisions génère 4,4 milliards d’euros de PIB et 62 000 équivalents temps pleins dont 40% en région et outre-mer. C’est davantage qu’Airbus en France.

 

En clair, si la redevance est plus faible en France, partout en Europe, l’audiovisuel public, entré en résistance, reste à l’équilibre depuis plusieurs années et tente de se renforcer. On ne compte plus uniquement sur la redevance et la publicité mais aussi sur les abonnements payants d’autres chaînes du groupe, tout une stratégie, proche de celle qu’avait initié TF1 ! Finalement, l’audiovisuel public c’est une bonne chose et censé incarner aussi l’autorité publique, la culture, comme le fait ARTE, France culture et bien d’autres. Pour enfoncer un peu le clou, l’audiovisuel public n’est-il pas le garant de la qualité de la production nationale et de la culture française face à des chaines privées dont la probabilité est forte de se faire racheter par des groupes américains devant lesquels il faudra prier à genoux pour qu’ils produisent quelques films français ? Le secteur public reste le garant de la culture française, ce qui suppose aussi que le secteur privé ne soit pas capable d’adaptation : TF1 n’a-t-il pas fait d’efforts pour intégrer davantage de thématiques culturelles dans ses journaux ? Enfin, dans l’audiovisuel privé, on se souvient de la tragique tentation de rapprochement entre Bertelsmann et Berlusconi. On se souvient que, dans les années 1960, Georges Pompidou avait lancé : «  le service public c’est la voix de la France » !

 

Ainsi pour conclure, il nous semble que la polémique sur la fin de la redevance et de l’audiovisuel public n’est pas directement liée au modèle économique au sens propre ni complètement à la qualité des programmes ou sa nature puisque l’on observe une certaine convergence de ce côté là. 

Le service public, « voix de la France » ? C’est peut-être là tout le problème, car s’il n’y a plus de confiance dans la voix de la France, comment peut-il y avoir de la confiance en l’audiovisuel public ? En Grèce, le populisme a déjà envahi les écrans et est en train de tuer l’audiovisuel public. En Pologne, de nouvelles dispositions font de la télé et des radios publiques un simple département du ministère de la culture avec nomination des dirigeants par l’administration et le contrôle par le parti dominant. En Belgique flamande, c’est la VRT qui est attaquée par le parti au pouvoir et perd régulièrement des emplois. La chaîne se serait même amusée à faire une émission de 24H dans une cave pour montrer ce qu’ils pensent être l’audiovisuel public dans quelques années. Entre les deux, le système anglais : prestigieux certes, mais qui fait aussi l’objet de menaces de la part de Boris Johnson et de multiples vexations avec cette volonté du pouvoir politique de déplacer la BBC hors de Londres. On l’aura bien compris, l’enjeu n’est finalement pas économique. On reproche à France Inter et France 2 de faire de la politique avec l’argent du contribuable. C’est le soupçon de partialité qui est mis en cause et la gouvernance n’aiderait pas non plus à l’indépendance politique. La gouvernance structurée autour de la tutelle France Médias et le CSA pousse à rendre des comptes régulièrement selon des logiques politiques pour éviter justement la baisse de la redevance. Ici aussi, les députés ne devraient intervenir que tous les 5 ans sur la question du budget de l’audiovisuel. Tous les ans, c’est trop. C’est cette dépendance au pouvoir des chaines publiques qui entame la qualité des programmes. Ici aussi, on doit rester prudent : l’indépendance des journalistes pour informer avait un certain sens au temps des monopoles ; aujourd’hui il existe des contre-pouvoirs partout. Dans toutes les rédactions, il y a des contre-pouvoirs. Et si les chaînes du privé étaient elles aussi politisées, et que les chaînes publiques n’étaient qu’un simple contre-pouvoir aux chaînes privées ? 

 

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