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Gaz naturel : La fin de la surconformité pour les entreprises européennes au Venezuela ?

gaz naturelUsine de raffinage de pétrole El Palito, Puerto Cabello, Edo. Carabobo, Venezuela. | Source : Getty Images

Alors que le Venezuela change d’attitude à l’égard des capitaux étrangers, l’Union européenne (UE) pourrait profiter de cette occasion pour renforcer ses liens avec ce pays d’Amérique latine et développer le secteur du gaz naturel.

 

L’UE et les entreprises énergétiques européennes se lancent dans des projets ambitieux pour développer le secteur du gaz naturel au Venezuela. Au-delà des avantages économiques, il existe un élément environnemental déterminant. La vétusté des infrastructures énergétiques a fait de ce pays d’Amérique latine l’un des principaux pollueurs en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de dégradation des écosystèmes.

L’Europe aura avant tout besoin de confiance. Depuis que la Maison-Blanche a commencé à imposer des sanctions (principalement entre 2017 et 2020), les multinationales des pays tiers ont délaissé le Venezuela. Les entreprises européennes avancent principalement à petits pas, se reposant sur les autorisations délivrées par Washington.

Outre les émissions de gaz à effet de serre, il existe de nombreuses autres préoccupations environnementales. Les militants et les experts du climat soulignent que les pipelines et les réservoirs de stockage se déversent régulièrement dans les sols. Les mangroves des parcs nationaux, essentielles pour compenser les émissions de gaz à effet de serre, sont contaminées par les fuites. À l’extrême ouest du pays, le lac Maracaibo est constamment victime de déversements et d’autres formes de pollution depuis l’essor de l’industrie pétrolière au Venezuela (ce qui remonte à plusieurs décennies).

 

Les gaz torchés, ou comment l’argent part en fumée

Le délabrement des infrastructures de la compagnie Petróleos de Venezuela SA (PDVSA, compagnie pétrolière appartenant à l’État vénézuélien) est à l’origine d’un grave problème environnemental : il brûle environ six milliards de mètres cubes de gaz naturel par jour. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), en 2022, le Venezuela est devenu le 17e plus grand émetteur de méthane issu torchage du gaz naturel et des fuites. Le processus de torchage est courant dans la production pétrolière. Cependant, alors que le Venezuela et les États-Unis consomment un volume de gaz similaire, le premier produit environ 700 000 barils par jour (bpj) et le second environ 12 millions. À lui seul, le Venezuela brûle autant de gaz que la Colombie en consomme en un.

Les infrastructures étaient déjà confrontées à plusieurs problèmes avant la mise en œuvre des sanctions américaines. Le gouvernement d’Hugo Chavez a détourné les fonds de PDVSA pour financer plusieurs programmes ambitieux en matière de santé, d’éducation et de logement. Cependant, la compagnie pétrolière s’est retrouvée surendettée et n’a pas suffisamment investi dans ses activités. En 2012, 40 % des ventes de PDVSA ont été reversées à l’État. Alors même que les prix mondiaux du pétrole ont augmenté, la compagnie a enregistré un flux de trésorerie négatif. La corruption était également un facteur clé de la détérioration de l’industrie pétrolière, avant que Washington ne fasse monter la pression.

La nouveauté réside dans le fait que les entreprises européennes ont l’intention d’entrer dans un secteur pratiquement inexploité, en partenariat avec un gouvernement désormais enthousiaste. Le principal obstacle reste l’extraterritorialité des sanctions américaines, compte tenu de leur large portée dans la finance et le commerce à l’échelle mondiale. Les entreprises américaines et tierces pourraient s’intéresser au projet si les sanctions économiques étaient levées. Après que Chevron a obtenu une licence pour reprendre ses activités, d’autres entreprises du secteur font pression pour obtenir les mêmes droits, comme le raffineur texan Valero Energy Corp.

Cette année, l’UE a proposé de relancer la production de gaz naturel du Venezuela à l’aide de fonds provenant de la stratégie « Global Gateway », qui vise à développer des liens intelligents, propres et sûrs dans les domaines du numérique, de l’énergie et des transports et à renforcer les systèmes de santé, d’éducation et de recherche du monde entier. Au Venezuela, l’objectif déclaré est la « réduction des émissions de méthane et de CO2 pour lutter contre le changement climatique, améliorer la préservation de l’environnement et l’efficacité énergétique de l’État de Monagas ». Dès le mois d’avril, lors de la conférence de Bogota, Josep Borrell, vice-président de la Commission européenne et Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a souligné l’occasion manquée avec le gaz vénézuélien et la nécessité de sauver le secteur. Selon Josep Borrell, cela devrait se faire dans le cadre d’un accord plus large garantissant des élections équitables en 2024.

Le projet nécessiterait 1,5 milliard de dollars et la participation de plusieurs compagnies comme Eni, Repsol et Maurel & Prom, qui utiliseraient également des fonds de la stratégie « Global Gateway ». Un oléoduc devrait être construit pour relier les gisements au sein de l’État de Monagas à la mer, à Güiria, dans l’État de Sucre, près de Trinité-et-Tobago. Le pétrole serait ensuite acheminé par voie maritime jusqu’aux vastes installations de l’île. Selon Bloomberg, le projet coûterait environ « 350 millions de dollars et prendrait entre 36 et 48 mois, entre la recherche et la construction ». Des sources proches du dossier ont confirmé cette information.

À Trinité-et-Tobago, le gaz naturel serait liquéfié dans le cadre d’une opération conjointe entre Shell et la National Gas Company locale. Il existe d’autres points de collaboration entre le Venezuela, la nation insulaire et la multinationale britannique. Les trois parties sont sur le point de se mettre d’accord sur le développement du champ gazier Dragon. Le 14 septembre, Shell a finalement donné son accord financier pour le développement du champ gazier de Manatee, partagé entre Trinité-et-Tobago et le Venezuela. On estime qu’il y a près de 283 000 milliards de mètres cubes de gaz naturel, dont près de 206 000 milliards du côté vénézuélien et 77 000 milliards du côté trinidadien.

Sur la côte caraïbe, il y a deux blocs de gaz naturel offshore cruciaux et presque inexploités : Cardon IV à l’ouest et Dragon à l’est. Au sein de Cardon IV, Eni et Repsol exploitent conjointement le gisement de gaz de Perla grâce aux autorisations délivrées par Washington. La compagnie PDVSA a été autorisée à acheter 15,6 millions de mètres cubes par jour. Après une révision annoncée à la fin du mois d’août, la production passerait à 22,7 millions de mètres cubes par jour. La compagnie PDVSA estime que le champ de Perla contient près de 269 000 milliards de mètres cubes de gaz et Dragon près de 113 000 milliards de mètres cubes.

 

Les conditions d’investissement changent-elles ?

Durant le « boom des matières premières », la croissance a permis au gouvernement chaviste de fixer les règles. Les projets d’extraction ont souvent fait l’objet d’expropriation. La compagnie ExxonMobil a quitté le pays après a nationalisation de certains de ses actifs en 2007. Le gaz naturel a été négligé, selon des sources internes, car il n’offrait pas à l’État des revenus suffisamment élevés par rapport au pétrole.

« Le gaz naturel issu de la production pétrolière était toujours brûlé ou réinjecté dans le sol », explique José Chalhoub, consultant en risques politiques et en pétrole pour Venergy. « Il n’était pas produit pour le marché local ou exporté. Il n’y avait tout simplement pas d’investissement. »

Désormais, ce même régime a besoin de tous les investissements possibles. Nicolás Maduro a annoncé la création de zones économiques spéciales (ZES), qui devraient s’inspirer de l’exemple de la Chine. Ces zones devraient bientôt voir le jour et disposer non seulement d’un cadre réglementaire favorable, mais également de l’infrastructure nécessaire. Par exemple, l’île de Margarita, qui serait l’une de ces ZES, souffre de fréquentes pénuries d’eau et d’électricité. Le syndicat des employeurs, Fedecámaras, demande également plus de garanties sur l’investissement privé et l’institutionnalisation, afin que l’économie puisse croître de manière durable.

Le gouvernement vénézuélien pose toujours une condition : il veut de l’argent. Les États-Unis ont accordé de nombreuses dérogations aux entreprises pour qu’elles recouvrent les dettes qui leur sont dues grâce aux livraisons de pétrole et de gaz, ce qui n’est pas très pratique pour l’État vénézuélien à court d’argent. Jusqu’à présent, les entreprises énergétiques européennes ont eu besoin d’autorisations pour améliorer leurs relations avec le Venezuela.

« La production et l’exportation de gaz naturel, en direction du marché de l’UE, seront la clé de la fin du blocus imposé au Venezuela », a déclaré Victor Hugo Majano, rédacteur en chef de La Tabla. L’hypothèse est qu’après la mise en place des sanctions contre la Russie, l’Europe a désespérément besoin d’autres sources de gaz et d’autres ressources. Par conséquent, elle pourrait abandonner la surconformité et s’aventurer sur un terrain légal, mais risqué. L’Office of Foreign Assets (OFAC, organisme américain de contrôle financier) a sanctionné des entreprises de pays tiers pour avoir enfreint leurs blacklists, le tout dans une démarche juridiquement contestable. Des banques telles que BNP Paribas, ING, Credit Suisse, Commerzbank et Société Générale, entre autres, ont payé des amendes pour avoir traité avec Cuba et d’autres États blacklistés.

Les problèmes de pollution ont été négligés pendant plusieurs décennies et se sont considérablement aggravés depuis la crise économique et humanitaire qui a frappé le pays. Toutefois, le Venezuela se trouve aujourd’hui à un tournant : des entreprises étrangères sont prêtes à entrer en scène et à investir dans la rénovation des infrastructures, et le gouvernement semble disposé à les accueillir. L’UE, en particulier, cherche à développer le secteur du gaz naturel de manière à réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre. De son côté, le gouvernement vénézuélien change d’attitude à l’égard des capitaux étrangers, alors qu’il tente de redresser une économie sinistrée.

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : Elias Ferrer Breda

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