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Débat Présidentiel À Onze : Comment Éviter La Cacophonie

© BFMTV

Pour la première fois de l’histoire des campagnes électorales hexagonales, les onze aspirants à l’Elysée vont s’affronter lors d’un débat télévisé. Adrien Rivierre, spécialiste de la prise de parole en public, décrypte, pour Forbes France, les enjeux de cette confrontation inédite.

Ce débat « à onze » est tout simplement une première lors d’une campagne présidentielle française. Comment faire pour éviter, avec autant de protagonistes, que cette confrontation ne vire au chahut et à la confusion permanente ?

Ce sera difficile c’est une évidence. Néanmoins il y a plusieurs choses à prendre en considération. En réalité, le terme débat n’est pas vraiment approprié comme on a pu le constater lors de la première confrontation entre les cinq favoris le 20 mars dernier. Ce sont plutôt deux journalistes – ce soir, en l’occurrence Ruth Elkrief et Laurence Ferrari – qui posent des questions successivement à un candidat. Conséquence : ces derniers s’interpellent assez peu et, de facto, échangent peu entre eux, du moins sur le fond. Ils peuvent « plaisanter », faire un bon mot mais il n’y a pas de vrai dialogue, jalonné d’arguments, construit sur ce qui a été dit précédemment. Il s’agit davantage, pour les aspirants à l’Elysée, d’égrener leurs programmes, leurs mesures phares. Pour revenir à votre question initiale, la cacophonie sera évitée en respectant scrupuleusement les règles établies : à savoir répondre à différentes questions sur des thématiques définies à l’avance, le tout en n’excédant pas 1m30 par réponse. Une telle configuration devrait donc permettre de se prémunir contre une cacophonie que l’on voit, de toute manière, assez rarement.

Pourquoi selon vous ?

Tout simplement parce que, dans ce genre d’exercice, les candidats ont plus à perdre qu’à gagner et font montre d’une certaine prudence, minimisant leurs prises de risques. Attaquer ou contredire quelqu’un en direct à la télévision devant des millions de téléspectateurs peut se révéler extrêmement périlleux. Le candidat a tout intérêt que son attaque soit parfaitement calibrée et maîtrisée. Dans le cas contraire, il pourra apparaître comme celui qui a fauté et se retrouvera décrédibilisé aux yeux du public et c’est ce que les candidats veulent à tout prix éviter.

Que répondez-vous à ceux qui qui prennent l’exemple des débats entre les candidats républicains et démocrates aux Etats-Unis pour justifier la tenue d’une telle confrontation avec un nombre aussi élevé de protagonistes ?

Les Etats-Unis ont une tradition orale un peu plus poussée que la notre et donc une tolérance supérieure des téléspectateurs à suivre un débat moins rythmé où les journalistes interviennent beaucoup moins qu’en France. De plus, le format des débats aux Etats-Unis a très peu évolué, d’où une certaine habitude de la part des auditeurs outre-Atlantique. Concernant maintenant les similitudes, les émissions de débats sont également très encadrées aux Etats-Unis. Vous avez un arc de cercle et des candidats disposés qui répondent à des questions sans s’interpeller sur le fond avec des arguments ciselés. Comme en France finalement.

Dix sept sujets avaient été abordés lors du premier débat entre les cinq principaux candidats. Ce soir, comme vous l’avez évoqué, ce seront trois grandes thématiques qui seront développées, à savoir « Comment créer des emplois ?, « Comment protéger les Français ? », « Comment mettre en œuvre votre modèle social ? » Pensez-vous que ce « resserrement » soit forcément synonyme de sérénité dans l’échange ?

Cela participe à la volonté des chaînes de télévision chargées de l’organisation du débat de le rendre le plus concret possible et éviter que les candidats égrènent mécaniquement l’ensemble de leurs mesures. Ainsi, les candidats pourront se concentrer sur ces trois points bien définis. Ce sont d’ailleurs les trois thématiques qui intéressent le plus les Français. L’emploi, la sécurité avec la protection des citoyens et la menace terroriste et la protection sociale. Cela permettra de déceler plus facilement les grandes différences entre les candidats. Lors du premier débat, tellement de choses ont été abordées et tellement de points de vue développés qu’il était difficile d’extraire la mesure phare des candidats dans chaque thématique. Dans le cas d’espèce, la précision des réponses fera la différence auprès des téléspectateurs.

Pensez-vous que ce type d’exercice soit l’occasion pour ce que l’on appelle communément « les petits candidats » de tirer leur épingle du jeu ?

Totalement. Pour eux, il s’agit d’une opportunité unique. Deux stratégies vont clairement se dessiner, à savoir celles des cinq grands favoris qui, eux, devraient rester prudents même si Jean-Luc Mélenchon apprécie ce genre d’exercice et ne fera certainement pas, s’il le peut, l’économie d’un bon mot. Pour les autres, on ne devrait pas assister, a priori, à un changement majeur de ligne par rapport à leur prise de parole du premier débat. Quant aux six autres candidats – sachant que le second débat à onze du 20 avril prochain a du plomb de l’aile- ils ne vont pas gâcher ce temps d’antenne. Dès lors, on peut s’attendre, peut –être de la part de Nicolas Dupont-Aignan notamment, à quelques piques ou remarques bien placées pour attaquer plus frontalement les favoris.

Cette configuration, peut-elle, à l’inverse conforter le favori des sondages, Emmanuel Macron, dans sa « stratégie de l’édredon », en l’occurrence ne pas prendre de risques et laisser « passer l’orage », comme ce fut notamment le cas d’Alain Juppé lors des débats de la primaire ?

D’un point de vue personnel, je trouve qu’Emmanuel Macron n’a pas réalisé un premier débat extraordinaire. Il n’a pas fait de fautes, certes, mais il n’a pas non plus brillé. Sa rhétorique a notamment fait l’objet de moult critiques, affirmant à plusieurs reprises qu’il était d’accord avec François Fillon ou avec Benoît Hamon. Il veut disposer du socle le plus large possible, essayant de s’attirer les faveurs des électeurs de droite, de gauche et du centre. Il a donc tout intérêt à ne pas cliver. Plus il va cliver, plus il va prendre un risque et je doute que cela soit son idée à une vingtaine de jours du premier tour. Emmanuel Macron va donc être celui qui va faire la synthèse et de montrer que son programme est encore en construction, que rien n’est figé dans le marbre, à l’inverse de celui de François Fillon, et que, de ce fait, il peut être en accord avec certains de ses concurrents. Peut-être même que demain il va rejoindre certaines positions des « petits » candidats.

Pensez-vous que ces débats puissent faire changer d’opinion les téléspectateurs ?

Il est peu fréquent qu’à l’issue du débat, un téléspectateur se dise « finalement celui pour qui j’avais l’intention de voter m’a totalement déçu et je vais voter pour l’un de ses concurrents ». Pour reprendre l’exemple des Etats-Unis où des études ont été menées en ce sens, il est très rare, hormis faute majeure, que l’on assiste à un changement du vote. Si l’un des candidats réalise un débat en demi-teinte – Emmanuel Macron comme je le disais n’a pas forcément été très tranchant, François Fillon est resté discret – ses potentiels électeurs n’auront aucun mal à le reconnaître mais diront simplement qu’il fera mieux la prochaine fois. En revanche, ce qui est intéressant dans cette élection tout de même, c’est que les sondages CEVIPOF montrent bien qu’il existe une indécision du vote qui avoisine les 40%, ce qui est tout de même assez élevé. Dans ce cas de figure, un Jean-Luc Mélenchon, par exemple, qui jouit actuellement d’une bonne dynamique, peut vouloir convaincre les indécis. C’est d’ailleurs lui qui a unanimement surnagé lors du premier débat.

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