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Comment le Japon peut-il relancer son économie pour dominer l’avenir de l’Asie ?

JaponAffichage numérique d’une carte géographique, avec la ville de Tokyo en arrière-plan. Getty Images

Au Japon, l’écart entre l’envolée des valeurs boursières et les fondamentaux économiques sur le terrain semble déréglé, peut-être plus que ne le reconnaissent la plupart des investisseurs. 

 Un article de William Pesek pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

D’un côté, la moyenne des actions Nikkei 225 est revenue en force pour atteindre son niveau le plus élevé en 34 ans. De l’autre, un pays très probablement en récession à cause des scandales qui accablent un gouvernement qui devrait agir avec plus d’audace pour relever son niveau économique. 

Ce décalage n’est pas nouveau pour les investisseurs mondiaux, et c’est justement le problème. Aujourd’hui, l’écart entre la flambée des valeurs boursières et les fondamentaux économiques sur le terrain semble à nouveau déréglé, peut-être plus que la plupart des investisseurs ne le reconnaissent.

 

Relancer l’économie japonaise

Depuis de trop nombreuses années, les investisseurs se demandent comment cet effet de miroir aux alouettes persiste gouvernement après gouvernement. Dans son excellent nouveau livre, The Contest for Japan’s Economic Future, Richard Katz propose des recommandations sérieuses pour rompre ce cycle. En particulier, il souligne le besoin désespéré d’un boom des start-ups pour perturber le statu quo et inciter les législateurs réfractaires au changement à positionner le Japon dans l’économie mondiale de demain.

« Le Japon a beaucoup à gagner en faisant ce qu’il faut, et beaucoup à perdre en ne le faisant pas », écrit M. Katz. « Et en raison de tendances que personne n’avait prévues – les changements d’attitude des générations et la technologie, le vieillissement et les tensions politiques causées par la faible croissance – faire les bonnes choses causerait beaucoup moins de difficultés et de ressentiment que les dirigeants du Japon ne l’ont craint. »

« C’est ce qui fait de cette situation, la plus grande opportunité pour le Japon, depuis une génération », écrit M. Katz. « Quelle tragédie si le Japon devait gâcher sa meilleure chance de refaire ce qu’il faisait si bien auparavant : générer des dizaines de milliers de nouvelles entreprises innovantes qui propulsent une croissance supérieure à la moyenne. »

Avec sagesse, M. Katz, qui rédige la lettre d’information Japan Economy Watch, remet les pendules à l’heure concernant les 11 années écoulées depuis que le Premier ministre Shinzo Abe était censé avoir révolutionné le pays.

 

Les promesses non tenues de l’ancien premier ministre japonais

En décembre 2012, M. Abe a pris le pouvoir en promettant de déclencher un big bang de l’offre. Il a promis de réduire la bureaucratie, de moderniser les marchés du travail, de relancer l’innovation, de catalyser un boom des start-ups, d’autonomiser les femmes et de rendre à Tokyo sa gloire passée de premier centre financier.

Il a ensuite passé les 2 821 jours suivants à dilapider la « dernière chance » de relance du Japon, selon les termes de M. Abe, pour rappeler à la Chine qu’elle a encore une concurrence sérieuse pour dominer l’avenir de l’Asie. Tokyo a laissé l’assouplissement agressif de la Banque du Japon faire le travail. Ces mesures, ainsi que d’autres visant à améliorer la gouvernance des entreprises, ont contribué à faire grimper le Nikkei en flèche, et ce jusqu’à aujourd’hui.

D’un côté, les investisseurs qui ont suivi l’exemple de Warren Buffett triomphent avec les actions de Tokyo. En 2023, le Nikkei 225 et l’indice Topix plus large ont fait un bond de plus de 25 %, ce qui les place parmi les plus grands gagnants du monde.

D’un autre côté, des travailleurs qui voient l’inflation augmenter plus que les salaires et un système politique distrait par les scandales et les querelles intestines. En donnant la priorité à l’argent facile plutôt qu’aux améliorations structurelles, le parti libéral démocrate de M. Abe n’a pas réussi à inciter les PDG à partager les bénéfices avec les travailleurs, ni à leur donner confiance. Tout ce que cela a prouvé, c’est que la théorie du ruissellement n’est toujours pas la solution.

 

Plus de « gazelles » que d’« éléphants »

Les recherches approfondies de M. Katz – dont une grande partie s’appuie sur des entretiens avec de jeunes entrepreneurs – regorgent d’idées pour relancer le processus de réforme. L’une d’entre elles est que Japan Inc. se réoriente pour tirer parti des mégatendances mentionnées plus haut. D’autres sont l’évolution de la dynamique des genres et les effets « stimulants » de la mondialisation.

« En surface, l’économie semble irréductiblement stagnante et la politique décevante et peu réactive », écrit M. Katz. « En profondeur, les raisons d’espérer naissent des changements importants. » L’essentiel de l’argumentation de M. Katz porte sur les modifications qu’il a apportées aux régimes fiscaux et réglementaires afin que le Japon compte davantage de « gazelles » que d’ « éléphants » parmi les entreprises. Il explique que le Japon souffre encore de la « maladie des grandes entreprises » à un moment où la deuxième plus grande économie d’Asie réclame une plus grande perturbation.

Le Japon ne disposant pas de filets de sécurité sociale larges et dynamiques, ce sont les grandes entreprises (ou éléphants), qui ont assumé ce rôle.

« Il en résulte une immense pression politique pour maintenir en vie les entreprises zombies », note M. Katz. « Si le gouvernement disposait d’un filet de sécurité suffisamment solide, les entreprises pourraient fermer, mais leurs travailleurs pourraient être transférés plus facilement dans de nouvelles entreprises. »

D’où la nécessité de soutenir le secteur des gazelles. Il s’agit d’entreprises agiles et à forte croissance, âgées de moins de cinq ans. Comme le secteur du capital-risque japonais est moins dynamique que celui de ses pairs, les entrepreneurs ont souvent du mal à accéder à des capitaux suffisants. C’est pourquoi nombre d’entre eux s’introduisent en bourse trop tôt. Il est alors trop tard pour prendre des risques importants, car les actionnaires font pression sur les fondateurs pour qu’ils réalisent des profits à court terme.

Aujourd’hui, les autorités japonaises continuent de « favoriser les éléphants, même moribonds, d’une manière qui fait des gazelles une espèce rare », écrit M. Katz. « Seuls 8 % de l’aide financière du gouvernement à la recherche et au développement vont aux entreprises de moins de 250 employés, soit la part la plus faible parmi les pays riches. »

 

Vers un nouveau capitalisme ?

Renverser le scénario devrait être une priorité absolue pour M. Kishida. Il a accédé au poste de premier ministre en octobre 2021 en promettant un « nouveau capitalisme » qui déclencherait un cercle vertueux de croissance et de redistribution des richesses.

L’un des arguments les plus convaincants de M. Katz est la réduction des vents contraires qui limitent les activités de fusion et d’acquisition. Malgré « une augmentation substantielle des fusions et acquisitions nationales ainsi que des cas d’étrangers jouant les chevaliers blancs pour les géants japonais en difficulté », note-t-il, « les attitudes protectionnistes et nationalistes demeurent ».

« Les mesures visant à accroître la productivité sont également essentielles, étant donné que la main-d’œuvre diminue », note M. Katz. « Il faut aussi miser sur une forte augmentation du taux d’entrée des femmes sur le marché du travail, en adoptant des politiques claires pour surmonter des générations de discrimination. »

Cependant, la partie du livre de M. Katz qui pourrait davantage intéresser l’équipe de M. Kishida concerne la Chine. L’une des grandes erreurs de M. Abe – et maintenant de M. Kishida – est de penser que le dirigeant chinois Xi Jinping sera impressionné par le fait que le Japon construise davantage de navires de guerre et augmente ses dépenses militaires. L’augmentation du PIB est bien plus importante dans l’Asie d’aujourd’hui.

« Dans la mesure où un Japon dynamique et technologiquement avancé joue un rôle plus important dans la région par le biais de ses entreprises, de l’IDE et de divers accords de libre-échange, un meilleur équilibre du pouvoir économique peut limiter ce que la Chine peut faire et accroître la possibilité que Pékin revienne à une position plus proche de celle qu’elle a adoptée dans le passé, à savoir une « montée en puissance pacifique » », écrit M. Katz. « Jusqu’à présent, les difficultés économiques du Japon ont réduit son influence en Asie, et donc sa capacité à faire contrepoids à la Chine. »

Bien qu’il s’agisse d’une aubaine pour le conglomérat Berkshire Hathaway de Warren Buffett et pour la Chine, les dernières années ont été une période complexe pour le Japon, qui n’a pas réussi à réanimer les esprits économiques qui avaient autrefois séduit le monde. La bonne nouvelle, c’est que le Japon dispose d’une myriade d’options pour modifier sa trajectoire, comme l’explique M. Katz en détail, pour courir avec les gazelles et écarter les éléphants. Il suffit de mettre la machine en route.  


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